27 octobre 2007

Derrière l'hypocrisie du "Grenelle de l'Environnement"...

...l'annonce d'un désastre sanitaire en Martinique et en Guadeloupe
Le 17 septembre dernier, le Professeur Dominique Belpomme, cancérologue réputé à l’hôpital Georges Pompidou à Paris, annonçait "un désastre sanitaire aux Antilles" à la une du Parisien, évoquant une "affaire plus grave que le sang contaminé".
En cause : le chlordécone, un pesticide employé pour le traitement des bananiers dans la lutte contre le charançon, pesticide très utilisé en Martinique et en Guadeloupe jusqu’en 1993 alors qu’il était interdit aux Etats-Unis depuis 1976 et que dès 1979 la communauté scientifique internationale en connaît la toxicité.
Dans les bananeraies antillaises, les nappes phréatiques ont été polluées par l’insecticide, transmettant le poison aux fruits et légumes-racines cultivés et consommés localement.
Le Professeur Belpomme, dans un rapport rédigé pour l’Assemblée Nationale, établit une relation entre la pollution au chlordécone et de nombreux cas de cancer. Dans Le Figaro (17/09/07), tout en précisant que les scientifiques n’ont pas encore la preuve épidémiologique du lien entre ces cancers et le chlordécone, il explique qu’on a en revanche pu démontrer scientifiquement la contamination au chlordécone de toutes les femmes enceintes et de tous les nouveaux-nés en Guadeloupe.

La ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, a quant à elle insisté sur le fait qu’il n’existait "pas de lien scientifique" entre les pesticides et les problèmes de santé des Antillais et appelé à la "plus grande précaution" pour les produits ne provenant pas des circuits commerciaux (production de jardins familiaux ou prélèvements d’eau de source) recommandant "de ne pas les consommer plus de deux fois par semaine". De fait, les pouvoirs publics cherchent à minimiser l'impact du rapport. Une campagne de dénigrement du Pr Belpomme, visant à le faire passer pour un charlatan, est méticuleusement orchestrée et soigneusement relayée. On trouvera ci-après un article paru dans Libération et un Droit de réponse du Pr Belpomme suite à un article publié sur le site cdurable.info.

« Le rapport du Pr Dominique Belpomme était fort attendu. Pas tant son contenu, qui reprend une littérature abondante - publiée depuis trente ans ! - sur la pollution endémique des Antilles par un pesticide (le chlordé­cone), utilisé par les planteurs de bananes. Mais plutôt la forme employée par ce cancérologue de l’hôpital Pompidou, qui s’y connaît en agitation médiatique. Son interview, la veille dans le Parisien, évoquant une «catastrophe sanitaire» , a suffi à semer la panique au sein du gouvernement.
Il s’y était pourtant préparé. En août, après avoir pris connaissance des éléments de son enquête, la trop peu connue Mission interministérielle et interrégionale chlordécone, manifestement plus soucieuse de protéger les décideurs publics que les consommateurs antillais, donnait le ton de la riposte : «Attaquer D. Belpomme sur son manque de rigueur, ses approximations et affirmations sans preuve pouvant aller jusqu’à l’imposture, quand il affirme le contenu purement scientifique de son rapport, pourrait n’être pas de bonne politique, vu la notoriété du personnage et sa capacité de prendre le public à témoin si on le martyrise. La réponse devra donc être indirecte […]. Elle ne doit pas venir de l’Etat mais des chercheurs et instituts attaqués, au risque d’alimenter la thèse qu’ils sont à la botte
Diable… Belpomme, dont l’expertise privée a été commandée par une association, Puma (Pour une Martinique autrement), ne méritait pas tant d’honneur. Pour l’essentiel, il réaffirme ce que tout le monde sait déjà : les eaux et les sols antillais sont pollués pour des siècles et des siècles.
Record. Reste l’essentiel : les produits contaminés (légumes, crustacés…) sont-ils dangereux pour l’homme ? Faute d’études épidémiologiques, nul ne le sait à ce jour. Belpomme lui-même se garde d’établir un lien de causalité entre le chlordécone et le record du monde du cancer de la prostate enregistré en Guadeloupe : «Rien ne le prouve», avant toutefois d’ajouter que «cette flambée de cancer n’est pas le fruit du hasard»…
Là, réside peut-être le scandale. «On nous dit d’attendre le résultat des enquêtes épidémiologiques, ça fait trente ans qu’on les attend, peste Harry Durimel, chef de file des Verts en Guadeloupe, auteur d’une plainte pénale pour empoisonnement. Si c’était en métropole, on aurait recherché depuis longtemps les conséquences sur la santé humaine.»
Comble. Le rapport Belpomme a dopé les politiques. Christian Estrosi, ministre des Dom-Tom, a illico annoncé un énième voyage aux Antilles, avec journalistes embarqués, histoire de démontrer par l’image qu’il prend le problème à bras-le-corps. Comble de l’absurde, il se dit favorable à une commission d’enquête parlementaire sur la pollution aux Antilles, alors qu’il avait promis, dans le sillage du cyclone Dean il y a un mois, un plan d’indemnisation des planteurs de bananes, leur permettant de repolluer.
Cette histoire d’enquête parlementaire tourne au gag. L’Assemblée nationale s’était déjà saisie du sujet en 2005 ; son rapport, lavant les pouvoirs publics de tout soupçon, louant le «contrôle vigilant des services compétents». C’était une mission d’information et non une commission d’enquête : le ministère de la Santé avait pu envoyer paître les députés. Un «rapport de camouflage», tonne Victorin Lurel, député-maire de Guadeloupe. En août, il réclamait, au nom du PS, une vraie commission d’enquête.
La garde des Sceaux Rachida Dati vient d’écrire au président de l’Assemblée : une enquête pénale étant en cours, le Parlement ne saurait empiéter sur la justice. «Chef» revendiqué du parquet, elle s’oppose pourtant à la recevabilité des plaintes pour empoisonnement déposées par des associations, jusqu’à se pourvoir en cassation. Au concours du plus tartuffe, Dati écrase Estrosi.
»


