24 avril 2007

L'ordre de la "Société juste" contre "l'Europe apostate"

2) LA SOCIETE JUSTE
"Nous, chrétiens en Europe, considérons que cet espace de paix, de prospérité et de solidarité que visait l'établissement de la Communauté Economique Européenne en 1957 est désormais globalement réalisé, mais l'aboutissement du projet en une véritable Union politique est toujours en souffrance. Seule une telle Union nous permettra de relever les défis nouveaux auxquels nous sommes confrontés. Beaucoup craignent qu'elle ne se réduise à une simple autorité de régulation des marchés. En effet, les gouvernements des Etats membres se comportent pour l'instant en rentiers, vivant sur cet extraordinaire héritage, mais tardent à tracer de nouvelles perspectives pour l'Europe."
Déclaration du Groupe IXE, mars 2007


Qu'est-ce que le Groupe IXE ?
En mai 2000, les Semaines Sociales de France et le Comité Central des Catholiques Allemands, le ZdK, signaient un Manifeste pour une conscience européenne. Leurs objectifs ?
- Constituer un lieu d'observation critique de l'évolution de la construction européenne,
- être un lieu de réflexion en référence aux principes de la pensée sociale de l'Eglise pour s'exprimer et faire des propositions,
-mobiliser pour contribuer au succès de grandes manifestations à dimension européenne.
Depuis juin 2002, ce réseau est animé par un Groupe de Travail composé des représentants de douze pays européens et de la Commission des Episcopats de la Communauté européenne (COMECE) et a pris le nom d' "Initiative de Chrétiens pour l'Europe" (IXE).

Michel CAMDESSUS , Président du Fonds monétaire international de 1987 à 2000, Gouverneur Honoraire de la Banque de France en est un membre éminent, et même l’épine dorsale. Sa seule présence donne tout le poids politique de l’IXE et en fait un réseau plus qu’influent.
En 1905, l’Eglise a été chassée des affaires publiques par la grande porte grâce à la République, aujourd’hui elle revient par la fenêtre grâce à l’Union européenne.
L’IXE fait un constat, suite à la victoire du NON de mai 2005 :
"Au lendemain de l'élargissement de l'Union européenne de 2004 qui aurait dû être porteur d'espoir, l'Europe est aujourd'hui confrontée au doute et à la peur. Les difficultés du contexte international, le vieillissement démographique et la montée de l'individualisme et des égoïsmes nationaux fragilisent cette construction."
"A la veille du 50ème anniversaire du Traité de Rome, que constatons-nous ? La dynamique européenne est bloquée. L'adoption de l'euro a été un succès mais la réunification historique qu'a réalisée l'Union européenne avec l'adhésion de douze nouveaux Etats membres n'a pas été accompagnée par les réformes institutionnelles nécessaires à son bon fonctionnement, réformes pourtant en chantier depuis 15 ans.
Pourquoi une telle situation ? Le projet européen dispose dans certains pays de moins de soutien et d'adhésion des citoyens. Leur désenchantement à l'égard de l'Europe s'exprime presque partout dans la faible participation aux derniers scrutins européens et constitue la cause majeure du rejet du Traité constitutionnel par deux des États fondateurs - la France et les Pays-Bas - et, au-delà, de la crise actuelle.
"

L’IXE a ses exigences :
"Au-delà des adaptations institutionnelles, nous attendons des chefs d'Etat et de gouvernement qu'ils définissent une véritable Ethique de la gouvernance européenne :
- en préparant les opinions publiques à vivre dans un nouveau cadre institutionnel et à s'approprier les enjeux de l'Europe réunifiée,
- en renouvelant la coexistence dynamique entre les institutions européennes et les gouvernements nationaux pour éviter la renaissance des souverainismes,
- en réapprenant la subsidiarité, ce qui suppose une responsabilisation des acteurs, notamment au niveau régional, local, et de la société civile.
La transformation des consciences à l'égard de l'Europe suppose une réhabilitation du politique et une mobilisation des tous les acteurs potentiels d'une communication positive (…). Nous pensons que ce changement des mentalités ne dépend pas seulement de nos dirigeants politiques. A leur niveau, les acteurs de la société civile doivent aussi prendre des initiatives.
"
Ce qui est étonnant, c’est la similitude, pour ne pas dire les « copier-coller » entre ce texte de l’IXE et le Livre Blanc sur la Gouvernance de l’Union européenne paru en 2001.

