16 février 2009

Etat de droit contre obscurantisme religieux

L'AFFAIRE ELUANA ENGLARO

La Cour de cassation italienne a levé le dernier obstacle juridique à l'arrêt de l'alimentation artificielle d'une femme de 37 ans dans le coma depuis 1992 en Lombardie.
Une décision condamnée d'avance par l'Eglise catholique pour laquelle l'interruption de l'alimentation et de l'hydratation artificielles est dans tous les cas "un assassinat".
La cour d'appel avait accordé le 9 juillet une autorisation d'arrêt d'alimentation et hydratation artificielle de la jeune femme.
Le parquet de Milan avait alors déposé un recours qui vient d'être rejeté par la plus haute juridiction, le jugeant irrecevable.

"On envoie une jeune fille à la mort"
Cette décision est "un fait gravissime sur les plans éthique et moral car on envoie une jeune fille à la mort", a réagi sur Radio Vatican le président de l'académie pontificale pour la vie, Mgr Rino Fisichella. Il a immédiatement réclamé une loi qui empêche "toute euthanasie active ou passive en Italie".
Mardi encore, le "ministre de la Santé" du Vatican, le cardinal Javier Lopez Barragan, avait considéré qu'un arrêt des soins à Eluana serait "une monstruosité inhumaine et un assassinat".
Quant à la Lombardie, présidée par le catholique conservateur Roberto Formigoni, elle a refusé d'indiquer à la famille d'Eluana un établissement acceptant d'appliquer la décision de justice.

C'est "la confirmation que nous vivons dans un Etat de droit"
Le père de la jeune femme demande depuis des années que sa fille, dans un coma végétatif depuis un accident de voiture en 1992 et hospitalisée dans une institution religieuse, cesse d'être maintenue en vie artificiellement. Il assure qu'elle ne l'aurait pas voulu.
La décision de la cour de cassation "est la confirmation que nous vivons dans un Etat de droit", s'est-il félicité.
Suite à cette décision de la Cour de cassation, Eluana n'était plus alimentée depuis le vendredi 6 février. Elle est finalement décédée le lundi 9, dans une clinique d'Udine (nord-est), alors que son sort faisait l'objet d'une véritable tempête politique .
"Eluana n'est pas morte de mort naturelle, elle a été assassinée, elle a été tuée alors que les sénateurs étaient en train de discuter sur la constitutionnalité du projet de loi du gouvernement" qui visait à interdire l'arrêt de l'alimentation de la jeune femme, a déclaré Silvio Berlusconi.
"Je suis serein car j'ai fait ce qui était juste", a ajouté le chef du gouvernement dans une interview au quotidien Libero. Jusqu'à la dernière minute, le gouvernement italien a fait des pieds et des mains pour empêcher l'interruption de l'alimentation artificielle. En vain. L'adoption en urgence vendredi d'un décret-loi pour empêcher l'arrêt de l'alimentation d'Eluana a été rejetée par le chef de l'État Giorgio Napolitano. Et le Sénat, réuni pour adopter en urgence un projet de loi qui aurait contraint ses médecins à recommencer à la nourrir, n'a pas eu le temps de légiférer.
Le mardi 10 février, toute la droite parlementaire, l'Église catholique en tête, le Vatican et tous les adversaires de l'euthanasie ont donc accusé en choeur la famille d'Eluana, la justice et le président de la République d'avoir tué la jeune femme.
"Que le Seigneur l'accueille et pardonne à ceux qui l'ont conduite là", a proclamé le "ministre de la Santé" du Vatican, le cardinal Javier Lozano Barragan.
Le pape Benoît XVI, quant à lui, avait condamné il y a quelques jours encore l'euthanasie "solution indigne de l'homme".
L'opposition de gauche et les mouvements laïques qui avaient multiplié les manifestations de soutien à la famille Englaro ont annoncé qu'ils suspendaient mardi toute manifestation publique "en signe de respect pour la mort d'Eluana".
Mais la chef du groupe parlementaire du Parti démocrate (PD) au Sénat, Anna Finocchiaro, est montée au créneau, dénonçant "une rage aveugle et irresponsable" de la droite qui, selon elle, a tenté à travers l'affaire Eluana de mener une "politique dévastatrice (qui avait pour but) la réduction des pouvoirs du chef de l'État, des décrets d'urgence sans freins et la réduction du débat parlementaire à un simulacre".
À l'annonce du décès de la jeune femme, les sénateurs des deux camps ont toutefois observé une minute de silence à la mémoire d'Eluana, avant de s'insulter, en venant quasiment aux mains.
Plus tard dans la nuit, majorité et opposition ont malgré tout réussi à se mettre d'accord sur la nécessité d'aboutir dans les deux semaines à un vote sur une loi régissant la fin de vie.
Encore des séances de pugilat en perspective...
D'après Le Point et L'Express