18 décembre 2006

Un article de Didier FOUCAULT : la première biographie de VANINI

les hommes du Saint-Office, J-P. Laurens - 1889
Vendredi 9 Février
à 18h30, la Fédération de la Haute-Garonne de la Libre Pensée organisera pour la première fois un

rassemblement

place du Salin à Toulouse pour honorer la mémoire de

Giulio Cesare VANINI

exécuté à cet endroit-même pour «athéisme et blasphèmes» le 9 février 1619.

Ce rassemblement sera suivi d'une

conférence de Didier FOUCAULT à 20h30

salle Duranti-Osète, 6, rue du Lieutenant-Colonel Pélissier (clic sur l'adresse pour accès au plan)

Professeur agrégé, docteur en histoire et maître de conférences à l'Université de Toulouse-Le Mirail, Didier Foucault est l'auteur de "Un philosophe libertin dans l'Europe baroque - GIULIO CESARE VANINI (1585-1619)" (éd. Honoré Champion - 2003).


Nous reproduisons ici, avec l’aimable autorisation de l'auteur et d’Alain MOTHU, responsable de la Rédaction de "La Lettre Clandestine", un article de Didier FOUCAULT consacré à la première biographie connue de Vanini, parue l'année de son exécution.

Cet article a été publié dans "La Lettre Clandestine", n° 4 - 1995, réédition Paris, Presses de l'Université de Paris-Sorbonne, 1999, p. 493-507.

ROSSET (François de), « De l’execrable docteur Vanini, autrement nommé Luciolo : de ses horribles impietez, et blasphemes abominables, et de sa fin enragee », Les histoires mémorables et tragiques de ce temps où sont contenues les morts funestes et lamentables de plusieurs personnes, arrivées par leurs ambitions, amours desreiglées, sortilèges, vols, rapines, et par autres accidens divers, Paris, Pierre Chevalier, 1619, pp.185-213.

Histoire veritable de l’execrable docteur Vanini, autrement nommé Luciolo Bruslé tout vif ce quaresme dernier par Arrest de la Cour de Parlement, pour ses horribles impietez et blasfemes contre Dieu, et nostre Seign. Iesus-Christ, Paris, André Soubron, 1619, 13 p.

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Si l’on excepte le canard intitulé : Histoire veritable de tout ce qui s’est faict et passé depuis le premier janvier 1619 jusques à present, tant en Guyenne, Languedoc, Angoulmois, Rochelle, que Limosin et aultres lieux circomvoisins, fidellement rapportee par tesmoins qui ont veu et esté sur les lieux, Paris, N. Alexandre, [mai ?] 1619 (autre édition : Poitiers, J. Thoreau, 1619), qui contient un récit du supplice de Vanini, la cinquième Histoire tragique de Rosset est la première biographie imprimée du philosophe italien. Il s’agit donc d’une source historique qui mérite attention.
C’est également un texte rare, car vite supprimé et longtemps considéré comme perdu.

L’auteur et l’édition parisienne de 1619 des Histoires tragiques

De la vie de François de Rosset (1570-1619), on sait peu de choses. Ce polygraphe, qui publia une trentaine d’ouvrages, parmi lesquels des recueils de poésies et des traductions (Arétin, Cervantès, Boiardo...), fut, grâce à sa production romanesque, un auteur à succès. Ses Histoires tragiques, eurent une longue fortune éditoriale, à défaut de recueillir l’estime des écrivains du premier XVIIe siècle (Sorel, Balzac, Maynard — Camus faisant exception) et des spécialistes ultérieurs de la littérature. Cependant, depuis une quinzaine d’années, ce genre mineur et baroque, très prisé en son temps, a retrouvé la faveur de la critique. Maurice Lever, Sergio Poli ou Anne de Vaucher Gravili ont ainsi contribué à réhabiliter Rosset qui en fut un maître.

