11 novembre 2007

11 novembre 2007 : l'hommage rendu à Jaurès

Merci au nom de la Fédération de la LP d’être venus pour cette première manifestation pacifiste du 11 novembre à Toulouse, devant la demeure de Jean Jaurès, du temps où il était maire adjoint, enseignant et député socialiste. Nous prenons ainsi notre place dans cette tradition militante de la Libre Pensée qui fait que chaque 11 novembre, notamment devant les monuments aux morts comme celui de Gentioux, nous organisons des rassemblements pacifistes.
Le 11 novembre, Jean Jaurès : il n’est pas besoin d’être grand clerc pour comprendre et le lien, et le symbole .
D’un côté, la date qui marque la fin de la Première Grande Boucherie Mondiale, de l’autre le nom de celui qui illustre le combat pour la paix au nom de l’internationalisme socialiste jusqu’à son assassinat, à la veille du déclenchement du conflit, le 31 juillet 1914 au Café du Croissant à Paris.
Quelques mois auparavant, au printemps 1914, les élections législatives ont donné une majorité à la gauche, composée des différents courants socialistes français, divisés, mais confrontés à une droite en déroute. Le 27 février, il y avait eu une grande Manifestation contre la guerre à Paris, à l'appel de l'UD de la Seine de la CGT. On est en pleine affaire Caillaux . Joseph Caillaux, un radical, (qui sera de ceux qui voteront les pleins pouvoirs à Pétain en 1940) cède son fauteuil à René Viviani du Parti Républicain Socialiste, parti opposé à la SFIO, ce qu’on appelle « les socialistes indépendants », les Kouchner d’alors.
Le 28 juin, c’est l’attentat de Sarajevo. Les nuages s’accumulent, l’orage gronde.
Jean Jaurès reste encore confiant dans les capacités de la classe ouvrière. Au congrès extraordinaire de la SFIO, le 14 juillet, il brandit l’arme de la « grève générale simultanément et internationalement organisée ».
11 jours plus tard, le 25 juillet, le ton est plus pessimiste. Dans un discours, Jaurès parle du péril des « massacres à venir ».
Le 27 juillet, à l'appel de l'Union des syndicats de la Seine de la CGT, il y a une nouvelle manifestation contre la guerre. Jaurès croit encore pouvoir faire pression sur le gouvernement que le groupe socialiste SFIO soutient. Le 29 et le 30, il est à Bruxelles, où se réunit l’Internationale socialiste.
Le 30 juillet, il y a encore des manifestations ouvrières dans de nombreuses villes françaises, des affrontements avec les forces de l’ordre. Jaurès appelle les prolétaires allemands et français à renforcer la pression. Et dans le même temps, à son retour, il demande et obtient des responsables de la CGT un report au 9 août de la manifestation qui était prévue pour le 2.
Il tient à préserver encore le gouvernement... …qui n’en a cure : René Viviani le reçoit certes, mais lui cache une partie importante de ses informations. Jean Jaurès est abusé.
Le 31 juillet, il apprend que l’Allemagne a décrété « l’état de péril de guerre avancé » et que le gouvernement français s’apprête à son tour à sauter le pas.
Nous nous retrouvons au soir du 31 juillet.
Il prépare un article pour dénoncer les responsables de la situation dramatique qui s’annonce, et notamment les « ministres à tête légère ».
Quand surgit de derrière les rideaux la main armée de Raoul Villain.
Le lendemain de l'assassinat, l'ordre de mobilisation générale est proclamé : la Boucherie mondiale commence.
Le 4 août, lors des obsèques de Jean Jaurès, Léon Jouhaux annonce « le ralliement de la CGT à l'Union sacrée ».
Le groupe parlementaire socialiste vote à l'unanimité les crédits de guerre et l'état de siège restreignant les libertés. Leurs camarades allemands feront de même au Bundestag, à l’exception illustre de Karl Liebknecht qui votera contre.
Le 26 août, les socialistes Jules Guesde et Marcel Sembat entrent dans le gouvernement Viviani « d' Union sacrée ».