Crise de la protection sociale ou crise du modèle social européen ?
Les dernières Semaines Sociales de France, qui se sont tenues à Paris les 24 et 25 novembre derniers, nous donnent les clefs, non pas de Saint Pierre, mais de ce mystère. Le bientôt nouveau président des Semaines Sociales de France, Jérôme Vignon, qui succèdera en 2007 à Michel Camdessus, y fait une conférence intitulée "Crise de la protection sociale ou crise du modèle social européen ? La conscience chrétienne peut-elle nous aider à répondre aujourd’hui à la question « qu’est-ce qu’une société juste ? »"
Jérôme Vignon, issu de Polytechnique – X = IXE ! -, est haut fonctionnaire à la Commission européenne. Il a été conseiller au secrétariat général de la Commission européenne sur les réflexions concernant la gouvernance européenne et il a donc été le chef de l'équipe Gouvernance qui a préparé le Livre Blanc. De 1974 à 1978, il préside le MCC (Mouvement Chrétien de Cadres et dirigeants). C’est un fidèle-fidèle de Jacques Delors : il est membre de son cabinet quand il est ministre des finances du gouvernement Mauroy, puis il devient en 1984 son collaborateur à la Commission de Bruxelles. Il est actuellement directeur à la Commission européenne chargé de la protection sociale et de l'intégration. Il préside les Assises chrétiennes de la mondialisation (ACM) qui regroupent les mouvements laïcs chrétiens français.
Voici donc quelques extraits de cette conférence édifiante. Qui veut, comme dirait Rabelais, « rompre l'os et sucer la substantifique moelle » de cet exposé, y retrouvera sans peine les arômes et les saveurs non seulement du Livre Blanc sur la Gouvernance de l’Union européenne, mais encore des déclarations des différentes institutions vaticanes sur le sujet et enfin des positions de certain(e)s candidat(e)s aux plus hautes fonctions de l’Etat. La parole est au Révérend père Vignon, "homme de gauche" et (très) haut fonctionnaire de l'Union européenne :
"Quelle contribution attendre des Chrétiens à l'orientation vers une société de justice, dans le contexte de "crise du modèle social" qui est le nôtre ? La démarche consistera à situer les Chrétiens comme partie prenante à un débat sur la justice qui ne nous a pas attendu. Nous devons en prendre acte pour mesurer où notre engagement est requis, où les Chrétiens pourraient apporter une "contribution", nourrie de l'esprit des Béatitudes. Pour faire simple, la démarche que je propose distingue entre la question d'une société juste(qui est l'expression en démocratie pluraliste d'un socle de principes communs normatifs, un peu comme un socle constitutionnel) et celle d'une société bonne qui prend parti, au-delà des principes communs, sur les actions concrètes qui donnent vie à ces principes, au nom d'une orientation morale.
Le modèle social européen construit au cours de 150 ans d’histoire industrielle et économique a été forgé par la nécessité d’établir la paix sociale en réponse à la question sociale issue de la condition ouvrière.
Dans ce modèle, la dimension de justice se manifeste particulièrement par :
- L'étendue des droits sociaux (droit à un travail ; droit à une protection en cas de perte ou d'absence de travail ; droit à une représentation collective)
- La dynamique du contrat de travail qui lie de façon réciproque le salarié et l'employeur.
On note au passage la résonance très forte entre la doctrine sociale de l'Eglise, depuis l'encyclique Rerum Novarum de Léon XIII et ce modèle social européen aux valeurs fortes :
le travail n’est pas une marchandise, les corps intermédiaires préviennent l’inégalité des contrats, le faible voit sa survie garantie par la solidarité de la protection sociale."