Pesticides aux Antilles : Lettre ouverte du Pr. BELPOMME
En tant que médecin, je suis soumis au serment d’Hippocrate, et donc à un devoir de prévention des maladies et d’information du public.
C’est dans cet esprit que j’ai coordonné le Rapport d’expertise et d’audit externe concernant la pollution par les pesticides en Martinique.
Après la récente polémique qui a eu lieu autour de ce rapport - dont le contenu est resté totalement inchangé depuis sa parution en juin 2007 -, certains prétendent que je serais revenu sur mes déclarations initiales en expliquant qu’il n’existe pas de lien scientifiquement établi entre le chlordécone et le cancer de la prostate. Or, mon discours est toujours resté constant, même si on peut regretter que des raccourcis malheureux aient pu laisser faire croire le contraire.
En page 38, le rapport s’interroge en effet sur la pertinence de l’étude épidémiologique Karu-prostate, qui a pour objectif de montrer s’il existe ou non un lien associatif entre une contamination par le chlordécone et l’apparition des cancers de la prostate en Guadeloupe : « Pourquoi s’être fixé comme seule cause possible aux cancers de la prostate, le chlordécone, alors que la cartographie réalisée en Martinique montre qu’il n’existe aucune relation géographique entre le zonage de la pollution par le chlordécone (très intense dans la partie Nord-Est de l’île), et l’incidence élevée des cancers de la prostate (surtout décelés dans le Sud), autrement dit, que les cancers de la prostate sont plus fréquents dans des régions qui n’apparaissent pas être particulièrement polluées par le chlordécone ? »
Des études toxicologiques ont démontré le caractère CMR (cancérigène, mutagène et/ou reprotoxique) du chlordécone, qui est très fortement suspecté d’être impliqué notamment dans l’apparition de myélomes (leucémie des os) dans le Nord de la Martinique. Mais en ce qui concerne les cancers de la prostate, il serait nécessaire d’étudier au moins une quinzaine d’autres pesticides et leurs métabolites pour comprendre pourquoi les Antilles sont si lourdement touchées : la Guadeloupe est le territoire où l’incidence de ces cancers est la plus élevée dans le monde, alors que l’incidence est de même très élevée pour la Martinique, mais on ne peut savoir ce qui en est aujourd’hui faute de mise à jour du registre des cancers depuis 2000.
En ce sens, l’ARTAC a soumis aux différentes instances locales concernées et va soumettre aux pouvoirs publics nationaux une proposition de programme de recherche chiffrée, visant à réaliser une étude de biomonitoring portant sur les tissus adipeux et des dosages sanguins des personnes touchées par le cancer de la prostate ou du sein, qui seront mis en parallèle avec les résultats obtenus à partir de personnes témoins. En outre, des études de toxicogénomique devraient permettre de mieux connaître l’impact de différents pesticides sur les gènes humains, et en particulier de vérifier s’il existe un lien de causalité entre la contamination par le chlordécone et l’augmentation de fréquence des myélomes en Martinique.
Les subventions attendues pour la réalisation de ces études permettraient de rémunérer les différentes équipes de recherche impliquées, notamment les laboratoires spécialisés dans ce type d’analyses. Notre objectif est avant tout d’apporter des réponses scientifiques permettant d’expliquer l’incidence excessivement élevée des cancers, en particulier de la prostate, aux Antilles afin d’en améliorer la prévention et le traitement.
Lorsqu’à sa demande j’ai rencontré M. le Secrétaire d’Etat à l’Outre-mer, M. Christian Estrosi, je lui ai indiqué que le rapport était incontournable du point de vue scientifique, qu’il n’y avait aucun « catastrophisme » dans mon discours, et qu’il était de sa responsabilité de contribuer à la mise en ouvre le plus rapidement possible d’un plan d’action global impliquant de façon transversale les aspects environnementaux, sanitaires et agricoles, afin de remédier aux problèmes actuels, cela dans l’intérêt des antillais. J’ai également indiqué au Secrétaire d’Etat qu’un tel plan pouvait être mis en place sans nuire aux intérêts socio-économiques des Antilles, mais que la sécurité sanitaire des antillais, y compris des générations futures, est prioritaire.
Un récente réunion avec le Directeur-adjoint du cabinet de la Ministre de la Santé, Mme Roselyne Bachelot, ainsi que des responsables de la gestion des alertes sanitaire, m’a également permis d’insister sur la nécessité de mener des études de biomonitoring et de toxicogénomique, afin d’identifier les causes exactes de cette épidémie de cancers.
Nous attendons donc des représentants de l’Etat et des autorités locales la mise à disposition de moyens suffisants permettant de faire face à la crise actuelle et de faire réaliser les études annoncées dans les plus brefs délais.
Je me dois enfin de remercier l’ensemble de mes confrères et consoeurs médecins qui se mobilisent localement pour faire émerger la vérité.

Pr. Dominique BELPOMME Cancérologue, Président de l’ARTAC