22 avril 2007

Onfray fraye avec le "grand fauve" et feint l'effroi...

Figaro
J’étais né pour être courtisan
Suzanne
On dit que c’est un métier si difficile !
Figaro
Recevoir, prendre, et demander, voilà le secret en trois mots.
Beaumarchais - Le Mariage de Figaro - acte II scène 2

"Tout fait signe. Les deux héros sont assis de trois-quarts, (ni face-à-face, ni dos-à-dos, ni côte-à-côte), sur deux chaises du mobilier national, elles-mêmes rapprochées sur un tapis circulaire (métaphore évidente de l’isolat intellectuel où nos deux grands esprits se sont rejoints, dépassant dans la méditation et l’échange leurs conflits initiaux). "
Blog "Modernes Persaneries"
Le 20 février dernier, Michel Onfray était reçu par Nicolas Sarkozy dans le cadre d’une initiative lancée par PHILOSOPHIE MAGAZINE.
Une idée follement amusante : l’intello emblématique de la gauche libertaro-altermondialiste qui appelle un jour à voter pour l’un, le lendemain pour l’autre et le surlendemain pour un autre encore, va discuter philo avec Sarko le postfacho ! What a scoop !
Qu’on se le dise, et si on ne se le dit pas, Onfray nous l’explique en long, en large et en travers dans son blog ; il a accepté cette entrevue pour une et une seule raison, il aime, que voulez-vous, il ADORE approcher les « grands fauves ».
Rien que d'y songer, maman, quels frissons !
A tel point qu’il aurait même accepté l’inimaginable – rencontrer, oui, RENCONTRER l’horrifique Le Pen :
« j’aurais même consenti à Jean-Marie Le Pen tant l’approche de l’un de ces animaux politiques m’intéressait comme on visite un zoo ou un musée des horreurs dans une faculté de médecine. »
Notre Onfray n'a pas que des neurones, il a aussi une sacrée paire de cacahuètes !
Mais comme faute de grives, on mange des merles, faute de Le Pen, notre philosophe dût se contenter de Sarkozy.
Néanmoins, Sarko, c’est tout de même un bien gros merle, si gros même que dans l’antichambre, notre gentil philosophe est propulsé des années en arrière, dans ses frayeurs infantiles, et devient le Petit Chaperon Rouge (« rouge », ho-ho-ho !) : « Je me trouvais donc dans l’antichambre du bureau de la fameuse grand mère Sarkozy, place Beauvau (…) » .
En guise de galette et de petit pot de beurre, le petit Onfray a apporté au grand méchant Sarko quatre cadeaux très mutins, joliment emballés s’il vous plaît, car il y a quatre loups dans l’animal :
« Au ministre de l’intérieur adepte des solutions disciplinaires : Surveiller et punir de Michel Foucault ; au catholique qui confesse que, de temps en temps, la messe en famille l’apaise : L’Antéchrist de Nietzsche ; pour le meurtre du père, le chef de la horde primitive : Totem et tabou de Freud ; pour le libéral qui écrit que l’antilibéralisme c’est « l’autre nom du communisme » ( il dit n’avoir pas dit ça, je sors mes notes et précise le livre, la page…) : Qu’est-ce que la propriété ? de Proudhon. Comme un enfant un soir de Noël, il déchire avidement. Il ajoute : « j’aime bien les cadeaux ». Puis : « Mais je vais donc être obligé de vous en faire alors ? »… Comme prévu. »
« Comme prévu » ! Il est maléfique, notre Onfray, il avait tout calculé ! Ha ! Quand la puissance de l’esprit l’emporte sur la force brute ! Chaque mot, chaque geste fait par le grand méchant Sarko est en réalité anticipé par les petites cellules grises du Petit Chaperon Rouge. Au tour du grand méchant Sarko de redevenir enfant – mais enfant comblé et non terrorisé -, et au tour d’Onfray de prendre le rôle du père – mais du père Noël et non du père Fouettard.
