13 février 2008

8 février : le discours de Marc Blondel





Mesdames et Messieurs les représentants des autorités municipales et publiques,
Citoyennes, citoyens,

Il m’appartient, en qualité de Président de la Fédération Nationale de la Libre Pensée, association qui fête ses 160 années d’existence, de rendre hommage aux penseurs précurseurs des lumières, victimes de l’obscurantisme, à travers l’image de Giulio Cesare VANINI.

Au préalable, je tiens à vous dire notre satisfaction de voir les élus municipaux de votre ville saluer la mémoire de celui qui fut considéré comme "le prince des libertins" voire "l’aigle des athées", ce qui tranche quelque peu avec la pensée unique et la tendance actuelle de certains politiques à revaloriser le rôle des religions au point d’ébranler le caractère laïque et égalitaire de notre République.

Par cet acte vous apparaissez comme quelque peu rebelles donc dans la droite ligne des hommes que nous entendons honorer par cette cérémonie.

Permettez-moi de rappeler l’histoire de VANINI qui fut brève puisque né en 1585, il fut, permettez-moi ce terme, "assassiné" à Toulouse, par décision de justice, en 1619, le 9 février.

Toulouse, capitale du Languedoc où il séjourna relativement peu de temps, où, plus exactement, il pensait, peut-être naïvement, trouver refuge.

En effet, Giulio Cesare VANINI est né dans les Pouilles italiennes. Après des études juridiques à Naples il entre dans l’ordre des Carmes.

Lors d’un séjour dans la République de Venise, il fréquente l’université de Padoue et se mêle au combat des vénitiens contre le Pape ce qui le conduit, pour éviter les sanctions, à rejoindre l’Angleterre où il se convertit à l’anglicanisme. Déçu par les anglais, il obtient le pardon du Pape, il est incarcéré à Londres, s’évade, gagne Bruxelles puis Paris.

C’est en France, à Lyon, qu’il publie "l’Amphithéâtre de l’éternelle providence".

En 1615 et 1616, il fréquente les libertins de la cour de Marie de Médicis et publie les "Admirables arcanes de la nature".

Il règne alors à Paris un climat de liberté, de libertinage voire d’impiété, la production littéraire de VANINI est à la mode, le retournement s’effectue lors de la condamnation de son œuvre par la Sorbonne.

Les protections dont il pouvait bénéficier s’effondrent, car il y a des poussées violentes anti- italiennes qui conduiront CONCINI à sa perte.

VANINI doit quitter Paris, il se réfugie temporairement à Condom.

Il arrive enfin à Toulouse.

Ce qui peut paraître paradoxal.

Ce n’est faire injure à personne que de préciser qu’en ce début du XVIIème siècle, la ville de Toulouse a la réputation, justifiée, d’être un bastion du catholicisme intransigeant. La répression des protestants, par exemple, y fut impitoyable et féroce.

Il ne nous appartient pas de faire un réquisitoire, ce n’est ni le lieu ni dans nos pratiques ; néanmoins, on peut rappeler le bûcher contre l’universitaire Jean de CATURCE en 1532 qui conduisit Etienne DOLET à s’interroger sur la cruauté qui ferait les délices de Toulouse.

Quant à Pierre BAYLE, il écrit : "la ville de Toulouse est sans contredit l’une des plus superstitieuses de l’Europe, les catholiques des autres endroits du Royaume en sont quelquefois surpris. Sa haine des Huguenots est la plus étrange du monde".

Cet esprit, malheureusement, se perpétuera. Il sera à l’origine de l’affaire CALAS et VOLTAIRE dans « le traité de la tolérance », s’indigne contre la procession qui, chaque année, célèbre l’expulsion de 1562.

Toulouse est intransigeante à l’égard de toute dissidence au cours des dernières décennies du XVIème et au début du XVIIème, l’emprise catholique se renforce encore par l’intermédiaire des notables, l’église contrôle les principales institutions civile de la ville.

C’est dans ce contexte que VANINI arrive à Toulouse bénéficiant de la protection de François BASSOMPIERRE proche de MEDICIS et de son ami Adrien DE MONLUC, gouverneur du comté de Foix, ces deux protecteurs ayant des liens étroits avec les grands écrivains de leur temps, tels que GUEZ DE BALZAC, Mathurin REGNIER et Charles SOREL.

