05 mai 2007

Franc-Maçonnerie et République

CONFERENCE
de
Jacques LAFOUGE

Vendredi 25 mai

à 18h30
salle Castelbou
22, rue Léonce Castelbou
à Toulouse



Le 1er mai dernier, les Francs-maçons du Grand Orient de France ont rendu hommage aux Martyrs de La Commune de Paris et à tous leurs Frères qui se sont massivement engagés, notamment le 29 avril 1871, pour que l’idéal de Liberté, d’Egalité et de Fraternité, la devise inscrite sur le fronton des édifices publics, passe des bas-reliefs à la vie concrète.
Les Francs-maçons et les libres penseurs ont été les actifs bâtisseurs de la République laïque, une et indivisible, ce qui s’est illustré avec éclat par la rédaction et l’adoption de la loi de 1905 de séparation des Eglises et de l’Etat.
Nous publions ici des extraits de l’intervention faite par Jacques LAFOUGE lors du meeting qui s’est tenu le 1er octobre 2005 à Paris, salle de la Mutualité

DES LUMIERES A LA LOI DE 1905
UN BESOIN DE LIBERTE ET DE JUSTICE
Ce qui amène à la Liberté, c’est la Raison. Elle est le moteur du Progrès. On a vu à quels excès menaient la révélation et ses interprétations perverses.
On a vu brûler Michel Servet, Giordano Bruno, se rétracter Galilée, on verra rouer de la Barre. Où est la vérité, où est l’humanité ? Il faut se laisser éclairer. L’autre ne peut-il avoir raison ? Le doute construit beaucoup plus que le fanatisme et la superstition. Ces principes vont éclairer tous les domaines de la vie sociale.
La vie politique d’abord. La France vivait depuis des siècles sous le régime de la monarchie absolue, ou plus exactement qui était devenu de plus en plus absolue.
Jusqu’à Louis XIII, le roi était le dernier recours du peuple contre les abus de la noblesse ou du clergé, mais en même temps ses pouvoirs étaient limités par toute une série de contre pouvoirs qui allaient de la résistance des Parlements, quand cela était nécessaire, aux coutumes locales qu’il était difficile de transgresser. Tout changea avec Louis XIV. La monarchie, d’absolue, devint despotique, et ce au moment même où le mouvement des idées tendait à remettre en cause les anciens schémas. (…)
Ce qui naît? c’est un besoin de plus de justice et de liberté qui reposera sur un système garantissant les libertés civiles.
Diderot l’exprimera en deux phrases :
- « la puissance qui s’acquiert par la violence n’est qu’une usurpation » ; en d’autres termes, on ne peut reconnaître d’autorité légitime que consentie par les citoyens eux-mêmes dans le cadre d’un pacte social, - « Aucun homme n’a reçu de la nature le droit de commander aux autres ».
Il ira encore plus loin dans ce qu’il écrit à Catherine II de Russie :
« Il n’y a point de vrai souverain que la nation. Il ne peut y avoir de vrai législateur que le peuple. Il est rare qu’un peuple se soumette sincèrement à des lois qu’on lui impose. Il les aimera, les respectera, il y obéira, il les défendra comme son propre ouvrage, s’il en est lui même l’auteur. Ce ne sont plus les volontés arbitraires d’un seul ; ce sont celles d’un nombre d’hommes qui ont consulté entre eux sur leur bonheur et leur sécurité ».
Voltaire ajoutera : « Nous sommes tous également hommes, mais non membres égaux de la société ».
L’idée de la République était donc dans l’air pour certains comme Rousseau ou Diderot, ou sous forme d’une monarchie constitutionnelle pour Montesquieu ou Voltaire.
Toutefois le pouvoir veillait afin d’exercer sur les idées une surveillance efficace. L’état entretenait « une armée de censeurs stipendiés » dont neuf pour la seule Encyclopédie. Celle-ci fut brûlée en place publique et l’Esprit des Lois de Montesquieu mis à l’index. Ce que Beaumarchais faisait dire à Figaro : « Pourvu qu’on ne parle ni de l’autorité, ni du culte, ni de la politique, ni de la morale, ni des gens en place, ni des corps en crédit, ni de l’opéra, ni des autres spectacles, ni de personne qui tienne à quelque chose, on peut tout publier librement, sous l’inspection de deux ou trois censeurs ».

