26 mai 2007

le contresens de Luiz Inacio Lula da Silva

A l'attention de toutes celles et de tous ceux qui ont été pris d'un gros doute après la visite de cinq jours de Benoît XVI au Brésil, le président brésilien Luiz Inacio Lula da Silva a tenu à affirmer haut et fort que "la laïcité figure dans la Constitution" et que le caractère laïque de l'Etat est bien une "garantie de continuité démocratique".
Très bien, dira-t-on. Mais attention à la suite : "Il est important d'avoir toujours comme principe, ici au Brésil, le respect des différentes religions. Nombre de religions sont représentées au Brésil et nous devons les faire coexister de la manière la plus respectueuse et la plus démocratique possible. Donc je suis convaincu que l'Etat laïque est une garantie de continuité démocratique pour le Brésil".
Les laïques brésiliens n'ont pas dû se sentir beaucoup plus rassurés par cette intervention qui présente la laïcité comme une simple juxtaposition des religions. Car la laïcité n’est pas l’addition des cultes telle qu’on la voit le dimanche matin sur une chaîne publique française. Non, la laïcité n’est pas acte de tolérance, politique d’insertion des prêtres, imams, pasteurs et rabbins comme acteurs de la vie publique que ce soit au Brésil, en France, en Turquie et partout ailleurs dans le monde.
Ce qui donne sa valeur universelle à la laïcité, c'est la garantie d’avoir les mêmes droits et les mêmes devoirs au sein de la République (la "res publica", les affaires publiques) une et indivisible dans la mesure où la vie spirituelle de chacun relève strictement du domaine privé (que l’on soit croyant mono ou polythéiste, agnostique ou athée).

où l'on reparle de "l'ordre juste"...
Mais le président brésilien ne s'est pas contenté de ce contresens tristement commun à tous les partisans de la laïcité "ouverte et plurielle". Il a en effet ajouté, fort d'une discussion d'une heure sur les questions sociales avec Benoït XVI : "Beaucoup de gens disent ou écrivent que le pape est extrêmement conservateur. Mais, en réalité, le pape a eu un comportement révélant un grand engagement sur les questions sociales. Il a fait preuve d'un vif intérêt pour comprendre les problèmes propres au Brésil. Dans plusieurs discours, il a émis de profondes critiques à l'égard de la criminalité, la violence, l'abandon social dont sont victimes les pauvres dans le monde".
Le président Lula pèche par omission, car pendant sa visite de cinq jours, le pape a clamé "urbi et orbi" les principes connus pour intangibles de l'Eglise catholique sur l'avortement, l'homosexualité etc. Il a également fait part de sa "préoccupation devant des formes de gouvernement autoritaires, ou inspirées de certaines idéologies dépassées, et qui ne correspondent pas à la vision chrétienne de l'homme et de la société". Tout le monde, sauf Lula qui était occupé à autre chose à ce moment-là, a facilement reconnu derrière les mots papaux le Bolivien Evo Morales de Bolivie, l'Equatorien Rafael Correa, et bien sûr le Vénézuelien Hugo Chavez.
Dans la foulée, le pape a stigmatisé les "erreurs destructrices des tendances qui ont dominé le siècle dernier : les systèmes marxistes et capitalistes qui ont exclu Dieu de leur horizon" et qui à cause de cette négation n'ont pu mettre en place des "structures justes", car "des structures justes ne peuvent pas fonctionner sans un consensus moral de la société fondé sur les valeurs fondamentales."
Le Vatican négocie actuellement avec le Brésil un accord pour promouvoir l'enseignement religieux...

