28 janvier 2007

Vendredi 9 février : hommage à Vanini

le 9 février 1619, place du Salin à Toulouse,
était torturé et brûlé pour «athéisme»
le philosophe italien


GIULIO CESARE VANINI

Le 9 décembre 1905 était votée la loi de Séparation des Eglises et de l'Etat qui allait jusqu'au bout de l’œuvre de sécularisation initiée par la Révolution française et les philosophes des Lumières. Elle proclamait comme principe institutionnel que « La République assure la liberté de conscience ». Jean Jaurès pouvait ainsi dire : « La loi de séparation, c'est la marche délibérée de l'esprit vers la pleine lumière, la pleine science et l'entière raison ».
Trois siècles auparavant, un moine curieux en tous les domaines du savoir, mais aussi engagé dans les conflits confessionnels de l’Europe baroque reniait tour à tour le catholicisme et le protestantisme, avant d’opérer un rejet radical de la religion dans son principe même. Il s’appelait Giulio Cesare Vanini. L’étude de ses oeuvres permet de dégager les grandes lignes d’une philosophie résolument matérialiste et considérée par les dévots ou les libertins du Grand Siècle comme un des premiers témoignages de l’émergence de l’athéisme moderne. Il était un pionnier des Lumières. Il était de ceux qui posaient les premiers jalons de ce qui se concrétisera dans la loi de 1905 et qui reste toujours d’une actualité aiguë. Vanini, comme Etienne Dolet, comme Giordano Bruno, comme beaucoup d’autres ont perdu la vie dans leur quête passionnée au service de l’émancipation de l’humanité et pour que triomphe la Raison.



Oui, il est temps qu’à l’aube du XXIème siècle soit érigé place du Salin, lieu de l’exécution de Vanini, un monument en son hommage, à celui de Dolet et de tous les pionniers de la Raison et des Lumières, persécutés pour leurs idées philosophiques et scientifiques, victimes de l'obscurantisme religieux !


VENDREDI 9 FEVRIER 2007
il sera rendu un premier
HOMMAGE
à
GIULIO CESARE VANINI

à 18h30 :
rassemblement place du Salin
avec la Libre Pensée et l’Association des Amis de Vanini

à 20h30 :
conférence
avec
Didier FOUCAULT
(clic sur l'adresse pour l'accès au plan)
Professeur agrégé, docteur en histoire et maître de conférences à l'Université de Toulouse-Le Mirail, Didier Foucault est aussi l'auteur de "Un philosophe libertin dans l'Europe baroque - GIULIO CESARE VANINI (1585-1619)"
(publié aux Editions Honoré Champion)

19 janvier 2007

Etienne Dolet, précurseur des Lumières

photo Coll. Georges Sirot publiée dans "Nadja"
VENDREDI 9 FEVRIER
HOMMAGE A GIULIO CESARE VANINI
Programme du vendredi 9 février :
18h30 : rassemblement place du Salin
20h30 : conférence de Didier FOUCAULT
salle Duranti-Osète,
6, rue du Lieutenant-Colonel Pélissier (clic ici pour accès au plan)
Professeur agrégé, docteur en histoire et maître de conférences à l'Université de Toulouse-Le Mirail, Didier Foucault est l'auteur de "Un philosophe libertin dans l'Europe baroque - GIULIO CESARE VANINI (1585-1619)" (éd. Honoré Champion - 2003).
Pour l'érection d'un monument place du Salin à Toulouse, en hommage à Vanini et à tous les pionniers de la Raison et des Lumières, persécutés pour leurs idées philosophiques et scientifiques, victimes de l'obscurantisme religieux.


Une statue d'Etienne Dolet a été érigée en 1889 sur le lieu de son supplice, place Maubert à Paris. Dans "Nadja", André Breton écrit à son sujet : "Si je dis qu'à Paris la statue d'Etienne Dolet, place Maubert, m'a toujours tout ensemble attiré et causé un insupportable malaise...".
Cette statue a été détruite sous l'Occupation avec la bénédiction du régime de Vichy et de l'Eglise.
Aujourd'hui, d'un maire de Paris paraît-il socialiste, on aurait pu espérer qu'il fasse réériger un monument à la mémoire d'Etienne Dolet et de toutes les victimes de l'obscurantisme. Las ! Monseigneur Delanoë a préféré bafoué la loi de 1905 et baptiser la place Jean-Paul II en grandes pompes oecuméniques (voir ci-contre le reportage vidéo de Télé KTO qui ne manque pas de sel...).