La « flexicurité » influence désormais la conception des politiques sociales et d'emploi.
"Par "flexicurité", il faut comprendre (...) une vision qui concerne l'ensemble des personnes constituant la population en âge de travailler dans la perspective du cycle de vie : étant admis que ce cycle comportera davantage de changements et donc davantage de transitions (c'est l'aspect flexibilité), comment donner à chacun davantage de maîtrise de son parcours grâce au ressourcement professionnel et familial, grâce aux revenus de remplacement, grâce aux "accompagnements personnalisés" ( c'est l'aspect sécurité)...
Tony BLAIR, social-démocrate, par ailleurs anglican engagé et très sensible à la foi catholique, un défenseur farouche de la thèse de la responsabilité, est-il moins chrétien que Romano PRODI, chrétien social qui reste très attaché à l'appui que chacun doit continuer de trouver dans des solidarités de voisinage et auprès des partenaires sociaux ? (...)

Comment la conscience chrétienne nous oriente-t-elle dans ce contexte en pleine effervescence de créativité sociale ?
Dans des situations de plus en plus complexes, la manière compte autant que la finalité ou l'objectif. Récemment, à l'occasion d'une confrontation d'expérience, que nous avions organisé à Bruxelles sur les processus de réforme des systèmes de santé, j'ai été touché par un échange de vues entre des praticiens suédois, luxembourgeois, espagnols, portugais et lettons. L'enjeu était le contrôle de la qualité en vue de la maîtrise des dépenses de santé, dans le secteur hospitalier. Ici transparaissait non pas l'organisation, mais la manière suédoise, faite d'une interaction continue et réciproque, entre un organe central qui émet des normes de qualité et d'efficience pour certains protocoles coûteux et les 21 districts suédois gérés de manière décentralisée. L'organisation, c'était dans ce cas la décentralisation, comme c'est de plus en plus la règle pour des situations complexes. Mais la manière, ce qui a suscité le plus de questions et d'échange, c'était l'interaction entre les niveaux géographiques, entre les responsabilités médicales et gestionnaires, une manière ouverte au dialogue et où la décision se rattache à une évaluation. Cette distinction entre "organisation" et "manière", entre structures et modalités suggère que le charisme chrétien, si on peut ainsi le nommer ne se situe pas dans le vent violent des réformes et de leurs annonces, mais dans la brise légère de la mise en oeuvre concrète, longanime. de leur application. Pour qu'une société soit juste, il faut certainement d'abord que les principes normatifs collectifs qui inspirent ses règles et ses lois soient justes. Mais cela ne suffit pas, il faut aussi que ces règles soient habitées par des justes."
La situation française
"Notre pays est certes plus laïc, mais sans doute moins profondément sécularisé que d'autres. Ce que nous perdons en visibilité institutionnelle (les Eglises ne font pas partie de l'appareil public), nous le gagnons en tant que composante chrétienne d'un pluralisme laïc. Les chrétiens font en France partie du corps social ; ils ont joué un rôle très actif dans la formation des institutions du social de notre pays. Souvenons-nous de l'extraordinaire discours de Martine AUBRY, à Lille en Septembre 2004, à l'occasion du centième anniversaire [des SSF], avec cette véritable litanie des réalisations pionnières en matière de prévoyance sociale, initiée en France par les militants sociaux chrétiens.
Nous serions bien mal venus, surtout nous exprimant comme Chrétiens, de céder au pessimisme, ou de rentrer dans la diatribe entre "décliniste' et partisans acharnés du "modèle français". Les Français, comme le montre le rapport qui vient d'être soumis par Jacques DELORS, président du CERC, au Premier Ministre intitulé "une France en transition", montre que les Français ont l'intelligence des changements nécessaires et qu'ils ont été d'importants ajustements de leur système social. Je pense particulièrement à la réforme récente des retraites, qui s'est attaquée au cœur de la difficulté à savoir l'allongement de la durée de vie au travail et l'inégalité de l'espérance de vie après le départ en retraite. Même la CGT, souvent citée comme bloc monolithique, est aujourd'hui le lieu d'un débat profond sur ce que constituent vraiment les intérêts matériels des travailleurs.
Je note ainsi qu'à Bruxelles, CGT, CFDT et CFTC font partie d'une même Confédération syndicale européenne, ce qui n'était pas le cas il y a 5 ans."