et pour finir : Benito el Conquistador
Lors de ce périple, Benoît XVI a enfin déclaré que les Indiens d'Amérique latine «attendaient silencieusement» de devenir des chrétiens lorsqu'il y a cinq siècles les colonisateurs espagnols et portugais ont envahi le continent et massacré des populations indigènes entières.
Rappelons simplement qu'en 1519, le Mexique comptait 25 millions d'habitants. 20 ans plus tard, en 1540, il n'en comptait plus qu'un million et demi... Ce qui fera dire à l'évêque de Mexico alors en place que les conquêtes étaient en réalité "d'épouvantables boucheries".
Benoît XVI voit les choses tout autrement :
"L'annonce de Jésus et de son Evangile n'a comporté à aucun moment une aliénation des cultures précolombiennes", a-t-il affirmé, ajoutant que «le Christ était le sauveur que les populations indigènes désiraient silencieusement».
Hallucinant.
Mais à ce moment-là, Luiz Inacio Lula da Silva dormait certainement du sommeil du juste...

la laïcité est bien une valeur universelle : la preuve par Izmir

Le 13 mai dernier à Izmir, cité portuaire sur les bords de la mer Egée - l'antique Smyrne - et 3ème ville de la Turquie, près de 2 millions de manifestants se sont rassemblés pour le maintien du régime laïque en vigueur.
Cette manifestation était la troisième après celles organisées en avril à Istanbul et Ankara.
Sous un soleil éclatant, nombre de manifestants portaient des banderoles antigouvernementales ainsi que des drapeaux turcs, rouge et blanc, et des portraits de Mustafa Kemal Atatürk, le fondateur de la Turquie moderne et laïque dans les années 1920. Dans le cortège long de plus de 2 kilomètres, mais aussi aux fenêtres et aux balcons, sur les bus et sur les bateaux accostés dans la baie d’Izmir.
Les puissantes mobilisations qui se succèdent depuis un mois s’opposent à l’élection à la présidence de la République du candidat du Parti de la Justice et du Développement (AKP), Abdullah Gül, qui a finalement dû renoncer.
Des élections législatives anticipées ont été convoquées pour le 22 juillet et le Parlement a adopté un amendement constitutionnel visant à faire élire le Président de la République au suffrage universel direct. Un pas de plus vers une bonapartisation du régime – ce que nous connaissons bien en France depuis 1965 et l’instauration du « coup d’Etat permanent » par le général de Gaulle.
Les manifestants ont appelé les dirigeants des partis laïques divisés à s’unir contre le gouvernement Erdogan, qui cherche à imposer les valeurs religieuses au pays. On pouvait lire sur des pancartes « Non à la loi islamique, non aux coups d’Etat militaires : une Turquie démocratique » en protestation contre l’initiative de l’armée d’intervenir lors des élections présidentielles pour préserver la laïcité.
Le gouvernement Erdogan rejette l’accusation selon laquelle il aurait une « feuille de route » pour imposer la loi islamique aux Turcs. Il répond à cela qu’il a fait bien plus que beaucoup d’autres gouvernements pour appliquer des réformes à l’occidentale qui témoignent de ses efforts pour rejoindre l’Union Européenne et qu’il a travaillé en étroite collaboration avec le Fonds Monétaire International sur les réformes économiques.


Certains manifestants d’Izmir brandissaient des banderoles qui dénonçait l’Union Européenne et les Etats-Unis ; l’une parce qu’elle interfère dans les affaires intérieures de la Turquie, l’autre parce que ses forces d’occupation mettent un pays voisin à feu et à sang : l’Irak.

12 mai 2007

Armé de sa liberté de penser

VENDREDI 25 MAI
à 18h30
DERNIERE MINUTE
La Mairie de Toulouse vient de nous informer que la salle Castelbou initialement prévue pour la conférence de Jacques Lafouge était "réquisitionnée" pour un candidat aux législatives.
> LA CONFERENCE AURA DONC LIEU A LA SALLE CUVIER,

PRES DU LYCEE RAYMOND NAVES, ROUTE D'ALBI (1 bis rue Francis Lopez) toujours à 18h30.