Que me veut-on ? Suis-je un diable cornu ?
Suis-je pour traître et boutefeu tenu ?
Suis-je un larron ? un guetteur de chemin ?
Suis-je un voleur ? un meurtrier inhumain ?
Suis-je un loup gris ? Suis-je un monstre sur terre,
Pour me livrer une si rude guerre ?

En 1515, c'est l'avènement de François Ier qui règnera jusqu'en 1547. Étienne Dolet était né à Orléans quelques années auparavant, en 1509.
Il fait ses Humanités classiques à Paris où il sera notamment l'élève de Nicolas Bérauld. Puis il entreprend le tour des universités européennes (en particulier celle de Padoue, ville où il se trouve vers 1530 avec l'humaniste Pierre Bunel et où il reste trois ans se consacrant à la découverte de l'humanisme italien, de l'averroïsme et de l'épicurisme. Il devient le secrétaire du cardinal Jean du Bellay-Langey, cousin de Joachim du Bellay. A leur retour en France, et sur les conseils du cardinal, il se rend en 1530 à Toulouse dont l'université de droit est particulièrement réputée.
Les temps sont durs pour les "hérétiques" et Toulouse n'est pas en reste...
En 1531, le savant latiniste et humaniste Pierre Bunel est proscrit ; en juin 1532, le professeur de droit Jean Caturce, dit aussi Jean de Cahors, est livré aux flammes pour avoir tenu des propos suspects lors d’un souper.
Dans Pantagruel, François Rabelais, proche d’Etienne Dolet, fait faire à son jeune héros un tour de France des universités, très autobiographique. Toulouse et son université, créée au lendemain de la croisade contre les Albigeois, n'enthousiasme pas Rabelais-Pantagruel, c'est le moins qu'on puisse dire... Rabelais nous livre donc ce témoignage d'un contemporain : « De là [Pantagruel] vint à Thoulouse, où aprint fort bien à dancer et à jouer de l'espée à deux mains, comme est l'usance des escholiers de ladicte université ; mais il n'y demoura guères, quand il vit qu'ilz faisoyent brusler leurs régens tous vifz comme harans soretz, disant : jà Dieu ne plaise que ainsi je meure, car je suis de ma nature assez altéré sans me chauffer davantaige ! » (Pantagruel roy des dipsodes, ch. V).
(De là [Pantagruel] vint à Toulouse, où il apprit fort bien à danser et à jouer de l'épée à deux mains [espadon], comme c'est l'usage des écoliers de la dite université ; mais il n'y demeura guère, quand il vit qu'ils faisaient brûler leurs enseignants tout vifs comme harengs saurs, disant : jamais à Dieu ne plaise qu'ainsi je meure, car je suis de ma nature assez passionné sans me chauffer davantage !).
Etienne Dolet écrit quant à lui dans son second discours sur Toulouse : « Vous avez tous vu brûler vif ici même, dans cette ville, un malheureux dont je passe le nom sous silence. La flamme du bûcher a dévoré sa dépouille mortelle, mais celle de l'envie s'acharne encore après sa mémoire. Admettons qu'il ait poussé trop loin l'audace de ses discours, qu'il ait presque toujours manqué de modération dans son langage, qu'il ait été scélérat des pieds à la tête et qu'il ait mérité mille fois le supplice des hérétiques, devait-on néanmoins, à l'heure où il faisait acte de repentir lui fermer brusquement la route vers les idées plus saines... ? ».
Il s'en prend également à l'obscurantisme sévissant dans la ville : « Toulouse en est encore aux plus informes rudiments du culte chrétien... Comment qualifier, en effet, cette cérémonie qui a lieu tous les ans, le jour de la fête de Saint-Georges, et qui consiste à faire neuf fois le tour de l'église sur des chevaux lancés au galop ? ... Que pensez-vous de cette croix qu'à de certains jours on plonge dans la Garonne, comme pour amadouer un Eridan, un Danube, un Nil quelconque ou le vieux père Océan ? Que signifient ces vœux adressés au fleuve, soit pour en obtenir un cours paisible, soit pour se préserver d'une inondation ? Que veulent dire, en été, quand la sécheresse fait désirer la pluie, ces statues de saints, ces magots de bois pourri, que des enfants promènent par la ville ? Et cette ville, si honteusement ignare en fait de religion véritable, cette ville ose imposer à tous un christianisme de sa façon, et traiter d'hérétiques les libres esprits qui n'en veulent pas ? ».
Il se révolte enfin contre les persécutions dont sont victimes ses pairs : « Le parlement a persécuté Jean Boissonné le plus intègre des hommes, Mathieu Pacus, Pierre Bunel, Jean de Pins, si respectable pour sa vertu. Je n'en finirais pas, si je voulais rapporter tous les exemples de cruauté donnés publiquement à Toulouse... ».
La riposte du Parlement de Toulouse ne tarde guère. Dolet est emprisonné le 25 mars 1533. L'intervention de Jean de Pins, évêque de Rieux et de son ami Boyssonné permet sa libération, mais il est chassé de Toulouse. Il rejoint alors Lyon et le célèbre imprimeur allemand Gryphius. Il y édite ses « Discours contre Toulouse » et des sonnets accablant ses persécuteurs.