Ite missa est.

22 avril 2007

Onfray fraye avec le "grand fauve" et feint l'effroi...

Figaro
J’étais né pour être courtisan
Suzanne
On dit que c’est un métier si difficile !
Figaro
Recevoir, prendre, et demander, voilà le secret en trois mots.
Beaumarchais - Le Mariage de Figaro - acte II scène 2

"Tout fait signe. Les deux héros sont assis de trois-quarts, (ni face-à-face, ni dos-à-dos, ni côte-à-côte), sur deux chaises du mobilier national, elles-mêmes rapprochées sur un tapis circulaire (métaphore évidente de l’isolat intellectuel où nos deux grands esprits se sont rejoints, dépassant dans la méditation et l’échange leurs conflits initiaux). "
Blog "Modernes Persaneries"
Le 20 février dernier, Michel Onfray était reçu par Nicolas Sarkozy dans le cadre d’une initiative lancée par PHILOSOPHIE MAGAZINE.
Une idée follement amusante : l’intello emblématique de la gauche libertaro-altermondialiste qui appelle un jour à voter pour l’un, le lendemain pour l’autre et le surlendemain pour un autre encore, va discuter philo avec Sarko le postfacho ! What a scoop !
Qu’on se le dise, et si on ne se le dit pas, Onfray nous l’explique en long, en large et en travers dans son blog ; il a accepté cette entrevue pour une et une seule raison, il aime, que voulez-vous, il ADORE approcher les « grands fauves ».
Rien que d'y songer, maman, quels frissons !
A tel point qu’il aurait même accepté l’inimaginable – rencontrer, oui, RENCONTRER l’horrifique Le Pen :
« j’aurais même consenti à Jean-Marie Le Pen tant l’approche de l’un de ces animaux politiques m’intéressait comme on visite un zoo ou un musée des horreurs dans une faculté de médecine. »
Notre Onfray n'a pas que des neurones, il a aussi une sacrée paire de cacahuètes !
Mais comme faute de grives, on mange des merles, faute de Le Pen, notre philosophe dût se contenter de Sarkozy.
Néanmoins, Sarko, c’est tout de même un bien gros merle, si gros même que dans l’antichambre, notre gentil philosophe est propulsé des années en arrière, dans ses frayeurs infantiles, et devient le Petit Chaperon Rouge (« rouge », ho-ho-ho !) : « Je me trouvais donc dans l’antichambre du bureau de la fameuse grand mère Sarkozy, place Beauvau (…) » .
En guise de galette et de petit pot de beurre, le petit Onfray a apporté au grand méchant Sarko quatre cadeaux très mutins, joliment emballés s’il vous plaît, car il y a quatre loups dans l’animal :
« Au ministre de l’intérieur adepte des solutions disciplinaires : Surveiller et punir de Michel Foucault ; au catholique qui confesse que, de temps en temps, la messe en famille l’apaise : L’Antéchrist de Nietzsche ; pour le meurtre du père, le chef de la horde primitive : Totem et tabou de Freud ; pour le libéral qui écrit que l’antilibéralisme c’est « l’autre nom du communisme » ( il dit n’avoir pas dit ça, je sors mes notes et précise le livre, la page…) : Qu’est-ce que la propriété ? de Proudhon. Comme un enfant un soir de Noël, il déchire avidement. Il ajoute : « j’aime bien les cadeaux ». Puis : « Mais je vais donc être obligé de vous en faire alors ? »… Comme prévu. »