CONFERENCE
de
Jacques LAFOUGE

Franc-maçonnerie
et
République


Jacques Lafouge, libre penseur, ancien Grand Maître du Grand Orient de France
(un article paru dans LA REPUBLIQUE DES PYRENEES le 3 Février 2007 )

" Je n'appartiens a aucun parti, à aucune religion : je suis un homme libre " : tel est le credo de cet infatigable apôtre de la liberté de conscience.
" J 'ai tous les défauts : je suis franc-maçon, libre penseur, humaniste et de gauche " glisse Jacques Lafouge avec un sourire.
" Et je n'appartiens à aucun parti : je suis un homme libre. Je n'ai même pas de téléphone portable ! " Il y a tout juste 10 ans, Jacques Lafouge était Grand Maître du Grand Orient de France, le premier issu du Sud-Ouest depuis un siècle. Initié à Bordeaux à 40 ans, il avait gravi tous les échelons de la plus importante obédience maçonnique française: " J’ai été élu Grand Maître après la crise de 1995. J’étais revenu de Colombie trois jours à peine avant le Convent, le grand rassemblement du Grand Orient. "
Ce proche de Patrick Kessel, le Grand Maître sortant, trouve alors une obédience déchirée. Pendant deux ans, il s'emploiera à lui faire retrouver sa sérénité et à clarifier ses finances. Jacques Lafouge poursuivra aussi au plus haut niveau son combat pour la liberté absolue de conscience. Le libre penseur rejoint ici le franc-maçon. " C'est mon passage à l'Immaculée Conception, à Pau, qui a fait de moi un libre penseur... ", précise-il avec son habituelle pointe d'humour. Parmi ses bêtes noires se trouve naturellement l'Opus Dei. " Les convictions s'avivent avec l'âge, on se radicalise... Lors de mes séjours en Amérique-du Sud, j'ai vu l'Opus Dei à l'œuvre : de l'économie à la politique en passant par l'enseignement, il est partout. Il règne par exemple sur le collège lntisana de Quito, qui forme l'élite du pays et toute la bonne société équatorienne. "
Aussi Jacques Lafouge ne baisse-t-il jamais la garde. Aujourd'hui, il termine un nouvel ouvrage. De dieu et d'autres balivernes du même tonneau et d'autres choses plus sérieuses : " Les trois grandes religions et leurs trois livres sont d'une grande immoralité. L 'homme a vocation d'être libre et le seul moyen de le libérer, c'est la laïcité ".
Chaque après-midi, Jacques Lafouge s'installe devant son ordinateur, dans son bureau face aux Pyrénées. Ces montagnes sont aussi le symbole d'une vie sans chaînes : son ouvrage le plus connu, Etre franc-maçon républicain aujourd'hui, avait été écrit face aux Andes. Car l'Amérique du Rio Grande à la Terre de Feu est l'autre grande passion de Jacques Lafouge, qui connaît parfaitement le sujet. Il planche actuellement sur le rôle de l'information dans la découverte et la conquête de ce continent et sur la rébellion de Gonzalo Pizarro. Des travaux que l’on retrouvera bientôt en librairie.

Jacques Lafouge n’aura jamais de retraite tranquille.

L'Empire de la Honte

Rapporteur spécial à l'ONU pour le droit à l'alimentation, Jean Ziegler, auteur du livre réquisitoire «L'Empire de la honte», qui dénonce le nouvel «ordre cannibale» du monde, a donné l'idée au réalisateur autrichien Erwin Wagenhofer de réaliser un documentaire, lui aussi sans concessions, intitulé «We feed the world» (Nous nourrissons le monde), actuellement sur les écrans. Entretien avec un homme de combat à propos d'une cause qui nous concerne tous.