Parmi les nombreuses éditions des Histoires tragiques (une trentaine), une seule contient la chronique consacrée à Vanini : celle imprimée à Paris en 1619 (le privilège royal est daté du 21 août 1619, soit six mois après son exécution)(1). Connu de quelques curieux — Guy Patin par exemple — ce texte disparut de la circulation et fut ignoré de bien des spécialistes jusqu’à Adolphe Baudoin, au début du siècle :


« J’ai cherché six ans cette édition qui fut supprimée presque aussitôt qu’elle eut paru. M. Charles Barry [...] l’a trouvée en Angleterre. Son exemplaire [...] provient de la bibliothèque de Jean, duc de Rutland [...]. J’apprends qu’un autre exemplaire [...] se trouve à la bibliothèque de Chartres(2)».
Le volume découvert par Ch. Barry a été acquis, plus tard, par la Bibliothèque Nationale (Rés. G.2962 et microfiche m. 5362). Quant à celui conservé à Chartres, il aurait été détruit lors de l’incendie provoqué par un bombardement en 1944. Les autres exemplaires connus sont à la Bibliothèque municipale de Châlons-sur-Marne (gt 11044) et dans les universités américaines de Yale et du Michigan.

Peu de chercheurs intéressés par Vanini ou son entourage ont, semble-t-il, utilisé directement l’histoire de Rosset. Frédéric Lachèvre, dans son étude sur le comte de Cramail, cite longuement les extraits se rapportant au protecteur toulousain du philosophe(3). En revanche, la version reproduite par Émile Namer(4) n’est qu’une copie partielle du canard : l’Histoire véritable de l’exécrable docteur Vanini..., conservé à la bibliothèque de l’Arsenal (8° H 27 887). Cette brochure est un plagiat du texte du romancier : beaucoup plus courte, elle ne contient pas les passages où des personnes marquantes de l’entourage de Vanini sont signalées ; elle introduit des noms fantaisistes (le prétendu village natal de Pietrosanto), parfois à la place de noms véritables (le conseiller de Bertrand devient “de Terlon”)...

Les pressions des hauts personnages cités ou, simplement, la crainte des éditeurs de les compromettre en révélant leurs liens avec un athée, alors que les dévots et le pouvoir monarchique engageaient une vigoureuse offensive anti-libertine, sont-elles à l’origine des coupures opérées dans le canard, puis de la disparition de cette histoire particulièrement choquante ? L’hypothèse a été avancée, elle est très recevable, mais rien de tangible ne l’atteste à ce jour.

Intérêt et fiabilité de cette source biographique

Rosset a-t-il connu Vanini ? À la lecture attentive du texte, rien ne permet de l’affirmer. Les deux écrivains ont, cependant, à l’époque de Concini, fréquenté les mêmes milieux parisiens, notamment un des proches du favori de la régente, le maréchal de Bassompierre, à qui ils ont, l’un et l’autre, dédicacé des oeuvres (le De admirandis Naturæ Reginæ Deæque Mortalium Arcanis, pour Vanini).

Quoi qu’il en soit, Rosset a disposé rapidement d’informations assez sûres, puisqu’il est le premier a révéler publiquement que le mystérieux “Luciolo” — en fait Pompeo Usciglio —, jugé pour blasphèmes et athéisme à Toulouse, n’était autre que Vanini. La trace de l’auteur du De Admirandis s’était, en effet, perdue après la condamnation du livre par la Sorbonne, le 1er octobre 1616, et le philosophe, sous un faux nom, se prétendait médecin dans la capitale du Languedoc.

Pour évoquer la jeunesse et de la formation de Vanini, Rosset a, de toute évidence, brodé à partir de quelques données très vagues tirées du De Admirandis. Vanini s’y qualifie de Napolitain, l’auteur évoque la Campanie, alors que le philosophe est né dans une autre région du Royaume de Naples, les Pouilles. D’un passage sur sa famille maternelle, d’origine ibérique — les Lopez de Noguera — découle probablement la relation d’un séjour en Espagne, sur lequel on ne dispose d’aucune autre information, et qui — surtout — ne cadre pas du tout avec ce que l’on sait de sa vie étudiante. En revanche, rien n’est dit sur son appartenance au clergé (il était Carme), ni sur ses apostasies (passage du catholicisme à l’anglicanisme, puis à nouveau au catholicisme), ni sur les péripéties de son séjour en Angleterre (hôte de marque de l’archevêque de Canterbury, avant d’être emprisonné, de s’évader et de se réfugier à Paris auprès du nonce Ubaldini), etc.