« Comme prévu » ! Il est maléfique, notre Onfray, il avait tout calculé ! Ha ! Quand la puissance de l’esprit l’emporte sur la force brute ! Chaque mot, chaque geste fait par le grand méchant Sarko est en réalité anticipé par les petites cellules grises du Petit Chaperon Rouge. Au tour du grand méchant Sarko de redevenir enfant – mais enfant comblé et non terrorisé -, et au tour d’Onfray de prendre le rôle du père – mais du père Noël et non du père Fouettard.
Le Philosophe a maté la Bête ! Le Philosophe est un dompteur émérite, car le début de cet entretien laissait craindre un affrontement de Titans :
« Grand Fauve blessé, il a lu mes pages de blog et me toise – bien qu’assis dans un fauteuil près de la cheminée. Il a les jambes croisées, l’une d’entre elles est animée d’un incessant mouvement de nervosité, le pied n’arrête pas de bouger. (…) Plus il en rajoute dans la nervosité, plus j’exhibe mon calme. »
« Premier coup de patte, toutes griffes dehors, puis deuxième, troisième, il n’arrête plus, se lâche, agresse, tape, cogne, parle tout seul, débit impossible à contenir ou à canaliser.
La force affichée masque mal la faiblesse viscérale et vécue. Aux sommets de la République, autrement dit dans la cage des grands Fauves politiques, on ne trouve semble-t-il qu’impuissants sur eux-mêmes et qui, pour cette même raison, aspirent à la puissance sur les autres. Je me sens soudain Sénèque assis dans le salon de Néron »
« Et je voyais là, dans le regard devenu calme du Fauve épuisé par sa violence, un vide d’homme perdu qui, hors politique, se défie des questions car il redoute les réponses, et qui, dès qu’il sort de son savoir faire politicien, craint les interrogations existentielles et philosophiques car il appréhende ce qu’elles pourraient lui découvrir de lui qui court tout le temps pour n’avoir pas à s’arrêter sur lui-même.Les soixante minutes techniquement consenties s’étaient allongées d’une trentaine d’autres. (…) Je trouvais l’heure venue pour offrir mes cadeaux. »
« Dans l’entrebâillement de la porte de son bureau, la tension est tombée. Qui prend l’initiative de dire que la rencontre se termine mieux qu’elle n’a commencé ? Je ne sais plus. Il commente : « Normal, on est deux bêtes chacun dans notre genre, non ? Il faut que ça se renifle des bêtes comme ça… ». Je suis sidéré du registre : l’animalité, l’olfaction, l’odorat. Le degré zéro de l’humanité donc. Je le plains plus encore. Je conçois que Socrate le plongerait dans des abîmes dont il ne reviendrait pas… Du moins : dont l’homme politique ne reviendrait pas. Ou, disons le autrement : dont l’homme politique reviendrait, certes, mais en ayant laissé derrière lui sa défroque politique pour devenir enfin un homme. »