Le Philosophe a maté la Bête ! Le Philosophe est un dompteur émérite, car le début de cet entretien laissait craindre un affrontement de Titans :
« Grand Fauve blessé, il a lu mes pages de blog et me toise – bien qu’assis dans un fauteuil près de la cheminée. Il a les jambes croisées, l’une d’entre elles est animée d’un incessant mouvement de nervosité, le pied n’arrête pas de bouger. (…) Plus il en rajoute dans la nervosité, plus j’exhibe mon calme. »
« Premier coup de patte, toutes griffes dehors, puis deuxième, troisième, il n’arrête plus, se lâche, agresse, tape, cogne, parle tout seul, débit impossible à contenir ou à canaliser.
La force affichée masque mal la faiblesse viscérale et vécue. Aux sommets de la République, autrement dit dans la cage des grands Fauves politiques, on ne trouve semble-t-il qu’impuissants sur eux-mêmes et qui, pour cette même raison, aspirent à la puissance sur les autres. Je me sens soudain Sénèque assis dans le salon de Néron »
« Et je voyais là, dans le regard devenu calme du Fauve épuisé par sa violence, un vide d’homme perdu qui, hors politique, se défie des questions car il redoute les réponses, et qui, dès qu’il sort de son savoir faire politicien, craint les interrogations existentielles et philosophiques car il appréhende ce qu’elles pourraient lui découvrir de lui qui court tout le temps pour n’avoir pas à s’arrêter sur lui-même.Les soixante minutes techniquement consenties s’étaient allongées d’une trentaine d’autres. (…) Je trouvais l’heure venue pour offrir mes cadeaux. »
« Dans l’entrebâillement de la porte de son bureau, la tension est tombée. Qui prend l’initiative de dire que la rencontre se termine mieux qu’elle n’a commencé ? Je ne sais plus. Il commente : « Normal, on est deux bêtes chacun dans notre genre, non ? Il faut que ça se renifle des bêtes comme ça… ». Je suis sidéré du registre : l’animalité, l’olfaction, l’odorat. Le degré zéro de l’humanité donc. Je le plains plus encore. Je conçois que Socrate le plongerait dans des abîmes dont il ne reviendrait pas… Du moins : dont l’homme politique ne reviendrait pas. Ou, disons le autrement : dont l’homme politique reviendrait, certes, mais en ayant laissé derrière lui sa défroque politique pour devenir enfin un homme. »

C’est la fin de l’entretien. Somme toute, les deux hommes sont dans le même registre animalier : à l’un « l’approche des grands Fauves », à l’autre « les bêtes qui se reniflent ». C’est certes plus trivialement dit chez Mère-Grand Sarko.
Mais enfin, cette heure et demie passée à « se renifler » avait apparemment un petit goût de reviens-y, car
« Rendez-vous fut donc pris pour une seconde séance. Elle eut lieu au même endroit le Jeudi 1° mars. (…) Apparemment, Nicolas Sarkozy n’avait pas prévu que je revienne accompagné et m’attendait pour un petit déjeuner en tête à tête …
Nous ne parlons pas de sujets qui fâchent – politique, gaullisme, libéralisme, religion, présidentielles, ministère de l’intérieur- et commençons de plain pied avec Sénèque qu’un ami – probablement de qualité…- lui a conseillé de lire au moment de sa traversée du désert après l’aventure du soutien à Edouard Balladur.
Je conçois que ce livre puisse produire les meilleurs effets sur un homme du commun, mais sur un homme qui évolue dans les couloirs des officines les plus élevées de la République, je suis curieux de l’effet.