L’intérêt de ce document réside surtout dans le fait qu’il apporte des informations sur les milieux qui accueillirent Vanini. Il a déjà été question de Bassompierre, Rosset précise que c’est probablement par l’intermédiaire de la famille de Saint-Luc qu’il est entré en relation avec le maréchal. À Toulouse, ce texte confirme que le prétendu médecin s’est, sans difficulté, introduit dans plusieurs grandes maisons de la ville, mais il serait hasardeux de citer, à l’exemple d’A. Baudoin, des noms de parlementaires. Toutefois, les allégations — invérifiables dans le détail — liant Vanini à Adrien de Montluc, comte de Cramail, rejoignent d’autres témoignages (Richelieu, Tallemant des Réaux) ; il faut pourtant tenir en suspicion les passages dédouanant le comte, dont la réputation de libertin est bien avérée, et que Rosset ne pouvait mettre en cause. Les conditions de l’arrestation ainsi que l’instruction du procès sont — si l’on se fie aux documents des archives toulousaines — entâchées d’inexactitudes et semblent être rapportées à partir de témoignages indirects. Par contre, le déroulement de l’exécution et surtout l’attitude provocatrice du condamné, qui clame publiquement son athéisme, recoupent des sources d’origines variées. Enfin, l’anecdote du prêtre grec est, fort probablement, un effet littéraire de Rosset visant à introduire sa conclusion — édifiante, selon la loi du genre.

Les idées et propos prêtés au philosophe — la magie et la sorcellerie exceptées — concordent avec ce que l’on peut lire dans le De Admirandis. Constatons, cependant, qu’il s’agit de lieux communs — les “trois imposteurs”, par exemple — très en vogue alors parmi les cercles libertins que Rosset avait certainement fréquentés. Leur énoncé, même suivi d’une pieuse et vertueuse dénégation, n’est d’ailleurs pas dépourvu d’ambiguïté — cela devait pas forcément déplaire à tous les lecteurs des Histoires tragiques !

Bibliographie sommaire
Sur Rosset, deux publications récentes permettent de connaître l’auteur, le sens de son oeuvre et contiennent des indications bibliographiques étendues :
ROSSET (F. de), Histoires tragiques, Paris, Le Livre de Poche, 1994 (éd. d’A. de Vaucher Gravili, orthographe modernisée et notes sur Vanini basées sur la biographie ancienne et dépassée d’A. Baudoin).
RIEGER (D.), « Histoire de loi - Histoire tragique. Authenticité et structure de genre chez F. de Rosset », XVIIe siècle, 1994, p. 461- 477.
Sur Vanini :
NAMER (É.), La vie et l’oeuvre de J.C. Vanini, Paris, Vrin, 1980.
FOUCAULT (D.), « Giulio Cesare Vanini (1585-1619), un libertin martyr à l’âge baroque. Mise au point bio-bibliographique », Bulletin de la société d’Histoire moderne et contemporaine, à paraître.
VANINI (G.C.), OEuvres philosophiques, traduites par X. Rousselot, Paris, Ch. Gosselin, 1842.
VANINI (G.C.), Opere, a cura di G. Papuli e F.P. Raimondi, Galatina (Lecce, It.), Congedo Ed., 1990.