Il revient à Paris le 15 octobre 1534.
Durant la nuit du 17 octobre 1534, un "placard" - critique virulente de la messe selon le rite catholique rédigée par le pasteur Antoine Marcourt - est affiché dans Paris, dans des villes et châteaux de la vallée de la Loire et dit-on, sur la porte de la chambre de François Ier !

Une partie de la communauté protestante parisienne affirme des positions radicales au moment où le roi, désireux de l’appui des princes luthériens allemands, semble accepter une réforme religieuse modérée. Les manoeuvres des ultras catholiques ne sont certainement pas non plus étrangères à ce qui apparaît aujourd'hui comme une véritable provocation. François Ier engage alors une politique de répression terrible. Des sympathisants de la Réforme rejoignent l’église catholique, d’autres suivent Jean Calvin qui, réfugié à Bâle, va publier l’Institution de la religion chrétienne.

Les bûchers embrasent Paris. Le 18 novembre, Etienne Dolet écrit à un de ses amis de Lyon, Guillaume de Scève : « Il n'est bruit dans le public que des offenses faites au Christ par les luthériens... C'est pourquoi beaucoup de personnes, non seulement du bas peuple, mais du corps respectable des marchands, soupçonnés de partager l'erreur luthérienne ont été jetés en prison. J'assiste à ces drames en simple spectateur, ayant pitié du malheur des uns et riant de la folie des autres, quand je les vois braver la mort par une sotte persévérance et une intolérable obstination. »

Il quitte la capitale pour Lyon et y publie son «Dialogue sur l'imitation cicéronienne» dirigé contre Érasme. Il publie aussi son oeuvre principale, les «Commentaires sur la langue latine» dans lesquels il écrit : «Je ne saurais déguiser sous un lâche silence l'infamie de certains monstres à face humaine, qui, voulant frapper au cœur notre avenir littéraire, ont pensé qu'il fallait, de nos jours, anéantir l'art typographique. Que dis-je ? pensé ! N'ont-ils pas conseillé cet horrible meurtre à François de Valois, roi de France, c'est-à-dire à l'unique appui des lettres et des littérateurs, à leur partisan le plus chaud, à leur père le plus aimant ? Et quel motif ont-ils fait valoir ? Un seul : c'est qu'à les entendre, l'erreur luthérienne trouvait, dans la littérature et l'art typographique, un trop docile instrument de vulgarisation. Ridicule nation de crétins ! Comme si, par elles-mêmes, les armes étaient chose pernicieuse et fatale, et comme s'il fallait les supprimer à cause des blessures qu'elles font et de la mort qu'elles donnent !....Heureusement que l'abominable, le monstrueux complot de la Sorbonaille, de ce ramas d'ivrognes et de sophistes, s'est vu briser par la sagesse et la prudence de Guillaume Budé, ce soleil scientifique de notre âge, et de Jean du Bellay, évêque de Paris, prélat hors ligne, autant par sa vertu que par sa haute dignité.»