Jean Ziegler, où en est aujourd'hui la lutte contre la faim dans le monde ?
Elle recule ! Aujourd'hui, un enfant en dessous de dix ans meurt de faim ou de maladies liées à la malnutrition toutes les 5 secondes; en 2001, c'était un toutes les 7 secondes ... Cette même année, 826 millions de personnes ont été rendues invalides à la suite d'une sous-alimentation grave et chronique. Elles sont 841 millions aujourd'hui. Entre 1995 et 2004, le nombre des victimes de la sous-alimentation a augmenté de 28 millions de personnes. La faim est le produit direct de la dette puisqu'elle prive les pays pauvres de leur capacité d'investir pour leur développement économique, qui leur permettrait d'éradiquer la faim et la malnutrition. La faim est la principale cause de mort sur notre planète. C'est un assassinat de masse ...
Perpétré par qui ?
Par le nouveau pouvoir féodal, qui prend le visage des sociétés transcontinentales privées. Les cinq cents plus grandes sociétés capitalistes du monde contrôlent aujourd'hui 52% du produit intérieur brut de la planète. Cinquante-huit pour cent sont américaines. Ensemble, elles n'emploient que 1,8% de la main-d’œuvre mondiale et elles contrôlent des richesses supérieures aux avoirs cumulés des cent trente-trois pays les plus pauvres du monde. Leur unique moteur est l'accumulation de gains privés les plus élevés possibles dans le temps le plus réduit, l'extension conti­nuelle de leur pouvoir et l'élimination de tout obstacle social s'opposant à leurs décrets. Leurs stratégies de lob­bying, d'infiltration et de manipulation -des gouvernements, des parlements, de la presse et de l'opinion publique- sont incroyablement efficaces. Le capitalisme globalisé à l'échelle du monde prospère grâce à la faim et à la dette. Un cosmocrate n'a d'autre choix que d'être un prédateur sinon la concurrence le dévore.
Qu'est-ce qu'un cosmocrate ?
Cosmos et cratos sont des termes de grec ancien. Cosmos veut dire monde, cratos c'est le pouvoir ... Il n'y a jamais eu une telle concentration du pouvoir entre les mains de si peu de gens dans l'histoire de l'humanité.
Parlez-nous de la dette des pays pauvres. Pourquoi faut-il l'effacer ?
La dette est inique parce que les Etats pauvres sont obligés de rembourser des emprunts à des-taux prohibitifs. Il faut savoir que les pays pauvres versent annuellement aux classes dirigeantes des pays riches beaucoup plus d'argent qu'ils n'en reçoivent d'elles sous forme d'investissements, de crédit de coopération, d'aide humanitaire ou d'aide dite au développement. Par exemple, l'aide publique au développement consentie par les pays industriels du Nord aux cent vingt-deux pays les plus pauvres s'est élevée à 54 milliards de dollars en 2006. La même année, ces derniers ont transféré aux cosmocrates des banques du Nord 436 milliards de dollars au titre du service de la dette. Un exemple précis, le Brésil de Lula est obligé de payer une dette énorme pour les faramineux emprunts demandés aux banques internationales par la dictature corrompue qui a pillé le Brésil avant le rétablissement de la démocratie. Résultat: des milliers d'enfants brésiliens continuent de mourir de sous-alimentation, de malnutrition et de faim.
Comment notre agriculture tue-t-elle celle des pays du Sud et favorise-t-elle l'immigration ?
Prenons des exemples: au Sénégal, sur les marchés des grandes villes, vous pouvez acheter des légumes européens, des fruits européens pour un tiers des prix locaux. Or trente-sept des cinquante-deux États africains sont des États presque exclusivement agricoles. Le dumping européen détruit leur agriculture. Aucun paysan sénégalais ne peut s'aligner, même en travaillant comme une bête de somme. Que lui reste-t-il à faire ? Émigrer s'il en a encore l'énergie, émigrer au péril de sa vie en passant le détroit de Gibraltar. Le dumping économique détruit donc l'économie des pays et favorise le chômage, la mort ...
Mais la vente à perte des denrées alimentaires fonctionne aussi dans l'autre sens : tandis qu'en Europe les pommes pourrissent sur les arbres, on importe des Golden Delicious et des Breaburn de Nouvelle-Zélande et du Chili. Partout, c'est la petite et moyenne paysannerie qui trinque et met la clé sous la porte.
Le commerce équitable est-il une réponse ?
Il y a trois niveaux pour réagir à cet état de fait : pour les consommateurs conscientisés, acheter du commerce équitable, refuser d'acheter des légumes et des fruits hors saison, n'acheter que ce qui est produit dans votre pays ou dans votre région, sinon les acheter au travers des circuits du commerce équitable. Deuxième niveau, si on a de l'argent en donner à Médecins Sans Frontières, Terre des Hommes et au Secours Populaire, qui essayent d'alléger la misère. Troisième niveau, s'engager politiquement, lutter pour la suppression de la dette, exiger une autre politique agricole européenne.