Didier FOUCAULT
La cinquième Histoire Tragique de Rosset
Établissement du texte
Le texte reproduit celui des Histoires tragiques de Rosset. L’orthographe et la ponctuation ont été respectées. Les passages entre [ ] signalent les parties du texte absentes du canard. Les notes renvoient aux variantes méritant d’être signalées (pour ne pas alourdir, il n’a pas été tenu compte des variantes orthographiques, des changements de prépositions ou de temps, etc.). La pagination est indiquée de la manière suivante : de <185> à <213> pour le recueil de Rosset, de <3> à <13> pour le canard.
Didier FOUCAULT

<185> <3>(1) [O siecle le plus infame de tous les siecles, et la sentine où toutes les immondices du temps passé se sont ramassees.] Est-il possible que [nous voyons](2) naistre tous les iours(3), et mesme parmy ceux qui ont esté regenerez par le Baptesme, des Impies, dont la bouche puante et execrable fait dresser d’horreur les cheveux à tous ceux qui ont quelque sentiment de la Divinité ? Si nous vivions parmy l’Idolatrie, treuverions nous ces exemples prodigieux [? <186> Nous qui vivons](4) parmy le culte du vray Dieu, et la cognoissance de la verité ? Ie ne le croy pas, puis que les Payens mesmes ont [tellement] abhorré l’impieté, [que les plus idolatres d’entr’eux crient](5) tout haut, que grandes et rigoureuses peines sont establies aux Enfers pour la punition des impies. A peine venoit on de faire le iuste chastiment de certains execrables, dont l’un se disoit le Pere, et l’autre le Fils, et l’autre le sainct Esprit. [Un equitable Senat](6) venoit de purger par le feu, et exterminer ces ames infernales, lors qu’à la [ville de Tholose](7) l’on vit paroistre une autre ame endiablee, et telle que le recit de ceste Histoire fera peur à ceux qui <4> prendront la peine de la lire. En fin ce ne sont pas des contes forgez à plaisir, comme ceux que l’on invente ordinairement pour amuser les hommes. L’Arrest de ce iuste Parlement prononcé [depuis peu de iours contre un Athee](8), et tant de milliers de personnes qui ont assisté au supplice de cét abominable, tesmoigneront la verité de l’Histoire, que i’ecriray naïfvement de la sorte
[Aux champs riches et delicieux de <187> la Campanie, et dans un grand bourg proche de ceste belle et gentille ville, à qui jadis Parthenope donna son nom, et que l’on appelle auiourd’hui Naples, l’on voit une famille, nommee les Vaninis](9). De ceste race sont sortis des hommes gens de bien, et bons catholiques, et notamment de sçavants personnages. Mais comme parmy les fleurs il y a souvent des espines, et parmy le bon bled des chardons, et de l’ivroye [ : l’on a veu de ceste race un si meschant et si execrable Vanini,qu’il rendra desormais ce nom remply d’horreur et d’infamie. C’est celuy de qui nous descrivons l’Histoire, et qui](10) au grand des honneur de sa patrie, et au grand scandale de la France, [mourant sur un infame Theatre, taschoit de donner vie à l’impieté mesme].(11) Ce Vanini fut envoyé en son ieune aage par ses parents aux meilleures Académies de l’Italie. Il y profita si bien, que tous ceux qui le cognoissoient, faisans un bon iugement de son bel esprit, croyoient qu’un iour il seroit l’honneur de son pays. Mais que les hommes sont subiect à s’abuser en leurs iugements !
<188>[Il n’est rien plus divers que le coeur des humainsEt nul autre que Dieu ne peut sonder les reins.]