Pour paraphraser Lénine évoquant Marx, il arrive aujourd'hui à Jaurès ce qui est arrivé plus d'une fois dans l'histoire aux penseurs révolutionnaires et aux chefs des classes opprimées en lutte pour leur affranchissement. Lénine explique : "Du vivant des grands révolutionnaires, les classes d'oppresseurs les récompensent par d'incessantes persécutions ; elles accueillent leur doctrine par la fureur la plus sauvage, par la haine la plus farouche, par les campagnes les plus forcenées de mensonges et de calomnies. Après leur mort, on essaie d'en faire des icônes inoffensives, de les canoniser pour ainsi dire, d'entourer leur nom d'une certaine auréole afin de "consoler" les classes opprimées et de les mystifier ; ce faisant, on vide leur doctrine révolutionnaire de son contenu, on l'avilit et on en émousse le tranchant révolutionnaire. On met au premier plan, on exalte ce qui est ou paraît être acceptable pour l’ordre établi. "
Et en effet, tout le monde aujourd’hui cite Jaurès à tout bout de champ, à tort et à travers, tout le monde aujourd’hui s’en réclame, y compris les va-t-en guerre de la « Liberté immuable ». C’est l’assassiner une deuxième fois.
Je voudrais donc profiter de cet hommage pour vous lire quelques extraits de deux textes de Jaurès, et ainsi contribuer tant que faire se peut à lui redonner la place qui est la sienne :
contre l’ordre établi du sabre et du goupillon, avec la classe ouvrière, avec les peuples, avec le socialisme internationaliste, avec nous.

L'Alliance des peuples
L'Humanité du 7 juillet 1905.
D'une guerre européenne peut jaillir la révolu­tion, et les classes dirigeantes feront bien d'y songer mais il en peut sortir aussi, pour une longue période, des crises de contre-révolution, de réaction furieuse, de nationalisme exaspéré, de dictature étouffante, de militarisme monstrueux, une longue chaîne de violences rétrogrades et de haines basses, de repré­sailles et de servitudes.
Et nous, nous ne voulons pas jouer à ce jeu de hasard barbare, nous ne vou­lons pas exposer, sur ce coup de dé sanglant, la certi­tude d'émancipation progressive des prolétaires, la certitude de juste autonomie que réserve à tous les peuples, à tous les fragments de peuples, au-dessus des partages et des démembrements, la pleine victoire de la démocratie socialiste européenne.
C'est pourquoi, nous socialistes français, sans qu'aucune personne humaine puisse nous accuser d'abaisser le droit, nous répudions à fond, aujour­d'hui et à jamais, et quelles que puissent être les conjectures de la fortune changeante, toute pensée de revanche militaire contre l'Allemagne, toute guerre de revanche. Car cette guerre irait contre la démo­cratie, elle irait contre le prolétariat, elle irait donc contre le droit des nations, qui ne sera pleinement garanti que par le prolétariat et la démocratie...
Le monde apaisé sera plus riche de diversités et de couleurs que le monde tumultueux et brutal. C'est la guerre qui est uniformité, monotonie, refoulement: "L'arc de paix" avec toutes ses nuances est plus varié que le violent contraste de la nuée sombre et de l'éclair dans le déchaînement de l'orage.
Quand Nietzsche fait appel pour diversifier le monde et pour relever l'homme à une aristocratie nouvelle, il oublie de se demander sur quelle base économique s'appuierait, dans le monde transformé, cette aristocratie de privilège et de proie. Mais enfin ce n est pas dans l'enceinte de nationalités exclusives et jalouses qu'il prévoit le large développement des individualités humaines. Il affirme sans cesse que l'homme nouveau doit être avant tout "un bon Européen", que l'Europe va vers l'unité, et qu'il faut qu'elle y aille.
Mais comment Nietzsche lui-même pourrait-il nier que c'est l'action du prolétariat socialiste qui est dès maintenant, et qui sera de plus en plus la force décisive d'unification de l'Europe et du monde ?
Pour cette grande œuvre de révolution sociale et morale, le prolétariat allemand et le prolétariat français peuvent beaucoup par leur union, par leur action commune. Notre devoir est haut et clair : toujours propager l'idée, toujours espérer, toujours lutter jusqu'à la définitive victoire de la démocratie socia­liste internationale, créatrice de justice et de paix. "