Dans votre livre «L'Empire de la honte», vous prônez l'insurrection des consciences et vous faites référence à la Révolution française mais pas n'importe laquelle, celle de Gracchus Babœuf plutôt que celle de Robespierre, pourquoi ?
Babœuf est celui qui, dans la Révolution française, a tenu le discours le plus radical, c'est lui qui a repris l'idée du droit au bonheur, l'idée d'une révolution politique mais aussi économique, d'un bouleversement social qui conduit le peuple à la satisfaction de besoins élémentaires tels que manger et se loger. Il a été guillotiné. A son époque, c'était une utopie, il n'était pas possible de loger et nourrir tout le monde. Aujourd'hui, avec les progrès technologiques et scientifiques, on est en mesure de nourrir 12 milliards de personnes. Dans la réalité, un milliard et demi d'êtres humains souffrent de malnutrition. De l'autre côté, le nombre de riches augmente; en 2003 on comptait 7,7 millions de millionnaires en dollars, soit 500000 de plus qu'en 2002. Un pour cent des plus riches gagnent autant d'argent que 57% des personnes les plus pauvres de la Terre. Il y a quarante ans, 400 millions de personnes souffraient de la faim. Elles sont 840 millions aujourd'hui.
Comment en êtes-vous arrivé à des positions aussi radicales ?
Je suis issu d'un milieu bourgeois helvétique, d'origine alsacienne protestante. J'ai rompu très tôt avec ma famille. Enfant, j'ai été conscient de l'injustice sociale car là où je vivais, je voyais les ouvriers s'échiner au travail, les enfants abandonnés, la pauvreté ... Plus tard, j'ai exercé mon premier travail au Congo en tant que petit employé de l'ONU, c'était en 1964. Et j'ai vu des gens mourir devant moi, assassinés ... Alors je me suis juré que, quoi qu'il arrive, je lutterai contre ça. Quelles sont les forces auxquelles vous devez vous affronter dans votre travail à l'ONU ? Forces financières, politiques, bureaucratiques ?
Des forces terribles ! Je reviens du Guatemala. Là-bas, le revenu par habitant est de 5 000 dollars par an, ce qui est beaucoup. Or 19% des familles guatémaltèques possèdent, en collaboration avec les trusts américains, 72% des terres arables.
La plaine du Pacifique est couverte de melons, de bananes, de plantations de café latifundiaires ... et dans la montagne, sur des champs en pente, sans engrais, sans eau, les Mayas essayent de survivre en plantant du maïs. Quatre-vingt-cinq pour cent de la population guatémaltèque ,est constituée par ces Mayas. A 30 ans, les femmes ont l'air d'en avoir 80, les gosses souffrent de malnutrition, 90 000 d'entre eux sont morts de faim en 2006. Là-bas, on ne parle même pas de réforme agraire, les syndicalistes agricoles sont physiquement éliminés, trois évêques qui aidaient les paysans sans terre ont été assassinés récemment. Là, le problème c'est de lutter pour le cadastre. C'est-à-dire pour que l'Etat accepte que les Nations unies établissent un registre de la terre. Car les latifundiaires font reculer les terres mayas avec l'aide des pistoleros. Ils sont aidés en cela par le fait qu'il n'y a pas de registre foncier au Guatemala. La lutte maintenant, c'est d'obtenir de la Banque mondiale des crédits pour louer des hélicoptères pour que des géomètres puissent faire des relevés des propriétés actuelles. Alors, et seulement alors, pourra commencer la bataille pour la redistribution de la terre, pour la réforme agraire. Dans ce combat, les Américains ont demandé ma révocation, en disant que je dépassais mon débat. Quand j'étais dans les territoires occupés-palestiniens, les Américains et les Israéliens ont demandé que je sois révoqué également.
Avez-vous subi des menaces physiques ?
Oui, bien sûr, mais je ne veux pas en parler. Je connais tellement de gens qui mettent chaque jour leur vie en péril dans la lutte sur le terrain que moi, avec mon statut, je suis un privilégié parmi les privilégiés.
Quelle est la solution pour sortir le monde d'un tel marasme ?
Saint-Just disait: « Entre le peuple et ses ennemis, il n'y a rien de commun, rien que le glaive. »
Le glaive qui sépare et qui tranche ... Il faut recommencer la révolution. Entre la justice sociale planétaire et le nouveau pouvoir féodal, la guerre est permanente et l'antinomie radicale. Marat écrit « l'opinion est fondée sur l'ignorance et l'ignorance favorise extrêmement le despotisme ». Informer, rendre transparentes les pratiques des maîtres est la tâche première de l'intellectuel. Je ne suis pas un leader syndical, ni un chef de mouvement de libération. La destruction de l'ordre cannibale du monde est l'affaire des peuples. La guerre pour la justice sociale planétaire est à venir. L'espoir, l'espérance, c'est l'insurrection des consciences !