C’est la fin de l’entretien. Somme toute, les deux hommes sont dans le même registre animalier : à l’un « l’approche des grands Fauves », à l’autre « les bêtes qui se reniflent ». C’est certes plus trivialement dit chez Mère-Grand Sarko.
Mais enfin, cette heure et demie passée à « se renifler » avait apparemment un petit goût de reviens-y, car
« Rendez-vous fut donc pris pour une seconde séance. Elle eut lieu au même endroit le Jeudi 1° mars. (…) Apparemment, Nicolas Sarkozy n’avait pas prévu que je revienne accompagné et m’attendait pour un petit déjeuner en tête à tête …
Nous ne parlons pas de sujets qui fâchent – politique, gaullisme, libéralisme, religion, présidentielles, ministère de l’intérieur- et commençons de plain pied avec Sénèque qu’un ami – probablement de qualité…- lui a conseillé de lire au moment de sa traversée du désert après l’aventure du soutien à Edouard Balladur.
Je conçois que ce livre puisse produire les meilleurs effets sur un homme du commun, mais sur un homme qui évolue dans les couloirs des officines les plus élevées de la République, je suis curieux de l’effet.
»
Notre Philosophe vient donc toujours en scientifique, qu’on ne s’y trompe pas. Il connaît tous les effets de la lecture de Sénèque sur le vulgum pecus. Sa grande curiosité intellectuelle l’amène à l’observation d’un « Grand » :
« Car on oublie cette vérité élémentaire que, derrière l’icône médiatique, la caricature journalistique, la réduction de l’image publique, les clichés qui constituent l’occasion d’une réputation, bonne ou mauvaise, les images qui amplifient l’amour des conquis ou développent la haine des opposants, il existe un homme de chair et d’os, d’âme et de peur, d’angoisses et de faiblesses, de fragilités et de névroses, un être qui entretient avec les fantômes de son enfance et les spectres de sa mort, ou de celle des êtres qui comptent pour lui, une relation intime dans laquelle tout est dit, mais codé, transfiguré par un inconscient qui enterre tout cela, ne laissant dépasser de temps en temps que des morceaux d’os et des fragments d’âme. »
Quand le Grand Méchant Loup a lu ces lignes, il a dû fondre en larmes et bêler comme l’agneau qui vient de naître. Sacré Onfray ! Comme il vous a disséqué le monstre sacré sans avoir l’air, en l’espace de deux séances ! Et il y va de son conseil, à la Sénèque (qui a éduqué le terrible Néron) :
« En politique, il n’y a que des alliances opportunistes, des amitiés de tactique, des liaisons de stratégie aussi vite conclues que dénoncées. Dans cet univers vipérin, chacun cache une dague dans sa manche et l’on n’est jamais poignardé que par ses plus proches – ici comme ailleurs. Faire de la politique pour être aimé est une étrange démarche, car, dans ce bassin de murènes, on récolte bien plus souvent la haine, le mépris, la détestation dans ce monde ci que dans d’autres où, pourtant, les passions tristes font aussi la loi. Je ne crois donc pas Nicolas Sarkozy quand il avance cette idée écran : la politique pour être aimé…. A l’évidence, quelque chose d’autre se cache derrière ce paravent. »
Mais comment ne pas entendre ce cri d’amour qui veut transpercer le paravent : « C’est moi, ton Ami ! ». Seul le Philosophe peut entendre l’immense solitude du grand Fauve !
« Sentant probablement mon accord avec lui sur la jubilation dans l’exercice de ces vitesses existentielles, il me demande : « vous êtes comme ça vous aussi, non ? ». J’acquiesce. Il ajoute : « Je m’en doutais. J’ai le regret de vous dire qu’on pourrait partir en vacances ensemble ! (…) Je sens que cette idée de vacances est un piège, non qu’il me le tende à dessein, - du moins je ne le crois pas, je l’imagine sincère à ce moment…- mais parce que cet entretien, si Philosophie magazine conserve ce moment-là, ne sera probablement vu et lu que par le prisme de cette invite en forme de boutade. Je me réveille un peu, n’étant guère du matin. Le rêve des vacances devenu cauchemar m’a sorti du brouillard… Dehors les bruits de la ville, l’activité du monde, la rumeur de Paris. Le petit déjeuner se poursuit dans le calme. Finies la nervosité et l’agressivité des premiers moments de la semaine précédente, finis les gestes qui trahissaient la contrariété, l’agressivité, l’agitation. Dans ce bureau du ministre de l’intérieur, dans cet emploi du temps de candidat aux présidentielles, de patron d’une formation politique de droite majoritaire, nous parlons de Cohen et Rabelais, de Céline et Schopenhauer, de Sénèque et Shakespeare… Inattendu. »
Onfray-Sénèque et Sarkozy-Néron dans les ors de l’Elysée ! Le Fauve Philosophe et le Fauve Politique, péripatéticiens modernes devisant dans les jardins somptueux du palais sous les regards impavides des gardes républicains...
Avant une prochaine visite, Onfray devrait relire le Britannicus de Racine, ça le ramènerait peut-être sur terre. A l’acte IV de cette pièce, Néron s’explique :
« J’embrasse mon rival, mais c’est pour l’étouffer » . C’est ce que dans d’autres termes on appelle « le baiser de l’araignée » ou encore « l’étreinte mortelle ».
Mais il est vrai que
« Un bon courtisan peut, quand il est de race,
D’avance quinze jours flairer une disgrâce
»
Alexandre Dumas - Stockholm, Fontainebleau et Rome - Prologue