Comme ce Vanini eust long temps estudié à Bologne, et à Padoüe, il luy prit envie d’aller en Espagne, et de voir Salamanque. Apres avoir fait sa Philosophie <5> et sa Theologie en ceste celebre Université, il s’y arresta quelques temps. Sa curiosité, outre l’Astrologie(12), luy fit mettre encores le nez dans la noire Magie, de sorte que c’estoit un marchand meslé en toutes sciences. [Folle curiosité, le premier degré de l’orgueil qui cause tant de mal au monde. Nous devrions tousiours nous ressouvenir de ce que nous conseille une grande lumiere de l’Eglise, qu’il faut que l’humaine temerité se contienne, et qu’elle ne recherche iamais ce qui n’est pas, autrement elle rencontrera ce qui est en effect. Si le Docteur Vanini eust esté sage, il ne se fust iamais amusé à des choses vaines et execrables, et par mesme moyen il n’eust point esté delaissé de la grace de celuy, qui nous confere tousiours plus que nous ne luy sçaurions demander.] Enfin enflé de son sens charnel, et de sa science, il voulut scavoir que <189> c’estoit que de l’Atheisme, que l’on lit couvertement en ceste mesme ville : et dans peu de temps il eust une telle creance, que bannissant de son ame tout ce qui la pouvoit rendre glorieuse, il creust qu’il n’y avoit point de Dieu : que les ames meurent avec les corps : et que nostre Seigneur Iesus-Christ, eternel fils de Dieu, et lequel nous a rachetez de la mort eternelle, estoit un imposteur.
Non content d’avoir ceste maudite et damnable creance, qui le conduisoit au profond des Enfers, il la voulut communiquer à d’autres, afin d’avoir des compagnons en sa perte. [C’est pourquoy il ne cessoit parmy ceux qui le hantoient familierement, de mesdire des escrits de Moyse, de nommer fables et iustement comparables à la Metamorphose d’Ovide, tant de mysteres sacrez, et tant de miracles qui sont contenus au Genese et en l’Exode. Et comme l’impieté n’a que trop de sectateurs, parce que d’abord elle est plaisante et agreable, et qu’elle introduict la liberté parmy les hommes, cét abominable ne manquoit pas de disciples. Mais pour perdre mieux ceux qui ne bouchoient point les oreilles à ceste Sirene tromperesse, il](13) <190> fit revivre sourdement ce meschant, et abominable livre, de qui l’on ne peut parler qu’avec horreur, et que l’on intitule, Les trois Imposteurs. Ie ne peux point inserer icy les raisons diaboliques [contenuës dans ce pernicieux et detestable livre, que l’on imprime à la veuë, et au grand scandale des Chrestiens](14). Les oreilles [chastes et fidelles](15) ne les sçauroient souffrir. Contentez vous que ce meschant homme quittant le nom de Vanini, se faisoit appeller Luciolo. Ie ne vous sçaurois bien dire si son nom estoit Lucius. Neantmoins i’estime qu’il avoit emprunté ce nom infame pour l’amour qu’il portoit à Lucian, qui iadis fut le plus grand Athee de son siecle.
Tandis que cét execrable abreuve de son <6> poison venimeux les esprits qui sont destinez à la perdition, la crainte d’estre saisi des Inquisiteurs de la foy, luy fait quitter Salamanque, et se retirer à Ossune, ville renommee de l’Andalusie. L’on ne sçauroit dire combien d’ames disposes à recevoir la nouveauté y furent perduës par ce meschant et execrable Athee. [Il s’insinuoit dans la maison des grands, ou ordinairement l’on voit toute sorte de licence, <191> les abbreuvoit de vive voix de son opinion, et leur donnoit mesme des escrits, qui avec leur autheur meritoient cent et cent fois le feu.] Il fit encore un voyage à la Court d’Espagne, mais il ne s’y arresta gueres ; parce qu’ayant esté descouvert, il y eust bien tost receu le iuste salaire de ses impietez, s’il ne s’en fust enfuy. Voyant doncques qu’il couroit fortune de la vie, il resolut de voir la France, et particulierement la ville de Paris, où l’on ne trouve que trop de complices en toutes sortes de meschancetez.