Dans l’œuvre de Dolet coexistent tout à la fois :
- l’épicurisme : doute de l’existence de sensations après la mort,
- le stoïcisme : l’univers et les hommes sont régis par le seul Destin ; seuls le travail et la vertu permettent d’accéder à la liberté, de s’émanciper du Destin,
- le rationalisme : doute affirmé de l’immortalité de l’âme.

Dolet suit le chemin du philosophe aristotélicien et libre penseur Pietro Pomponazzi (1462-1525) qui enseignait à la faculté de médecine de Padoue et fut très certainement son maître. Dans ses écrits - De Immortalitate Animae (1516), De Fato et De Incantationibus (publiés après sa mort pour éviter les persécutions de l’Eglise) – Pietro Pomponazzi développe des positions matérialistes, expliquant que ce qui peut paraître miraculeux n’est en fait que la traduction de notre ignorance. Il s’affronte à l’Eglise sur la question de l’immortalité de l’âme, expliquant que la pensée d’Aristote démontre le contraire. Le Traité de l'immortalité de l'âme fut brûlé en place publique à Venise par l’Inquisition. Pomponazzi pratiquait sans doute une rhétorique de la dissimulation, le commentaire d’Aristote servant de prétexte à la remise en cause des fondements de la foi. Pietro Pomponazzi était un pionnier, précurseur des philosophes des Lumières.
En 1538, Dolet mène de front une double activité d'éditeur et de philologue. Il édite un volume de vers, Carmina, dans lequel il étrille les moines : « La race des encapuchonnés, ce bétail à tête basse, a toujours à la bouche le refrain suivant : Nous sommes morts au monde. Et pourtant, il mange à ravir ce digne bétail ; il ne boit pas trop mal ; il ronfle à merveille, enseveli dans sa crapule ; il sait faire place à l'amour et à toutes les voluptés. Est-ce là ce qu'ils appellent, ces révérends, être morts au monde ? Il s'agit de s'entendre : morts au monde, ils le sont assurément ; mais parce qu'on les voit, ici-bas, fatiguer la terre de leur masse inerte, et qu'ils ne sont bons à rien... qu'à la scélératesse et au vice. »
Il édite Galien, Rabelais, Marot. Ayant édité l'Enchiridion Milites Christianus d'Érasme, la machine répressive se déclenche. Poursuivi à la requête du promoteur des causes de l'Inquisition, Dolet est arrêté à Lyon et jeté dans les prisons de l'archevêché. L'inquisiteur général, Mathieu Orry, assisté de l'official de l'archevêque Étienne Faye, lui fait son procès et par sentence rendue le 20 octobre 1542, Etienne Dolet est déclaré « mauvais, scandaleux, schismatique, hérétique, fauteur et défenseur des hérétiques et erreurs, et pernicieux à la religion chrétienne ».

Le 3 août 1546, il est conduit à son supplice, place Maubert.

Etienne Dolet, grand intellectuel humaniste, précurseur des Lumières, avait tout juste 37 ans.


14 janvier 2007

Giordano Bruno et la puissance de l’infini

Giordano Bruno sur le Campo dei Fiori, face au Vatican
Interview de Philippe Forget
La Libre Pensée sur France Culture
dimanche 12 octobre 2003