La paix et le socialisme
l’Humanité, 9 juillet 1905
Il nous reste encore une oeuvre immense d’éducation et d’organisation à accomplir. Mais, malgré tout, dès maintenant, il est permis d’espérer, il est permis d’agir. Ni optimisme aveugle ni pessimisme paralysant. Il y a un commencement d’organisation ouvrière et socialiste, il y a un commencement de conscience internationale.
Dès maintenant, si nous le voulons bien, nous pouvons réagir contre les fatalités de guerre que contient le régime capitaliste.
Marx, quand il parle des premières lois anglaises qui ont réglementé la durée du travail, dit que c’est le premier réflexe conscient de la classe ouvrière contre l’oppression du capital. La guerre est, comme l’exploitation directe du travail ouvrier, une des formes du capitalisme, et le prolétariat peut engager une lutte systématique et efficace contre la guerre, comme il a entrepris une lutte systématique et efficace contre l’exploitation de la force ouvrière.
Pas plus qu’il n’y a une loi d’airain du salaire qu’aucune action prolétarienne ne pourrait assouplir, pas plus qu’il n’y a un mètre d’airain de la journée ouvrière qu’aucune action prolétarienne ne pourrait réduire, il n’y a une loi d’airain de la guerre qu’aucune action prolétarienne ne pourrait fléchir.
Le monde présent est ambigu et mêlé. Il n’y a en lui aucune fatalité, aucune certitude. Ni le prolétariat n’est assez fort pour qu’il y ait certitude de paix, ni il n’est assez faible pour qu’il y ait fatalité de guerre. Dans cette indécision des choses et cet équilibre instable des forces, l’action humaine peut beaucoup. La formidable part d’inconnu n’est pas redoutable seulement pour nous, socialistes. Elle l’est aussi pour ceux qui déchaîneraient témérairement des guerres dont nul aujourd’hui ne peut prévoir les conséquences politiques et sociales et les contrecoups Donc, nous pouvons agir dès aujourd’hui, à quelque degré, sur la marche des événements, et comme nul ne peut déterminer d’avance le degré d’efficacité de notre action, nous devons donner tout notre effort comme si elle était en effet assurée du succès.

En 2007, 11 000 soldats français sont déployés en dehors des frontières et 13 d’entre eux ont été à ce jour tués en Afghanistan. 470 soldats américains ont été tués dans ce même pays, auxquels il faut ajouter les 3859 soldats morts en Irak.
Selon l’étude de la revue « The Lancet », on compte plus de 1 100 000 Irakiens morts depuis la première Guerre du golfe.
13 soldats français tués cela peut paraître dérisoire au milieu de ces dizaines de milliers de cercueils et de familles endeuillées. Mais outre qu’un mort, c’est toujours un mort de trop, toutes les déclarations martiales de Sarkozy et de Kouchner indiquent une amplification du déploiement des troupes dans un avenir proche. Après les menaces de Kouchner contre l’Iran, c’est le président de la République qui aux Etats-Unis explique au Congrès : "Je vous le dis solennellement aujourd'hui : la France restera engagée en Afghanistan aussi longtemps qu'il le faudra, car ce qui est en cause dans ce pays, c'est l'avenir de nos valeurs et celui de l'Alliance atlantique." "Pour moi, l'échec [en Afghanistan] n'est pas une option. Le terrorisme ne gagnera pas parce que les démocraties ne sont pas faibles, parce que nous n'avons pas peur de cette barbarie. L'Amérique peut compter sur la France."
Bush se réjouit : « J'ai un partenaire pour la paix, quelqu'un qui est disposé à prendre des positions dures, pour parvenir à la paix ».

Oui, comme Jaurès nous pensons qu’il est possible d’agir sur la marche des événements, aux côtés des Américains qui manifestent de plus en plus nombreux contre la guerre, aux côtés des peuples de tous les continents qui aspirent à vivre dans la paix et la liberté.
Voilà le sens profond de la campagne lancée lors de notre Congrès de 2006, je veux parler de la lettre ouverte au Premier ministre pour la réhabilitation des Fusillés de 14-18. Nous vous invitons à la contresigner, à la faire connaître tout autour de vous.
En mai 2008, sur le plateau de Craonne, pour célébrer l’anniversaire des premières fraternisations, la Libre Pensée envisage d'organiser une grande manifestation.

Nous voulons regrouper une force, dans l’union la plus large avec tous ceux qui voudront agir avec la Libre Pensée, pour exiger, encore et toujours :
Justice pour les Fusillés,
Réhabilitation des Fusillés pour l’exemple !
Guerre à la guerre !
Vive la Sociale !
Salut et Fraternité à la mémoire de Jean Jaurès !