26 avril 2010

Burka : l'intox (un article de la Dépêche du Midi - 26 avril)

Décidément, le voile est une matière politique hautement inflammable. Et un PV infligé à Nantes à une jeune femme qui conduisait avec un niqab est en train de secouer le pays tout entier. Autant dire que le débat sur l'interdiction du voile intégral est mal parti : comment, demain, faire appliquer une éventuelle loi ? L'affaire de Nantes prouve que ce sera difficile.

Tout commence avec un motard qui interpelle une automobiliste : « Je ne sais pas comment cela se passe dans votre pays, mais chez nous on ne conduit pas comme ça », lui aurait déclaré le policier. Ce à quoi l'automobiliste a répondu : « Chez vous, c'est aussi chez moi, parce que je suis Française », née en Loire-Altantique, d'origine métropolitaine, précise son avocat.

« Cela me met en colère, son champ de vision est sûrement supérieur à celui d'un motard portant un casque intégral. Ce sont des arguties qui ne tiennent pas! », tempête Marc Blondel, président de la Libre pensée. Mais l'affaire ne se termine pas là : dans la foulée, Brice Hortefeux, ministre de l'Intérieur, monte au créneau. Et face à ce qui semble bien être un excès de zèle de la police, dans le contexte d'un débat plutôt vif sur le port du voile intégral, il contre-attaque. Et demande une étude sur une éventuelle déchéance de la nationalité française du mari qui «appartiendrait à la mouvance radicale du Tabligh et vivrait avec quatre femmes dont il aurait eu douze enfants. » Et pour faire bonne mesure, l'homme est soupçonné de fraudes aux aides sociales. Même si le procureur de Nantes reste pour l'instant très prudent sur la question de la polygamie

Alors que Nicolas Sarkozy est au plus bas dans les sondages, voilà que la France entière s'empare de cette polémique. D'un côté la droite se range derrière Brice Hortefeux. De l'autre la gauche déplore que ce cas particulier soit soudain monté en épingle. Et demande que la loi actuelle soit appliquée.

« Il y a six millions de musulmans en France », observe Amar Moqran, responsable au CRCM de Midi-Pyrénées. « Doit-on les stigmatiser à cause de 200 personnes, dont beaucoup agissent par provocation ? Pour gagner quelques voix, on cherche un bouc émissaire : aujourd'hui les musulmans. L'islamophobie gagne du terrain. » Reste désormais à attendre le résultat de l'enquête sur cet homme ainsi montré du doigt. Que va-t-elle dévoiler ?

Polygamie et nationalité : le casse-tête
La déchéance de la nationalité française, que le ministre de l'Intérieur a proposée à l'encontre d'un homme soupçonné notamment de polygamie, est soumise à de strictes conditions. Brice Hortefeux a en effet demandé vendredi à son collègue de l'Immigration, Éric Besson, d'étudier l'éventuelle déchéance de la nationalité française de cet habitant de Rezé (Loire-Atlantique).

Interdite en France, la polygamie est passible d'un an de prison et de 45 000 euros d'amende. C'est « le fait pour une personne engagée dans les liens du mariage d'en contracter un autre avant la dissolution du précédent ». Le Code civil stipule que le mariage est « célébré publiquement devant l'officier de l'état civil » : mariages religieux et unions libres n'entrent donc pas dans la définition légale du mariage, a fortiori de la polygamie.

Peut-on déchoir une personne de sa nationalité pour polygamie ? Selon une source proche du dossier, « il y a des conditions extrêmement strictes pour la déchéance de nationalité ». La polygamie n'en fait pas partie.

La loi stipule en effet que « l'individu qui a acquis la qualité de Français peut, par décret pris après avis conforme du Conseil d'État, être déchu de la nationalité française

[…] s'il est condamné » à un crime ou délit précis tels que l'atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation, le terrorisme ou encore le fait de se livrer « au profit d'un État étranger à des actes incompatibles avec la qualité de Français et préjudiciable aux intérêts de la France ». Si une personne ne peut donc être déchue de sa nationalité pour polygamie, elle peut néanmoins la « perdre » : un décret de naturalisation peut être retiré « sur avis conforme du Conseil d'État » si la décision « a été obtenue par mensonge ou par fraude ». Dans le cas présent, le décret de naturalisation a été pris à la faveur du mariage de cet homme en 1999 : pour que le décret soit annulé, il faudrait par conséquent « prouver » qu'il était déjà marié civilement et qu'il l'ait alors dissimulé. Hier, Eric Besson a estimé que la déchéance « ne pourrait intervenir qu'après une condamnation par la justice ». « Il y aura d'abord enquête, puis éventuellement décision de justice, et ensuite seulement éventuellement déchéance », a-t-il déclaré, reconnaissant toutefois que la polygamie serait « probablement » difficile à prouver.

« Il ne faut pas interdire… »
Michel Eliard, commission administrative nationale de la Libre pensée.

Le gouvernement doit-il faire interdire le port de la burqa ?

Ce serait une erreur de le faire. Je ne vois pas au nom de quoi on interdirait le port d'un vêtement sur la voie publique. Ou bien alors, il faudrait légiférer pour tout. Souvenons-nous qu'à l'époque de la dictature des Colonels, en Grèce, la minijupe avait été interdite. La burqa, cela ne relève pas de la laïcité qui concerne l'organisation des institutions et non les manières de vivre, c'est une affaire privée dans laquelle le gouvernement n'a pas à intervenir. Et de toute manière, il serait difficile d'une part de légiférer, voir l'avis du Conseil d'état, d'autre part de faire appliquer cette loi. Il existe déjà des textes qui permettent d'exiger que l'on montre son visage pour justifier de son identité à la Poste ou à l'école pour récupérer ses enfants. Et que faire vis-à-vis de la soutane, de la robe de bure ou de l'habit des religieuses ?

Quel jugement portez-vous sur ce vêtement ?

C'est une manifestation de l'oppression de la femme et donc, nous y sommes opposés. Du reste, il semble que cette disposition ne figure pas dans le Coran. Certains intégristes soutiennent le contraire, mais a priori il n'en est pas question. Nous sommes donc opposés à ce que de telles pratiques se perpétuent, mais cela ne doit pas se régler avec la loi. Cela prendra du temps, il faudra en passer par l'éducation, par l'évolution des rapports sociaux… Et puis, j'aimerais savoir quelle attitude on adoptera avec ces richissimes femmes voilées qui viennent faire du shopping sur les Champs-Élysées…

Alors, pourquoi ce débat aujourd'hui ?

On dirait que Nicolas Sarkozy veut chasser sur les terres du Front national. Les sondages ne sont pas bons, et l'affaire nantaise semble tomber au bon moment. Il faut prendre garde que cette « chasse » aux musulmans radicaux ne se transforme pas tout simplement en « chasse » aux Arabes. Tout cela ne sent pas très bon.