Gérard Da Silva : Nous avons le plaisir de recevoir aujourd’hui notre ami Philippe Forget, philosophe, auteur d’une revue de réflexion : L’art du Comprendre. Pourriez-vous tout d’abord nous présenter votre revue, ses thèmes et ses collaborateurs ?
Ph. Forget : Bonjour. Je salue les auditeurs et auditrices de la Libre Pensée. La revue L’art du Comprendre est une revue d’anthropologie philosophique, d’anthropologie historique et d’herméneutique. Elle se consacre ainsi à l’étude des rapports de l’homme au monde, à soi et à autrui.
En effet, comme l’homme n’est pas un produit fini, il se construit en faisant, en tissant lui-même des mondes. Il s’agit de voir dans cette revue comment l’homme s’élabore et se transforme selon les métamorphoses du sens qu’opèrent progressivement, au fil de l’histoire, les sociétés
humaines. La revue s’attache notamment à saisir l’homme moderne dans sa genèse, sa généalogie et son déploiement. Quand à ses collaborateurs, ce sont principalement des philosophes, des anthropologues, la plupart universitaires. Les thèmes sont divers. La revue se propose d’étudier des auteurs comme Giordano Bruno, Goethe, Hanna Arendt ou alors des thèmes de réflexion qui concernent l’évolution historique et mentale des hommes comme : «L’écologie et les théories du vivant», «Qu’est-ce que l’humanisme ?», «Qu’est-ce que le pragmatisme ?».
G. Da Silva
: Ce numéro d’avril 2003 est consacré à Giordano Bruno. Pourquoi ?
Ph. Forget : Nous avons choisi Giordano Bruno parce qu’il nous a semblé tout à la fois être une figure inaugurale et intempestive. C’est en effet un penseur décisif pour la naissance et la légitimité des temps modernes. Penseur bien trop ignoré en France du fait, je pense, de l’esprit monarcho–catholique et de son souci d’ordre et de vérités acquises, qui irriguent encore trop les pouvoirs académiques et politiques. Bruno dérange toujours parce que c’est un penseur, non pas de la certitude fixée, mais des possibilités et ouvertures que recèle le déploiement des univers et qui font l’histoire des hommes.
G. Da Silva : La pensée de Bruno est-elle toujours d’actualité ?
Ph. Forget : Plus que jamais. Il faut en effet relire Bruno pour comprendre que les temps modernes ne sont pas issus de la sécularisation des idéaux chrétiens. Avec Bruno nous voyons comment une nouvelle image du monde, qu’il découvre et imagine, détruit la théologie médiévale, la scolastique aristotélicienne, le ressentiment moral de l’augustinisme, et donc l’ordre social, politique, qui s’ensuit. Avec Bruno également, c’est le matérialisme antique qui renaît, notamment celui de Lucrèce, d’Epicure. C’est aussi la nature féconde et poétique de Virgile et de Cicéron qui revient : tous cependant réinterprétés à partir du dépassement de Copernic et de ses découvertes astronomiques que Bruno reprend à son compte mais dont il tire toutes les conséquences philosophiques et cosmologiques. Copernic avait bien découvert que c’était la terre qui tournait autour du soleil, mais il n’en avait pas tiré la conséquence qu’il n’y avait plus de centre du monde. C’est Bruno qui découvre cet évènement inouï et central dans la naissance de la modernité : si la terre devient un astre banal, il n’y a plus de centre du monde, le monde devient infini, il n’est plus clos. Il n’y a donc pas un seul monde mais une pluralité infinie d’univers chez Bruno, formés par une matière infinie et infiniment plastique.
Je pense que la pensée de Bruno anticipe les découvertes et théories cosmologiques et astronomiques actuelles et qu’elle fonde également, en théorie philosophique, les possibilités transformatrices que portent, par exemple, les technobiologies, la biophysique et toutes les possibilités que recèle l’intelligence artificielle. Bruno confère toute son intelligibilité au dynamisme prométhéen , sinon faustien, des énergies modernes. Il faut dire que c’est un penseur de la liberté face aux univers clos et fixes des pouvoirs d’Etat, de l’Eglise et des bureaucraties qui étouffent la créativité des individus et des communautés humaines.
G. Da Silva : Fait-il encore peur à l’Eglise ou a-t-il été récupéré comme bien d’autres avant lui ?
Ph. Forget : Au sujet du procès de Bruno, l’Eglise n’est revenue aucunement sur son jugement, à l’inverse de son attitude vis-à-vis de Galilée, car Bruno est certainement aux yeux de l’Eglise bien plus révolutionnaire que Galilée. Galilée invente une nouvelle physique, mais il laisse, comme Descartes, le pouvoir sur les âmes à l’Eglise. Pour Bruno, l’homme n’appartient ni à Dieu ni au Christ, mais au jeu combinatoire, opératoire de la matière. Jeu infini dont l’homme est un contributeur. D’autre part, Bruno, dans ses principaux écrits se moque du thaumaturge Jésus, des prélats, et de cette «Bête triomphante», comme il la nomme, qu’est l’Eglise, et il milite avec une ironie féroce pour son expulsion hors de la cité des hommes et des oeuvres de de l’Homo Faber. Bruno, en ce sens, est peut-être encore plus irrécupérable pour l’Eglise que d’autres figures philosophiques, comme Machiavel, Diderot, Marx ou Nietzsche.