[Il s’embarqua donc à Bayonne, et ayant pris port à Roüen, il se rendit puis apres dans peu de temps à Paris. Comme il ne manquoit pas d’artifice, ny de sçavoir pour s’insinuer dans la maison des grands de la Court : un certain Escossois homme sçavant, et qui avoit servy de Precepteur à Monsieur l’Abbé de Rhedon, à present Evesque de Marseille, et frere de Monsieur de sainct Luc, luy donna entree chez ce digne Prelat. Monsieur l’Evesque de Marseille qui ayme les hommes sçavans, ayant gousté le Docteur Vanini, lequel estoit meslé en toutes sortes de <192> sciences, il le retint dans sa maison, et luy donna une honneste pension et sa table. Estant de la maison d’un tel Seigneur, il avoit par mesme moyen l’entree de toutes les meilleures maisons de la Court, et particulierement celle de Monsieur de Bassompierre, beau frere de Monsieur de sainct Luc. Ce dangereux et execrable Athee dissimula pour quelques jours son impieté, ne laissant pas pourtant de faire tousiours couler quelque petit mot, au des honneur du grand Dieu, de son fils nostre Seigneur Iesus-Christ, et des mysteres de la foy. Ceux qui l’entendoient parler de la sorte n’y prenoient pas garde au commencement, et attribuoient plustost à une certaine liberté de parler, que l’on pratique en France ce qu’il disoit, qu’à quelque malice cachee. Mais quand il eust acquis un peu de reputation parmy une infinité de personnes qu’il frequentoit, il se mit à publier l’Atheisme, et mesme en ses predications (car il preschoit quelques fois en des Eglises renommees) ceux qui sont versez aux controverses, et aux mysteres des Chrestiens, remarquoient tousiours quelque traict d’impieté. Et de fait, ayant un iours presché à <193> sainct Paul, sur le commencement de l’Evangile de sainct Iean, où le plus haut des mysteres est contenu, il fut accusé puis aprés de damnable opinion. Cela le descria de telle sorte, que ceux qui ont la charge des ames luy deffendirent la chaire.
Toutes ces circonstances fascherent l’ame de Monsieur l’Abbé de Rhedon, lequel a este nourry
Dans le branlant berceau du laict de pieté :
Et desormais il ne fit plus si grand compte de Vanini qu’il faisoit auparavant. L’Athee voulut pourtant r’habiller sa faute, et contrefit l’homme de bien durant l’espace de quelques mois, si bien qu’il parla plus sobrement que de coustume. Mais si la langue se retint, sa main eust bien tost produit des fruicts de son execrable impieté. Il composa un livre des causes naturelles, et le dedia à un Cavalier, dont le merite ne se peut descrire en peu d’espace : Ce fut à Monsieur de Bassompierre, que Mars et les Muses honorent également. Dans ce livre il avoit inseré mille blasphemes et mille impietez, comme celuy qui donnoit à la nature, ce qui n’appartient proprement qu’au Createur de l’Univers, <194> et de la nature mesmes. Aussi ce meschant livre fust bien tost censuré. La Docte Sorbonne de Paris, arbitre des matieres de la Foy, ayant veu ce livre, le declara pernicieux, et le condamna au feu. L’execution publique en fut faicte par la main du bourreau : de sorte que son autheur, qui meritoit encores d’estre ietté dans le feu, ayant receu cét affront, et se voyant estre mal avec Monsieur de Marseille, qui abhorre tels impies, resolut de quitter Paris, et de faire un voyage à Tholose](16).
Le renom de ceste grande ville fleurissante en beaux et rares esprits, le conviant de la voir [, il part doncques de la capitale ville du Royaume, et arrive à deux lieuës pres de Tholose quinze iours apres](17). Outre la Philosophie et la Theologie, et autres pareilles sciences, il avoit fort bien estudié en droict, de sorte qu’il ne [pouvoit](18) long temps [demeurer] sans party. [Mais comme il estoit prest d’entrer dans Tholose, deux ieunes et braves Gentils hommes qui avoient passablement estudié, passerent par une petite ville où Vanini s’estoit arresté, et allerent loger au logis de ce Docteur. Ayant recognu à table quelques traicts <195> de son scavoir, ils deviserent privemment dans une chambre apres disner avec luy, et furent si satisfaicts de cét homme, qu’ils luy offrirent leurs maisons, et promirent de le recompenser dignement, s’il vouloit prendre la peine de leur lire quelques mois les Mathematiques. Vanini qui n’estoit pas alors des plus accommodez ainsi que nous avons desia dit, accepta ceste condition, et s’en alla avec eux. L’un de ces Gentils-hommes avoit une maison extremement delicieuse, environnee de ruisseaux, et de