26 novembre 2007

Le Tsar, le Patriarche et le Pontife

Un Tsar au Vatican
Le 13 mars dernier, Benoît XVI recevait Vladimir Poutine.
"Cette visite est significative des bonnes relations entre la Fédération russe et le Saint-Siège", soulignait alors sur Radio-Vatican Mgr Antonio Mennini, représentant pontifical à Moscou, espérant qu’elle "porte de bons fruits".
L'Eglise orthodoxe russe a souhaité quant à elle que la rencontre entre le président Poutine et Benoît XVI contribue "au renforcement des valeurs morales traditionnelles en Europe et dans le monde", ainsi qu' "au règlement des conflits internationaux et à la normalisation des rapports ecclésiastiques".
"Les rapports entre la Russie et le Vatican ne peuvent pas être séparés des rapports entre l'Eglise catholique romaine et l'Eglise orthodoxe russe, car il est impossible de séparer le Vatican de l'Eglise catholique romaine", a déclaré l'archiprêtre Vsevolod Chaplin, vice-président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Partiarcat de Moscou.
Pour Nicolas Lossky, prêtre de l'Eglise orthodoxe russe à Paris, "Vladimir Poutine en espère aussi une retombée sur son image et sur celle de son pays en Europe occidentale". "Il cherche à ce que la Russie soit très présente en Europe et il pousse l'Eglise orthodoxe dans cette direction".
Les rapports entre le Vatican et l'Eglise orthodoxe russe sont tendus depuis de longues années, le patriarcat de Moscou accusant les catholiques de prosélytisme en Russie, un reproche que ces derniers rejettent avec constance, comme tous les reproches qui peuvent du reste leur être faits.
Mais le Saint-Siège comme le patriarcat de Moscou mettent l'accent sur la solidité de leurs relations directes, qui se sont nettement améliorées depuis quelques années.
"La restitution en 2004 par Jean Paul II de la célèbre icône de Notre-Dame de Kazan a contribué à faire évoluer les choses dans le bon sens", rappelle Mgr Johann Bonny, membre du conseil pontifical pour l'unité des chrétiens, l'organe du Vatican en charge des relations avec les orthodoxes.
Surtout, l’élection de Benoît XVI et son souci d’unité avec l’orthodoxie ont aplani bien des difficultés.

Le Mont Athos
Le 9 septembre, Vladimir Poutine effectuait une visite qualifiée d'historique au Mont Athos, dans le nord de la Grèce, car c'était la première d'un chef de l'Etat russe dans ce haut lieu de l'orthodoxie, toujours interdit aux femmes.
Le caractère de cette visite était annoncé comme strictement privé. Poutine est arrivé à bord d'un yacht, protégé par un important dispositif de sécurité. Selon l'agence de presse grecque Ana, la direction collégiale de la communauté a réservé au président russe "un accueil grandiose dans la tradition byzantine"
"La Russie a toujours été unie par des liens puissants au Mont Athos, toutes les sources intellectuelles sont liées avec le Mont Athos, toutes les couches sociales nourrissent un grand respect pour le Mont Athos", a déclaré Poutine, ajoutant qu’"en Russie, nous estimions et nous estimons les hommes qui ont choisi ici la vie monacale".

Dans quelques jours, les élections à la Douma...
Le 19 novembre, Poutine, candidat aux législatives du 2 décembre prochain, s’est à nouveau adressé à l'Eglise orthodoxe. Devant 120 dignitaires religieux réunis au Kremlin, il a déclaré : "La stabilité du pays et la poursuite des changements positifs que nous voyons dans notre vie dépendent directement des résultats des élections législatives. Je suis sûr que les chrétiens orthodoxes feront preuve d'un civisme actif".
Le taux de participation constitue un enjeu important alors que Russie unie, le parti de Poutine, présente ces élections comme un plébiscite en faveur de Vladimir Poutine et qu'un mouvement l'appelant à rester au pouvoir, sous une forme ou une autre, se forme dans le pays.
Vladimir Poutine ne peut théoriquement se présenter à la présidentielle en mars 2008 après deux mandats consécutifs, mais il a assuré qu'il "resterait influent". Il pourrait devenir premier ministre, chef de la majorité parlementaire, certains n'excluant pas qu'il se représente en profitant de failles dans la loi électorale...

Poutine a remis "la chasuble du Christ"
L'Eglise orthodoxe russe, dirigée par le patriarche Alexis II, a beaucoup fait pour asseoir l'autorité de Vladimir Poutine, rappelant la tradition russe selon laquelle le tsar tient son pouvoir de Dieu.
Poutine, ancien agent du KGB, a entrepris en échange, depuis son arrivée au Kremlin en 2000, de redonner à l'Eglise orthodoxe russe l'influence perdue sous le régime soviétique.
Il s'affiche souvent priant dans des lieux saints de Russie ou de simples églises.

Vladimir Poutine a profité de la cérémonie lundi pour remettre devant les caméras à Alexis II une partie de "la chasuble du Christ", "une des reliques les plus importantes pour les orthodoxes", en faisant un signe de croix.
Cette relique, conservée dans le musée du Kremlin, sera désormais exposée dans la cathédrale du Christ Sauveur. Poutine a ainsi expliqué ce geste :
"L'Eglise orthodoxe a joué un rôle important pour le développement de l'Etat, de la culture, de la morale. Nous apprécions hautement son aspiration à faire revivre les idéaux et les valeurs qui ont été des repères spirituels pendant des siècles".

Un "conseil civil pour la moralité"
Le patriarche Alexis II a pour sa part souligné qu'il était "important de guérir les blessures spirituelles à la suite de la politique d'athéisme" de l'époque soviétique, quand l'immense majorité des édifices religieux ont été fermés.
Il a proposé de créer un "conseil civil pour la moralité" pour surveiller les émissions de télévision et de radio qui sont souvent "vicieuses et moralement irresponsables".
Le patriarche a également demandé que soient établis des sursis pour les jeunes appelés qui font des études religieuses, rappelant que "plus de 300.000 prêtres" avaient été fusillés pendant les années de la répression et que l'Eglise souffrait toujours d'un problème de cadres.

Les liens de plus en plus étroits entre l'Eglise et le pouvoir ne sont pas du goût de tout le monde. Une centaine de défenseurs des droits de l'Homme et plusieurs scientifiques russes ont appelé cet été à mettre fin à "la cléricalisation de la société russe", dénonçant "une nouvelle idéologie nationale et religieuse empreinte d'une négation de la démocratie, de xénophobie et du culte du pouvoir".


Avec les dépêches AFP

L'église orthodoxe est devenue une véritable force politique, au service d'une nouvelle idéologie nationale.

Un reportage ARTE INFO du 25/11/2007 :
Voir le reportage