G. Da Silva : La controverse que mène Bruno sur la question de l’infini est-elle vraiment dangereuse pour le christianisme et si oui pourquoi ?
Ph. Forget : Elle est effectivement dangereuse parce que, pour l’Eglise, l’infini appartient au Dieu transcendant qui détient toute la puissance de l’infini. Alors que pour G. Bruno c’est la « materia prima », la matière première, immédiate aux univers, qui est le potentiel infini de leur déploiement. Donc Bruno redonne la puissance de l’infini au monde dans lequel nous, hommes, nous sommes, à cette immanence naturelle qui nous entoure. D’un côté un univers clos, régi par l’unique récit moral et théologique qu’édicte l’Eglise, un univers marqué par le péché et l’obsession du salut. Avec Bruno, de l’autre côté, je dirais un « multivers » ou un « plurivers » innocent, toujours ouvert à de nouvelles possibilités d’engendrement, de déploiement, et où l’homme en tant qu’Homo Faber doit et peut y affirmer ses oeuvres et son histoire. Avec Bruno et sa conception d’une matière infinie, opérative, jaillissante et simple, le dieu trinitaire, son péché, sa providence, son appareil clérical, ses églises, perdent tous sens pour l’univers des hommes. Au mieux, Bruno les conserve dans ses écrits comme le pôle négatif qui peut animer la connaissance dialectique des choses. A propos du pouvoir clérical, Bruno utilise la figure comique de l’âne et de ses deux espèces. D’un côté, il y a l’âne curieux, laborieux et patient, qui cherche la connaissance ; de l’autre sévit l’âne feignant, oisif et vaniteux, qui, au contraire, la tue. Pour Bruno, il est évident que l’Eglise encourage la passivité de l’esprit et donc l’asinité négative et paresseuse. L’Eglise est alors un pôle d’ignorance que le chasseur de connaissance et de savoirs doit nécessairement affronter et dépasser.
G. Da Silva : Dans la longue liste des victimes de l’Eglise, G. Bruno est en bonne place. Depuis toujours la Libre Pensée internationale en a fait une de ses figures emblématique. A votre avis, à tort ou à raison ?
Ph. Forget : Je crois que c’est à très juste raison que G. Bruno est une figure emblématique de la LP. En effet, son esprit de curiosité, sa passion de la liberté, sa célébration de l’imagination créatrice, son combat acharné jusqu’à la mort, contre tout dogmatisme, son enthousiasme (ici il faudrait parler plutôt d’«en-physiasme», remplaçant la racine «theos» -dieu- par celle de «physis» - la nature-), sa curiosité pour le cosmos, pour les affaires humaines et civiles, restent, à mon avis, particulièrement exemplaires et stimulants pour tous les penseurs, les libres penseurs et les caractères libres.
G. Da Silva : J’ai lu avec intérêt que la pensée de G. Bruno a fortement inspiré les conceptions de John Toland, premier parmi les premiers libres penseurs anglais, et que, d’autre part, il a influencé les premières loges maçonniques écossaises. N’y a-t-il pas là une contradiction ? Bruno servirait-il à tous et à tout le monde ?
Ph. Forget : Cette remarque est un peu étonnante. Vu les écrits de Bruno et son engagement pour la curiosité scientifique, l’amour du monde extérieur, il est loin d’avoir pu servir à tous le monde, et je vois mal Giordano Bruno, le Nolain (du nom de Nola, son village de naissance, proche de Naples), servir les appareils cléricaux ou bureaucratiques. Au contraire, Bruno a eu un rôle fécond, essentiel dans la formation des penseurs bouleversants, révolutionnaires ou révolutionnant, utopistes tels Galilée, Cyrano, Spinoza, Diderot, Goethe, Ernst Bloch. Ce fut également un grand poète. Il faut savoir aussi qu’il a eu un rôle non négligeable dans l’histoire de la littérature, bien que sans doute méconnu, en inspirant James Joyce. Celui-ci l’a reconnu comme un de ses inspirateurs et a même dit de Bruno, qu’à son sens c’était le véritable philosophe fondateur de la modernité.
G. Da Silva : Le chemin du Nolain, recoupe le chemin de la maçonnerie en Italie au moment de la lutte pour l’unité nationale contre les états pontificaux. Hasard ou nécessité ?
Ph. Forget : Je pense que c’était une nécessité. Il fallait, en effet, trouver un emblème de l’affranchissement de la tutelle de l’Eglise et Bruno incarnait cette émancipation héroïque de la conscience humaine, de la conscience de l’individu, face et contre la tutelle religieuse et politique. Par sa conception de l’univers, sa philosophie de l’histoire, sa pensée morale et politique, enfin son écriture innovatrice, tantôt de langue populaire, tantôt humoristique, tantôt poétique, Bruno incarne une fondation toujours neuve de toute philosophie opérative et de toute praxis féconde de figures nouvelles de l’homme, de sa cité et du monde. Je pense en ce sens là que Bruno nous apprend et nous incite à travailler sur nous-mêmes, à oeuvrer le monde, pour lui donner des figures meilleures et plus belles.
Il y a une esthétique de la politique chez Bruno et on peut dire à la suite de Bruno que toujours d’autres mondes sont possibles et que le Monde est toujours jeune.