14 avril 2007

L'ordre de la "Société juste" contre "l'Europe apostate"


1) L'EUROPE APOSTATE
Au cours de la semaine du 25 mars, date anniversaire de sa signature, les 50 ans du Traité de Rome ont été fêtés avec pompes de Bruxelles jusqu'au Vatican.
Rien de tel qu'un anniversaire pour essayer une fois encore de faire oublier la monumentale claque de 2005 contre le Traité constitutionnel européen, ce clone du Traité de Maastricht.
Alors, tant qu'à faire, Joseph Ratzinger alias Benoît XVI, a choisi de faire une petite piqûre de rappel sur l'identité chrétienne de l'Europe lors de son discours devant un congrès européen réuni par la Commission des Conférences Episcopales de l'Europe sur le thème "Valeurs et perspectives pour l’Europe de demain" .
Il a expliqué en substance qu'on ne lui ferait pas manger sa tiare sur cette question fondamentale et qu'il avait les moyens de jouer les trouble-fêtes, car il a des alliés dans la place. Ratzinger n'y est pas allé avec le dos de l'encensoir : il a parlé du "risque d'apostasie de l'Europe" et appelé les responsables politiques chrétiens à "l'objection de conscience".
Voici quelques extraits de son discours :
"... on ne peut pas penser édifier une authentique "maison commune" européenne en négligeant l’identité propre des peuples de notre continent. Il s’agit en effet d’une identité historique, culturelle et morale, avant même d’être géographique, économique ou politique ; une identité constituée par un ensemble de valeurs universelles, que le christianisme a contribué à forger, acquérant ainsi un rôle non seulement historique, mais fondateur à l’égard de l’Europe. Ces valeurs, qui constituent l’âme du continent, doivent demeurer dans l’Europe du troisième millénaire comme un "ferment" de civilisation".
"... il apparaît toujours plus indispensable que l’Europe se garde d’adopter un comportement pragmatique, aujourd’hui largement diffusé, qui justifie systématiquement le compromis sur les valeurs humaines essentielles, comme si celui-ci était l’inévitable acceptation d’un prétendu moindre mal. "
"... lorsque s’ajoutent à ce pragmatisme des tendances et des courants laïcistes et relativistes, on finit par nier aux chrétiens le droit même d’intervenir en tant que tels dans le débat public ou, tout au moins, on dévalorise leur contribution en les accusant de vouloir sauvegarder des privilèges injustifiés. A l’époque historique actuelle, et face aux nombreux défis qui la caractérisent, l’Union européenne, pour être le garant valide de l’Etat de droit et le promoteur efficace de valeurs universelles, ne peut manquer de reconnaître avec clarté l’existence certaine d’une nature humaine stable et permanente, source de droits communs à toutes les personnes, y compris celles-là mêmes qui les nient. Dans ce contexte, il faut sauvegarder le droit à l’objection de conscience, chaque fois que les droits humains fondamentaux sont violés."