Entretien réalisé par et publié dans FO HEBDO

05 mai 2007

Franc-Maçonnerie et République

CONFERENCE
de
Jacques LAFOUGE

Vendredi 25 mai

à 18h30
salle Castelbou
22, rue Léonce Castelbou
à Toulouse



Le 1er mai dernier, les Francs-maçons du Grand Orient de France ont rendu hommage aux Martyrs de La Commune de Paris et à tous leurs Frères qui se sont massivement engagés, notamment le 29 avril 1871, pour que l’idéal de Liberté, d’Egalité et de Fraternité, la devise inscrite sur le fronton des édifices publics, passe des bas-reliefs à la vie concrète.
Les Francs-maçons et les libres penseurs ont été les actifs bâtisseurs de la République laïque, une et indivisible, ce qui s’est illustré avec éclat par la rédaction et l’adoption de la loi de 1905 de séparation des Eglises et de l’Etat.
Nous publions ici des extraits de l’intervention faite par Jacques LAFOUGE lors du meeting qui s’est tenu le 1er octobre 2005 à Paris, salle de la Mutualité

DES LUMIERES A LA LOI DE 1905
UN BESOIN DE LIBERTE ET DE JUSTICE
Ce qui amène à la Liberté, c’est la Raison. Elle est le moteur du Progrès. On a vu à quels excès menaient la révélation et ses interprétations perverses.
On a vu brûler Michel Servet, Giordano Bruno, se rétracter Galilée, on verra rouer de la Barre. Où est la vérité, où est l’humanité ? Il faut se laisser éclairer. L’autre ne peut-il avoir raison ? Le doute construit beaucoup plus que le fanatisme et la superstition. Ces principes vont éclairer tous les domaines de la vie sociale.
La vie politique d’abord. La France vivait depuis des siècles sous le régime de la monarchie absolue, ou plus exactement qui était devenu de plus en plus absolue.
Jusqu’à Louis XIII, le roi était le dernier recours du peuple contre les abus de la noblesse ou du clergé, mais en même temps ses pouvoirs étaient limités par toute une série de contre pouvoirs qui allaient de la résistance des Parlements, quand cela était nécessaire, aux coutumes locales qu’il était difficile de transgresser. Tout changea avec Louis XIV. La monarchie, d’absolue, devint despotique, et ce au moment même où le mouvement des idées tendait à remettre en cause les anciens schémas. (…)
Ce qui naît? c’est un besoin de plus de justice et de liberté qui reposera sur un système garantissant les libertés civiles.
Diderot l’exprimera en deux phrases :
- « la puissance qui s’acquiert par la violence n’est qu’une usurpation » ; en d’autres termes, on ne peut reconnaître d’autorité légitime que consentie par les citoyens eux-mêmes dans le cadre d’un pacte social, - « Aucun homme n’a reçu de la nature le droit de commander aux autres ».
Il ira encore plus loin dans ce qu’il écrit à Catherine II de Russie :
« Il n’y a point de vrai souverain que la nation. Il ne peut y avoir de vrai législateur que le peuple. Il est rare qu’un peuple se soumette sincèrement à des lois qu’on lui impose. Il les aimera, les respectera, il y obéira, il les défendra comme son propre ouvrage, s’il en est lui même l’auteur. Ce ne sont plus les volontés arbitraires d’un seul ; ce sont celles d’un nombre d’hommes qui ont consulté entre eux sur leur bonheur et leur sécurité ».
Voltaire ajoutera : « Nous sommes tous également hommes, mais non membres égaux de la société ».
L’idée de la République était donc dans l’air pour certains comme Rousseau ou Diderot, ou sous forme d’une monarchie constitutionnelle pour Montesquieu ou Voltaire.