07 janvier 2007

1ère Rencontre mensuelle des Libres Penseurs

samedi 13 janvier
les Rencontres de la Libre Pensée
à 11h30, salle Duranti
(1er étage)
au 6 rue du Lieut.-Colonel Pélissier à Toulouse
(clic ici pour accès au plan)
tableau de Frans Hals
Rencontre, est proprement ce que sans estre preveu, et inesperéement s'offre à nous. Car Rencontre presuppose adventure. Ainsi on dit, J'ay fait une bonne rencontre, Mihi forte fortuna prospere contigit. Mais par abusion de la naifveté du mot, il se prend aussi pour ce qui s'offre avec pourchas. Comme, Il a fait rencontre d'une femme bien riche, ce qui est dit ores qu'il l'ait pourchassée, mais c'est avec denotation de fortune et adventure: car cela presuppose qu'il l'a rencontrée plus opulente qu'il ne luy appartient. Ainsi dit-on, Il a fait rencontre d'une bonne femme, ores qu'il en ait fait grande queste, par ce que c'est cas d'adventure d'en trouver une bonne. Selon cette mesme energie du mot, on dit Rencontre en fait militaire, le combat de deux troupes de deux armées ennemies, s'estans adventurierement et en endroict inopiné rencontrées. En quoy Rencontre differe de bataille. Car elle se fait d'une seule partie de l'armée querant adventure, et souvent par combat tumultuaire, et tantost de seules gens de cheval, et tantost de seules gens de pied. Là où bataille est de toute l'armée, et de gens de cheval et de pied ensemble, par bataillons ordonnez et rangez, et avec artillerie: ce que Rencontre n'a pas. Et voila pourquoy le casuel conflict des François et Anglois pendant le siege de Therouenne, surnommé des Esperons, quoy que Nic. Gilles en La vie du Roy Louys XIII luy donne le tiltre de Journée, neantmoins est par luy appelé Rencontre, et non bataille, non plus que les courses et ribleries de guerre ne le sont. Ledit Nic. Gilles en La vie de François I en cedit an eut grande esmeute de guerre entre les Roys de France et d'Espagne, en Picardie et Champagne, où se trouva le Tres-chrestien Roy de France, bien accompagné, et y eut plusieurs courses et ribleries les uns sur les autres, mais il n'y eut bataille universelle. Ce n'est pas pourtant à dire qu'une armée marchant dans le païs de l'ennemi, et rencontrant quelque trouppe d'iceluy ennemi, on ne puisse dire qu'elle ait eu rencontre. Mais ce n'est pas en cette dicte signification d'espece de conflict. Ainsi peut on dire qu'il y a deux especes de conflict campal, asçavoir, Bataille, et Rencontre. Car Course, Riblerie, Pillerie et Saccagement sont grevances, tout ainsi que Feu et Abbatis sont desgast.