Ce discours est un acte politique en direction des responsables de l'Union européenne et en même temps un véritable rappel à l'ordre.
Angela Merkel (fille de pasteur...) a dès le lendemain donné raison au pape, s'excusant presque de ne pouvoir aller plus vite dans le sens de la reconnaissance des racines judéo-chrétiennes de l'Europe à cause "des profondes traditions séculières de séparation de l'Eglise et de l'Etat " qui existent en Europe.
Le président du Parlement européen et compatriote du pape, Hans-Gert Pöttering, le président polonais Lech Kaczynski sont bien entendu en parfaite osmose avec le discours prononcé le 24 mars à Rome.
Romano Prodi n'est pas resté les deux pieds dans le même sabot, puisqu'il a aussitôt réagi en proposant que soit "donné aux Eglises un rôle de consultation", car "en ces temps d'intégrisme, les Eglises sont un des éléments les plus stables de notre société".
A Rome, lors de ce congrès catholique, qui a aussi entendu Mario Monti, ancien commissaire européen, et Michel Camdessus, président des Semaines Sociales de France, des réseaux catholiques militants se sont fédérés : le ZDK (Centre des catholiques allemands), les intellectuels du groupe ZNAK en Pologne, les Semaines Sociales de France, l'Action Catholique Italienne, les Intellectuels Catholiques de Croatie et quelques autres.
A l'issue de leurs travaux, les 400 participants au congrès ont adressé aux chefs d’Etat et de gouvernement des Etats membres de l’Union européenne, au président du Parlement européen et au président de la Commission européenne une résolution dans laquelle il est notamment écrit :
"Il a fallu plus de cent ans à nos ancêtres pour construire une cathédrale pour quelques-uns; en cinquante ans, nous avons bâti une nouvelle « cathédrale » pour tous les Européens."
"Nous suivons avec attention le dialogue entre les chefs d’Etats et de gouvernements, le président du Parlement européen et le président de la Commission européenne afin d’envisager une solution commune qui permette de dépasser l’actuelle période de réflexion en Europe. Nous souhaitons que la solution institutionnelle qui sera atteinte sauvegarde la dignité humaine et les valeurs qui en dérivent, comme la liberté religieuse dans toutes ses dimensions, les droits institutionnels des Eglises et des communautés religieuses, et qu’elle reconnaisse explicitement l’héritage chrétien de notre continent."
"Nous demandons que l’UE soit guidée par les valeurs et les principes qui ont inspiré l’unification européenne depuis ses débuts. Il s’agit de la dignité humaine, l’égalité entre homme et femme, la paix et la liberté, la réconciliation et le respect mutuel, la solidarité et la subsidiarité, l’Etat de droit, la justice et la recherche du bien commun. Ils sont indispensables, en particulier dans un contexte de résurgence dans nos pays, de tendances nationalistes, racistes, xénophobes ainsi que des égoïsmes nationaux. Les institutions européennes devraient agir dans les domaines relevant de leur compétence, et non pas dans ceux qui relèvent des compétences nationales. C’est pourquoi nous appelons les Etats membres à respecter, dans le cadre de leurs législations démocratiques, la vie, de la conception à son terme naturel, et à promouvoir la famille en tant qu’union naturelle entre homme et femme dans le cadre du mariage. Le respect des droits civils et légaux des individus, ne doit pas porter atteinte à l’institution du mariage et à la famille comme fondement de la société."
Et pour conclure :
"Nous, chrétiens, nos communautés, nos associations et mouvements contribuerons par notre engagement à soutenir les initiatives qui respectent authentiquement la nature humaine créée à l’image et dans la ressemblance de Dieu, telle que révélées en la personne de Jésus-Christ et qui, dans cette optique, œuvrent de manière authentique en faveur de la réconciliation, de la paix, de la liberté, de la solidarité, de la subsidiarité, de la justice. Dans le processus d'intégration du continent, comme l’a rappelé le pape Jean-Paul II: « Il est capital de prendre en compte le fait que l'Union n'aurait pas de consistance si elle était réduite à ses seules composantes géographiques et économiques, mais qu'elle doit avant tout consister en une harmonisation des valeurs appelées à s'exprimer dans le droit et dans la vie. » (Ecclesia in Europa, 110).
Que le Seigneur bénisse l’Europe et que la Vierge Marie la protège."