»
Notre Philosophe vient donc toujours en scientifique, qu’on ne s’y trompe pas. Il connaît tous les effets de la lecture de Sénèque sur le vulgum pecus. Sa grande curiosité intellectuelle l’amène à l’observation d’un « Grand » :
« Car on oublie cette vérité élémentaire que, derrière l’icône médiatique, la caricature journalistique, la réduction de l’image publique, les clichés qui constituent l’occasion d’une réputation, bonne ou mauvaise, les images qui amplifient l’amour des conquis ou développent la haine des opposants, il existe un homme de chair et d’os, d’âme et de peur, d’angoisses et de faiblesses, de fragilités et de névroses, un être qui entretient avec les fantômes de son enfance et les spectres de sa mort, ou de celle des êtres qui comptent pour lui, une relation intime dans laquelle tout est dit, mais codé, transfiguré par un inconscient qui enterre tout cela, ne laissant dépasser de temps en temps que des morceaux d’os et des fragments d’âme. »
Quand le Grand Méchant Loup a lu ces lignes, il a dû fondre en larmes et bêler comme l’agneau qui vient de naître. Sacré Onfray ! Comme il vous a disséqué le monstre sacré sans avoir l’air, en l’espace de deux séances ! Et il y va de son conseil, à la Sénèque (qui a éduqué le terrible Néron) :
« En politique, il n’y a que des alliances opportunistes, des amitiés de tactique, des liaisons de stratégie aussi vite conclues que dénoncées. Dans cet univers vipérin, chacun cache une dague dans sa manche et l’on n’est jamais poignardé que par ses plus proches – ici comme ailleurs. Faire de la politique pour être aimé est une étrange démarche, car, dans ce bassin de murènes, on récolte bien plus souvent la haine, le mépris, la détestation dans ce monde ci que dans d’autres où, pourtant, les passions tristes font aussi la loi. Je ne crois donc pas Nicolas Sarkozy quand il avance cette idée écran : la politique pour être aimé…. A l’évidence, quelque chose d’autre se cache derrière ce paravent. »
Mais comment ne pas entendre ce cri d’amour qui veut transpercer le paravent : « C’est moi, ton Ami ! ». Seul le Philosophe peut entendre l’immense solitude du grand Fauve !
« Sentant probablement mon accord avec lui sur la jubilation dans l’exercice de ces vitesses existentielles, il me demande : « vous êtes comme ça vous aussi, non ? ». J’acquiesce. Il ajoute : « Je m’en doutais. J’ai le regret de vous dire qu’on pourrait partir en vacances ensemble ! (…) Je sens que cette idée de vacances est un piège, non qu’il me le tende à dessein, - du moins je ne le crois pas, je l’imagine sincère à ce moment…- mais parce que cet entretien, si Philosophie magazine conserve ce moment-là, ne sera probablement vu et lu que par le prisme de cette invite en forme de boutade. Je me réveille un peu, n’étant guère du matin. Le rêve des vacances devenu cauchemar m’a sorti du brouillard… Dehors les bruits de la ville, l’activité du monde, la rumeur de Paris. Le petit déjeuner se poursuit dans le calme. Finies la nervosité et l’agressivité des premiers moments de la semaine précédente, finis les gestes qui trahissaient la contrariété, l’agressivité, l’agitation. Dans ce bureau du ministre de l’intérieur, dans cet emploi du temps de candidat aux présidentielles, de patron d’une formation politique de droite majoritaire, nous parlons de Cohen et Rabelais, de Céline et Schopenhauer, de Sénèque et Shakespeare… Inattendu. »
Onfray-Sénèque et Sarkozy-Néron dans les ors de l’Elysée ! Le Fauve Philosophe et le Fauve Politique, péripatéticiens modernes devisant dans les jardins somptueux du palais sous les regards impavides des gardes républicains...
Avant une prochaine visite, Onfray devrait relire le Britannicus de Racine, ça le ramènerait peut-être sur terre. A l’acte IV de cette pièce, Néron s’explique :
« J’embrasse mon rival, mais c’est pour l’étouffer » . C’est ce que dans d’autres termes on appelle « le baiser de l’araignée » ou encore « l’étreinte mortelle ».
Mais il est vrai que
« Un bon courtisan peut, quand il est de race,
D’avance quinze jours flairer une disgrâce
»
Alexandre Dumas - Stockholm, Fontainebleau et Rome - Prologue