petites fontaines. Quand ces Cavaliers estoient lassez de l’estude des lettres, ils alloient à la chasse, ou bien soubs un arbre planté aux bords d’une eau claire et coulante. Ils s’entretenoient de la lecture de quelque bon livre, et tousiours Vanini estoit avec eux. Lors que le temps luy eust acquis leur familiarité, ce dangereux homme, qui avoit caché son venin, commença de l’espandre sur ceste ieunesse. Il les entretenoit à toute heure de l’eternité du monde, des causes naturelles, et leur preuvoit par des raisons damnables que toutes choses avoient esté faites à l’aventure. Que ce qu’on nous racontoit de la Divinité <196> n’estoit que pour retenir les hommes soubs une forme de Police, et par consequent que les ames mouroient avec les corps. Ces Gentils-hommes croyoient au commencement que leur Docteur proferoit ces paroles pour exercer son bel esprit. Mais quand ils recogneurent que son coeur estoit conforme à sa langue : eux qui avoient succé le laict de pieté dans le berceau, luy tesmoignerent bien tost qu’ils ne prenoient pas gueres de plaisir d’entendre ces blasphemes, et principalement ceux qu’il vomissoit contre l’Eternel fils de Dieu. Ce cauteleux renard voyant qu’il ne pouvoit rien gagner sur ces ames religieuses, tourna puis apres en risee tout ce qu’il avoit dit de la Divinité. Et neantmoins peu de temps apres il leur demanda congé pour aller à Tholose. Ces deux Cavaliers le luy accorderent fort volontiers, comme ceux qui ne desiroient rien tant que de se deffaire de la compagnie d’un si pernicieux homme. Si tost](19) qu’il fut arrivé à Tholose, un ieune Conseiller le logea chez luy, par l’entremise d’un Docteur Regent qu’il estoit allé voir. Le bruit de son sçavoir s’espandit incontinent par toute ceste <7> ville renommée, <197> si bien qu’il n’y avoit fils de bonne mere, qui ne desirast de le cognoistre. Le premier President mesme, dont le sçavoir et la pieté ont acquis un renom qui ne mourra iamais, le voyoit de fort bon oeil. Mais parmy ceux qui en faisoient de l’estat, Monsieur le Comte de Cremail admiroit le sçavoir de cét homme, et le loüoit publiquement. Et ceste loüange n’estoit pas peu honorable à Luciolo, puis que ce brave Comte est sans flatter, l’honneur des lettres aussi bien que des armes.
Au commencement cét hypocrite dissimuloit son impieté, et contrefaisoit l’homme de bien : mais si sa bouche proferoit paroles bonnes, et dignes d’estre ouyes, son coeur remply de malice parloit autrement. Cependant monsieur le Comte de Cremail, croyant de cét Athee tout autre chose qu’il n’estoit pas, luy fit par quelque sien amy offrir le gouvernement de l’un de ses neveux, avec une honneste pension. Luciolo [accepta ceste condition](20), et commença d’instruire ce ieune Seigneur, au contentement de son oncle, en s’acquittant assez dignement de sa charge. Il entretenoit bien souvent le Comte, qui est un <198> esprit extremement curieux, et par ses artifices acqueroit tous les iours de plus en plus son amitié. Comme il se vit aymé d’un tel Seigneur, et appuyé de beaucoup d’amis, le destestable recommença petit à petit à semer sa doctrine diabolique : toutesfois ce ne fut pas tout à coup ouvertement, mais par maniere <8> de risee. Iamais il ne se trouvoit en bonne compagnie, qu’il ne iettast quelque brocard contre la Divinité, et particulierement contre l’humanité du fils de Dieu, nostre seule et asseuree reconciliation envers son Pere eternel. Comme la licence de parler n’est que trop grande en France, par la liberté qu’on y a introduite, chacun qui entendoit ces paroles execrables, attribuoit plustost à une certaine bouffonerie d’esprit, ce qui procedoit d’un coeur remply de toute malice. Et par ce moyen ce venimeux serpent glissa peu à peu dans l’ame de plusieurs, ausquels il prescha clairement l’Atheisme quelque temps apres, et quand il vit qu’ils estoient disposés de recevoir son poison.
