01 février 2009

Big mic-mac au Vatican

Les propos tenus, mercredi 28 janvier, par le pape Benoît XVI pour calmer le jeu suite à sa levée des excommunications des quatre évêques intégristes, dont Mgr Williamson (photo), celui pour qui l'Holocauste n'a pas existé, n'ont en définitive rien calmé du tout :
  • Jeudi 29 janvier, le Conseil central des juifs en Allemagne a rompu tout contact avec l'Eglise catholique, reprochant au pape de "prendre sous son aile" un négationniste.

  • Le grand rabbinat d'Israël a annulé une rencontre prévue en mars au Vatican.

  • En Suisse, 200 prêtres et théologiens ont écrit à leurs évêques pour s'inquiéter de la réhabilitation des intégristes, qui s'inscrit selon eux dans une série de "décisions fortement régressives".

  • En France, une cinquantaine d'intellectuels catholiques ont lancé une pétition dans La Vie demandant "une condamnation claire des propos de Mgr Williamson" par le pape.

Au Vatican, où certains s'interrogent sur l'opportunité d'annoncer la levée des excommunications au moment même où étaient diffusés les propos négationnistes, règne, selon un observateur romain, un climat "de tensions et d'agressivité. Le pape et son entourage n'ont pas pris la mesure du problème ; ils se sont arrêtés aux enjeux théologiques, sans voir les conséquences politiques ou sociétales d'une telle décision".
Les propos d'un prêtre italien de la Fraternité, estimant, jeudi 29 janvier, que "les chambres à gaz ont existé au moins pour désinfecter" sans pouvoir dire "si elles ont causé des morts" démontrent à qui veut bien l'entendre que Williamson n'est pas une exception et que Benoît XVI n'est certainement pas l'ingénu qu'il feint d'être. Les évêques français, concernés tout particulièrement car c'est en France que se trouve la plus importante fraction de Lefebvristes, se rendront à Rome la semaine prochaine.

Saint Pierre et ses brebis galeuses
Un article de Caroline Fourest paru dans LE MONDE 30.01.09
L'un des quatre évêques intégristes réintégrés par Benoît XVI, Mgr Williamson, est ouvertement négationniste. Qui peut feindre la surprise ? Il ne s'agit pas d'une première. Mais de l'énième main tendue à l'extrême droite anti-Vatican II, intolérante et antisémite, sous prétexte de retrouver l'"unité de l'Eglise". Cette "unité" est rarement invoquée pour réhabiliter les théologiens de la libération excommuniés, ou même pour adoucir l'amertume des catholiques de gauche placardisés. Entre la tentation moderniste et la tentation intégriste, le nouveau pape préfère combattre la première et courir après la seconde. La Fraternité Saint Pie X n'a jamais caché son enthousiasme : "C'est un pape traditionaliste !" Le compliment est exagéré mais mérité.

Benoît XVI aura fait plus de concessions en quatre ans que Jean Paul II en vingt-sept. Réhabilitation de la messe en latin, que l'on peut désormais célébrer comme "rite propre", messes tournées vers l'Orient et non plus vers les fidèles, réhabilitation de la prière pour la conversion des Juifs, réaffirmation du dogme au détriment de l'oecuménisme... Vatican II, ce "concile inspiré par le diable", selon l'expression lefebvriste consacrée, est en lambeaux. Presque tous les voeux de ses détracteurs ont été exaucés. Il ne restait plus qu'une exigence pour sceller la réconciliation : la remise en cause de l'excommunication des quatre évêques ordonnés par Mgr Lefebvre. Voilà qui est fait.
Bernard Fellay, l'un des quatre évêques réintégrés, étant le successeur de Lefebvre, sa Fraternité entre dans le giron de l'Eglise. Or elle compte bien d'autres brebis galeuses que Richard Williamson. Bernard Tissier de Mallerais, également réintégré, a fait partie du comité d'honneur de l'Union des nations de l'Europe chrétienne, au côté de membres du Front national. L'organisation avait l'habitude de se rendre à Auschwitz pour célébrer le "plus grand génocide de tous les temps". Non pas celui des Juifs, bien sûr. Mais celui des foetus avortés.
L'Eglise parisienne de la Fraternité, Saint-Nicolas-du-Chardonnet organise volontiers des offices à la mémoire d'écrivains négationnistes comme Maurice Bardèche. Son ancien curé, Philippe Laguérie, grand admirateur du milicien Paul Touvier, fait partie des toutes premières brebis traditionalistes réintégrées par Benoît XVI, grâce à un Institut dit du "Bon pasteur" taillé sur mesure. D'où il a pu baptiser un enfant de Dieudonné à la demande de son parrain, Jean-Marie Le Pen. Persuadé que les Juifs exercent une forme de "dictature" à travers la "banque et les médias", le bon pasteur est hostile à toute forme de dialogue avec le judaïsme : "On ne flirte pas avec cette secte !"
Ces discours extrémistes n'ont rien d'exceptionnel parmi les nouveaux soldats du pape. Les catholiques traditionalistes rejettent souvent l'oecuménisme de Vatican II par nostalgie pour l'antijudaïsme chrétien, ce bon vieux temps où l'on pouvait prier pour l'âme du juif déïcide. Leurs militants français s'inscrivent donc logiquement dans la plus pure tradition maurrassienne. Certes, d'autres catholiques ouvertement d'extrême droite, comme Bernard Antony, de Chrétienté-solidarité (élu FN), ou don Gérard Calvet, du monastère du Barroux, se sont ralliés à l'Eglise du temps de Jean Paul II.
Mais à l'époque, quand le monastère du Barroux se remettait à prier pour le "Juif perfide", cela faisait désordre et le Vatican intervenait. Aujourd'hui, la prière pour la conversion des juifs est parfaitement tolérée. Sa formulation a été atténuée mais son esprit restauré.
Les rabbins italiens qui ont osé protester contre cette prière se sont vus sèchement éconduits par le Cardinal Kasper, pourtant chargé du dialogue interreligieux : "De notre point de vue, elle est tout à fait correcte sur le plan théologique. C'est simplement difficile pour les Juifs de l'accepter."
Le ton du "dialogue" est donné.