LA PROLETARISATION DE LA SOCIETE
Or dans le même temps se produisait la seconde révolution industrielle qui vit le développement de ce qu’on appelait à l’époque les fabriques, qui vont multiplier les produits offerts, donc multiplier les consommateurs potentiels, dans le même temps que va se produire un immense déplacement de population, de prolétarisation des campagnes vers les villes, prolétaires dont il faudra aussi faire des consommateurs.
Si on dénonce la misère du Peuple et les injustices on reconnaît la valeur du travail ce qui amène tout naturellement à réclamer l’abolition des privilèges attribués à la noblesse et au clergé.
Rousseau dit à ce sujet : « Tous veulent que les conditions soient égales pour tous, et la justice n’est que cette égalité ». (…)
Mais au delà de la lutte contre l’absolutisme royal et contre les entraves au développement économique empêchant la marche du progrès, c’est contre le fanatisme et la domination du clergé que les attaques sont les plus violentes et en cela tous les auteurs des Lumières convergent. Ils s’en prennent avec virulence aux dogmes incompatibles avec la raison, aux rites, puisqu’ils finissent par déchirer les hommes, au clergé plus soucieux de pouvoir temporel que de religion.
Helvétius écrira : « Qu’on jette les yeux sur le nord, le midi, l’orient et l’occident du monde, partout on voit le couteau sacré de la religion levé sur le sein des femmes, des enfants, des vieillards ; et la terre fumante du sang des victimes immolées aux faux dieux ou à l’Etre Suprême, n’offrir de toutes parts que le vaste, le dégoûtant et l’horrible charnier de l’intolérance ».
Voltaire ajoutera quant à lui dans sa Prière à Dieu : « Tu ne nous a pas donné un cœur pour nous haïr ni des mains pour nous égorger ».
Il en découlera tout naturellement une évolution des esprits vers une sorte de déisme panthéiste pour lequel Dieu est partout présent dans la nature, ceci sans révélation, ou bien vers l’athéisme.
Dieu est déboulonné de son piédestal de fanatisme et d’intolérance et devient un objet philosophique.
Ces abus des religions, Diderot y proposera un remède dans son Discours d’un philosophe à un roi : « Vous avez, me dites-vous, des philosophes et des prêtres ; des philosophes qui sont pauvres et peu redoutables, des prêtres très riches et très dangereux. Vous ne vous souciez pas trop d’enrichir vos philosophes, parce que la richesse nuit à la philosophie, mais votre dessein serait de les garder ; et vous désireriez fort d’appauvrir vos prêtres et de vous en débarrasser. Vous vous en débarrasserez sûrement et avec eux de tous mensonges dont ils infectent votre nation, en les appauvrissant ; car appauvris, bientôt ils seront avilis, et qui est-ce qui voudra entrer dans un état où il n’y aura ni honneur à acquérir, ni fortune à faire ? ».
On voit bien qu’Emile Combes n’inventera rien lorsqu’il confisquera les biens du clergé.
Je crois que c’est à partir de là qu’a été formulé clairement le principe de laïcité : séparation des Eglises et de l’Etat accompagné de la liberté absolue de conscience et de culte.

L'INSTRUCTION DONNE A L'HOMME DE LA DIGNITE
La Loi doit toujours rester au dessus de la foi, pour cela il faut éduquer les hommes et promouvoir l’esprit critique et l’exercice de la raison. Pour cela, il faut développer l’éducation.
D’Alembert dit : « Le genre humain doit gagner à s’instruire » ; et Diderot ajoute : « L’ignorance est le partage de l’esclave et du sauvage. L’instruction donne à l’homme de la dignité ; et l’esclave ne tarde pas à sentir qu’il n’est pas né pour la servitude ».
On reconnaîtra au passage une phraséologie qui sera celle de la Révolution : sortir de l’oppression et de l’esclavage, briser ses chaînes, qui finalement donnera la symbolique du bonnet phrygien.
C’est à Condorcet que revient l’honneur en 1792 de préconiser, dans son Mémoire sur l’Instruction publique présenté à l’Assemblée Législative, une école publique indépendante du pouvoir religieux, ce que reprendra un siècle plus tard Jules Ferry. Condorcet prévoit également que les filles devront recevoir la même éducation que les garçons, précision novatrice, car les philosophes des Lumières n’avaient pas cru bon de demander pour les Citoyennes les mêmes droits politiques que pour les Citoyens.
La Révolution commença la mise en application des principes énoncés par les Lumières. Le décret du 3 Ventôse An III disposait que la République ne salarie aucun culte. La Loi du 7 Vendémiaire An IV prohibait les manifestations extérieures de la religion. Le Directoire décidait de ne fournir aucun local pour l’exercice d’un culte, ni de loger aucun ministre de ces mêmes cultes.

Et ensuite ?
Et ensuite alors que tout avait si bien commencé dans l’énonciation des principes vint un siècle de tristesse.
Napoléon Ier, le liberticide, d’abord qui commença par rétablir la censure, ce que font tous les dictateurs lorsqu’ils arrivent au pouvoir, créa une nouvelle noblesse et signa un concordat avec le Vatican. Ce n’était rien à côté de la Restauration. Louis XVIII, Charles X et la noblesse revenue de l’exil, qui n’avaient rien appris ni rien retenu, firent régner la Terreur blanche et tinrent les Lumières pour responsables de la Révolution.
Toutefois les souffrances endurées permirent l’apparition d’un esprit de résistance. Malgré la censure et la police, les Républicains qui feront 1848 se nourrissent des Lumières.
La IIème République, à la vie si courte, recherchera le bien du Peuple et sera violemment anticléricale.
Napoléon III le Petit chaussera les bottes de son oncle, s’apercevra un peu tard qu’elles lui faisaient mal et disparaîtra dans la débâcle de 1870.
La Commune au cours de sa vie si courte tentera en vain de reprendre le flambeau des Lumières, mais elle aura néanmoins le temps de décider de nouveau de la séparation de l’église et de l’Etat..
Il faudra attendre que la IIIème République, d’abord surnommée « la Gueuse » par les cléricaux, s’affermisse pour qu’enfin naisse la Loi du 9 Décembre 1905, garante de la Liberté et de la tranquillité publique.

C’est dire qu’en 1905, l’union du Cœur et de la Raison a enfin été célébrée.