Toutefois le pouvoir veillait afin d’exercer sur les idées une surveillance efficace. L’état entretenait « une armée de censeurs stipendiés » dont neuf pour la seule Encyclopédie. Celle-ci fut brûlée en place publique et l’Esprit des Lois de Montesquieu mis à l’index. Ce que Beaumarchais faisait dire à Figaro : « Pourvu qu’on ne parle ni de l’autorité, ni du culte, ni de la politique, ni de la morale, ni des gens en place, ni des corps en crédit, ni de l’opéra, ni des autres spectacles, ni de personne qui tienne à quelque chose, on peut tout publier librement, sous l’inspection de deux ou trois censeurs ».

LA PROLETARISATION DE LA SOCIETE
Or dans le même temps se produisait la seconde révolution industrielle qui vit le développement de ce qu’on appelait à l’époque les fabriques, qui vont multiplier les produits offerts, donc multiplier les consommateurs potentiels, dans le même temps que va se produire un immense déplacement de population, de prolétarisation des campagnes vers les villes, prolétaires dont il faudra aussi faire des consommateurs.
Si on dénonce la misère du Peuple et les injustices on reconnaît la valeur du travail ce qui amène tout naturellement à réclamer l’abolition des privilèges attribués à la noblesse et au clergé.
Rousseau dit à ce sujet : « Tous veulent que les conditions soient égales pour tous, et la justice n’est que cette égalité ». (…)
Mais au delà de la lutte contre l’absolutisme royal et contre les entraves au développement économique empêchant la marche du progrès, c’est contre le fanatisme et la domination du clergé que les attaques sont les plus violentes et en cela tous les auteurs des Lumières convergent. Ils s’en prennent avec virulence aux dogmes incompatibles avec la raison, aux rites, puisqu’ils finissent par déchirer les hommes, au clergé plus soucieux de pouvoir temporel que de religion.
Helvétius écrira : « Qu’on jette les yeux sur le nord, le midi, l’orient et l’occident du monde, partout on voit le couteau sacré de la religion levé sur le sein des femmes, des enfants, des vieillards ; et la terre fumante du sang des victimes immolées aux faux dieux ou à l’Etre Suprême, n’offrir de toutes parts que le vaste, le dégoûtant et l’horrible charnier de l’intolérance ».
Voltaire ajoutera quant à lui dans sa Prière à Dieu : « Tu ne nous a pas donné un cœur pour nous haïr ni des mains pour nous égorger ».
Il en découlera tout naturellement une évolution des esprits vers une sorte de déisme panthéiste pour lequel Dieu est partout présent dans la nature, ceci sans révélation, ou bien vers l’athéisme.
Dieu est déboulonné de son piédestal de fanatisme et d’intolérance et devient un objet philosophique.
Ces abus des religions, Diderot y proposera un remède dans son Discours d’un philosophe à un roi : « Vous avez, me dites-vous, des philosophes et des prêtres ; des philosophes qui sont pauvres et peu redoutables, des prêtres très riches et très dangereux. Vous ne vous souciez pas trop d’enrichir vos philosophes, parce que la richesse nuit à la philosophie, mais votre dessein serait de les garder ; et vous désireriez fort d’appauvrir vos prêtres et de vous en débarrasser. Vous vous en débarrasserez sûrement et avec eux de tous mensonges dont ils infectent votre nation, en les appauvrissant ; car appauvris, bientôt ils seront avilis, et qui est-ce qui voudra entrer dans un état où il n’y aura ni honneur à acquérir, ni fortune à faire ? ».
On voit bien qu’Emile Combes n’inventera rien lorsqu’il confisquera les biens du clergé.
Je crois que c’est à partir de là qu’a été formulé clairement le principe de laïcité : séparation des Eglises et de l’Etat accompagné de la liberté absolue de conscience et de culte.