A Toulouse, MONLUC a fondé une académie "l’académie des Philarètes" (les amoureux de la vertu) dans laquelle VANINI se trouva à l’aise.

Et VANINI devint ce qu’on appellerait maintenant la "coqueluche" de la jeunesse dorée, il sut pénétrer les milieux très en vue de la société locale.

Grisé par ce succès, il deviendra imprudent. Après avoir traité, problématiquement, des mystères de l’église catholique, il en vint, peu après, à s’en moquer publiquement, ce qui fait l’objet de l’admiration des jeunes, provoqua la réaction de la bourgeoisie toulousaine qui le dénonça comme impie aux capitouls, les magistrats municipaux.

La réaction fut immédiate : faire un exemple pour réaffirmer l’autorité des dévots et ramener au bercail la jeunesse considérée comme égarée et surtout éviter de s’interroger sur la soumission à l’ordre dévot.

Le procès s’est déroulé en quelques heures le samedi 9 février1619. Le Président Gilles LE MAZUYER a prononcé la sentence de mort de la manière suivante :

"La cour a déclaré le dit Ucilio atteint et convaincu des crimes d’athéisme, blasphème, impiété et autres crimes et condamne Ucilio à être exécuté dans la journée même", verdict sans appel.

La condamnation se suffit à elle-même. Le libertin fut martyrisé, traîné nu, attaché à un char, supplicié, il refusa de demander pardon à dieu et répondra qu’il ne demanderait jamais pardon à une chose imaginaire.

Les châtiments corporels pour les blasphémateurs étaient particulièrement odieux, on lui arracha la langue et il sera étranglé avant que son corps ne soit brûlé sur le bûcher et les cendres jetées au vent.

Que dire ? Ce même 9 février Toulouse était en fête. Fêtes de carnaval, mais aussi fêtes en l’honneur d’Henri de MONTMORENCY, gouverneur du Languedoc. Le lendemain, sur la place même du bûcher, il y eut une course de bagues (jeu dans lequel les cavaliers d'un carrousel devaient décrocher des anneaux suspendus à un poteau fixe) à laquelle assistait une foule nombreuse comme la veille, où s’illustra la noblesse au premier rang de laquelle plusieurs anciens amis de VANINI, Adrien DE MONLUC notamment.

Mesdames, Messieurs, citoyennes, citoyens, cette histoire est notre histoire : le siècle des Lumières a conduit à une révision fondamentale des notions de liberté individuelles et collectives et notamment la liberté d’expression. La République et sa devise "Liberté, Egalité, Fraternité" a stabilisé les droits des citoyens, de tous les citoyens, la loi de séparation des églises et de l’Etat de 1905 a concouru à l’égalité, l’engagement religieux ou philosophique étant du domaine de l’individu.

La laïcité, vérité universelle, conduit au respect mutuel et l’Etat est dégagé de toute contrainte et soumission aux religions.

Faut-il rappeler que notre République est, avec le Portugal, le seul Etat laïque de l’Europe ?

Vous comprendrez, dans ces conditions, que la Fédération Nationale de la Libre Pensée soit légitimement inquiète des déclarations de certains responsables politiques qui n’hésitent pas à considérer la laïcité comme ringarde voire sectaire.

Je veux, de manière solennelle, faire un appel à la modération devant ces excès que nous souhaiterions être strictement de langue. Il ne serait pas pardonnable que l’on veuille de nouveau réveiller des oppositions d’un autre siècle.

La République Française ne saurait être abandonnée au profit du communautarisme qui porte en lui-même le conflit entre ceux qui croient et ceux qui ne croient pas, voire la tension entre gens des différentes croyances.

Dans quelques mois le Pape, autorité religieuse, viendra en France et plus précisément dans votre région. La Libre Pensée a demandé aux responsables politiques le respect de la loi de 1905 et réclamé que ce voyage ne soit pas financé par de l’argent public.

Et nous nous félicitons de la réponse du Président MALVY qui nous a assurés que la loi serait respectée.

Tout comme nous vous félicitons, à nouveau, Mesdames et Messieurs les élus de Toulouse, de l’initiative d’aujourd’hui.

A votre façon, vous avez, publiquement, ce faisant, affiché votre liberté de penser.