Nicot, Thresor de la langue française (1606)

Pincé, Monseigneur !

TIARE, CROSSE...
... ET CHAUSSURES A CLOUS
Désigné le 6 décembre par Benoît XVI comme successeur de Jozef Glemp à la tête de l'archevêché de Varsovie, Stanislaw Wielgus a collaboré pendant 20 ans avec le SB, l'ancienne police politique du régime stalinien.
Une commission mise sur pied par l'Eglise polonaise elle-même a estimé les preuves suffisantes pour affirmer que Wielgus était volontairement un informateur du SB - c'est tout dire !
"Il y a beaucoup de documents importants qui confirment la volonté de Wielgus de coopérer", a dit la commission.
"Les documents véhiculent les opinions de certains responsables des services de renseignement selon lesquelles les actions de Stanislaw Wielgus (dans les villes où il a vécu) pourraient avoir fait du tort à certaines personnes appartenant aux cercles de l'Eglise."
10% environ du clergé aurait coopéré avec la police politique. L’Eglise refuse de dévoiler les noms de ceux qui l'ont fait.
Le Vatican avait affirmé avoir examiné le passé de l'archevêque avant de le nommer et reste silencieuse depuis que le scandale a éclaté - du moins jusqu'à aujourd'hui dimanche.
En effet, Stanislaw Wielgus, a depuis reconnu sa "faute" et s'en est remis "à la décision" du pape Benoît XVI, aussitôt après la prise de ses fonctions.
"Je confesse aujourd'hui devant vous cette erreur que j'ai commise autrefois, comme je l'avais déjà confessée au Saint-Père", a déclaré Mgr Wielgus dans un message lu lors des messes dans l'archidiocèse de Varsovie et diffusée par l'agence catholique KAI.
"Je déclare au Saint-Père que je me soumettrai à chacune de ses décisions", a ajouté le prélat.
"J'affirme aujourd'hui avec conviction que je n'avais pas fait de rapports sur quiconque, ni cherché à faire du tort à qui que ce soit", a déclaré le nouvel archevêque de Varsovie.
"Cependant, par ces liens, j'ai fait du tort à l'Eglise. Je lui ai fait encore du tort une nouvelle fois quand, ces derniers jours, au milieu d'une campagne médiatique effervescente, j'ai nié cette collaboration", a-t-il ajouté.
Il a demandé "avec le cœur repenti" au clergé et aux fidèles de son archidiocèse de le "recevoir en frère qui veut unir et non diviser, prier et réconcilier les gens au sein d'une Eglise des saints et des pécheurs qui est la nôtre".
Après avoir pris canoniquement possession de son archidiocèse vendredi, Mgr Wielgus devait faire son entrée officielle dans la cathédrale dimanche, lors d'une cérémonie solennelle en présence notamment du président Lech Kaczynski et du cardinal Stanislaw Dziwisz, ancien secrétaire particulier du pape polonais Jean Paul II.
Mais patatrac !
Pleurant vendredi, l'indicateur Stanislaw Wielgus a dû laisser tomber tiare et crosse dimanche.

"Le pape a accepté sa démission", vient d'annoncer - lapidaire - la nonciature apostolique à Varsovie.

(d'après AFP et Reuters)