L'INSTRUCTION DONNE A L'HOMME DE LA DIGNITE
La Loi doit toujours rester au dessus de la foi, pour cela il faut éduquer les hommes et promouvoir l’esprit critique et l’exercice de la raison. Pour cela, il faut développer l’éducation.
D’Alembert dit : « Le genre humain doit gagner à s’instruire » ; et Diderot ajoute : « L’ignorance est le partage de l’esclave et du sauvage. L’instruction donne à l’homme de la dignité ; et l’esclave ne tarde pas à sentir qu’il n’est pas né pour la servitude ».
On reconnaîtra au passage une phraséologie qui sera celle de la Révolution : sortir de l’oppression et de l’esclavage, briser ses chaînes, qui finalement donnera la symbolique du bonnet phrygien.
C’est à Condorcet que revient l’honneur en 1792 de préconiser, dans son Mémoire sur l’Instruction publique présenté à l’Assemblée Législative, une école publique indépendante du pouvoir religieux, ce que reprendra un siècle plus tard Jules Ferry. Condorcet prévoit également que les filles devront recevoir la même éducation que les garçons, précision novatrice, car les philosophes des Lumières n’avaient pas cru bon de demander pour les Citoyennes les mêmes droits politiques que pour les Citoyens.
La Révolution commença la mise en application des principes énoncés par les Lumières. Le décret du 3 Ventôse An III disposait que la République ne salarie aucun culte. La Loi du 7 Vendémiaire An IV prohibait les manifestations extérieures de la religion. Le Directoire décidait de ne fournir aucun local pour l’exercice d’un culte, ni de loger aucun ministre de ces mêmes cultes.

Et ensuite ?
Et ensuite alors que tout avait si bien commencé dans l’énonciation des principes vint un siècle de tristesse.
Napoléon Ier, le liberticide, d’abord qui commença par rétablir la censure, ce que font tous les dictateurs lorsqu’ils arrivent au pouvoir, créa une nouvelle noblesse et signa un concordat avec le Vatican. Ce n’était rien à côté de la Restauration. Louis XVIII, Charles X et la noblesse revenue de l’exil, qui n’avaient rien appris ni rien retenu, firent régner la Terreur blanche et tinrent les Lumières pour responsables de la Révolution.
Toutefois les souffrances endurées permirent l’apparition d’un esprit de résistance. Malgré la censure et la police, les Républicains qui feront 1848 se nourrissent des Lumières.
La IIème République, à la vie si courte, recherchera le bien du Peuple et sera violemment anticléricale.
Napoléon III le Petit chaussera les bottes de son oncle, s’apercevra un peu tard qu’elles lui faisaient mal et disparaîtra dans la débâcle de 1870.
La Commune au cours de sa vie si courte tentera en vain de reprendre le flambeau des Lumières, mais elle aura néanmoins le temps de décider de nouveau de la séparation de l’église et de l’Etat..
Il faudra attendre que la IIIème République, d’abord surnommée « la Gueuse » par les cléricaux, s’affermisse pour qu’enfin naisse la Loi du 9 Décembre 1905, garante de la Liberté et de la tranquillité publique.

C’est dire qu’en 1905, l’union du Cœur et de la Raison a enfin été célébrée.