[Ie me suis estonné cent fois, comme il se trouve des esprits, qui de gayeté de coeur, et de malice deliberee, osent blasphemer le nom de Dieu, et nier son essence. <199> Il faut bien dire qu’ils ont esté bien gaignez par les artifices de Sathan. Car quelque raison qu’ils alleguent, qu’il n’y a point de Divinité, leur conscience les accuse de mensonge, et, par les effects ils font cognoistre que ce n’est qu’une pure malice, iointe à une ostentation, et à un bruit de vaine gloire qu’ils veulent acquerir. C’est pourquoy les Chrestiens doivent soigneusement prendre garde de ne se laisser point encores attraper dans les pieges de Sathan. Nostre ancien adversaire ne manque iamais de nous tendre ses fils. Il se transforme bien souvent pour le sujet en Ange de lumiere, afin de nous perdre. Il sçait ceux qui sont enclins aux plaisirs de la chair, ou aux delices de la bouche, et ne cesse de verser son poison aux uns et aux autres en diverses manieres. Il a pareillement cognoissance des hommes vains, et superbes, comme le Docteur Vanini, et par consequent il remplist l’ame de telles personnes de vent et de fumee. Mais la malice de ce Docteur execrable se descouvre encores, en ce qu’avant qu’il preschast l’Atheisme, il lisoit à Salamanque la Magie, invoquoit les demons, et conferoit ordinairement avec <200> eux. Et iugez maintenant, si sçachant qu’il y avoit des demons, il ne sçavoit pas encores qu’il y avoit un Dieu, qui exerce sa iustice sur Sathan, et sur ses sectateurs.
Mais sans doute estoit-il seduit de telle sorte par cét ennemy du genre humain, que comme l’execrable Prestre de Marseille(21), il se figuroit qu’un iour apres sa mort il seroit un de ces esprits diaboliques : Et avoit encore ceste creance, que les demons ne souffrent aucune peine, puis qu’ils ont la liberté d’aller d’un costé et d’autre (ainsi que disent ces esprits damnez à ceux qu’ils veulent perdre) et qu’ils sont possesseurs de tous les thresors du monde. Opinion trompeuse, qui abusant les ames disposees à les croire, fait naistre puis apres ces martyrs du diable. Car Sathan, qui comme un singe imite les ouvrages de Dieu, ne manque pas de martyrs : selon le tesmoignage mesme du vaisseau d’élection.]
Tandis qu’il tasche de perdre les ames par sa detestable [doctrine](22), Monsieur le Comte de Cremail, de qui le clair iugement ne se trompe iamais, et à qui la nature, et le maniement des affaires ont <201> donné la cognoissance de toutes choses. Ce prudent et sage Seigneur, dis ie, recognut bien tost l’intention de Luciolo, et apprit en peu de temps ce qu’il avoit dans l’ame. Neantmoins il dissimula quelques iours ce qu’il en pensoit, et sceut si bien tirer le ver du nez de ce meschant homme en devisant privement avec luy, qu’il s’eclarcist entierement de sa doute. Cét execrable luy confessa librement qu’il croyoit que tout ce qu’on nous dit de la Divinité, et qui est contenu dans les escrits de Moyse, n’est que fable, et que mensonge : Que le monde est eternel, et que les <9> ames des hommes et celle des bestes n’ont rien de different, puis que les uns et les autres meurent avec le corps. Et pour nostre Seigneur Iesus-Christ, que tous ses faicts n’estoient qu’imposture, de mesme que ceux de Moyse. O bonté de Dieu que vous estes grande, de souffrir si long temps cét abominable ! ô iustice divine ! où est vostre foudre ! ô terre ! que ne t’ouvres-tu pour engloutir cét esprit d’enfer ?
Monsieur le Comte fut fort scandalisé de ce discours, et ceste ame non moins religieuse que genereuse, s’efforça de reduire par de vives et pressantes raisons, <202> que les bornes de ce recit ne peuvent contenir, ce mal-heureux Athee. Mais tout cela ne servit de rien, puis qu’il traictoit avec un esprit le plus impie que l’on ayt veu iamais parmy les hommes, et d’autant plus remply d’impieté, qu’il ne pechoit point par ignorance, ains resistoit ouvertement au sainct Esprit, ainsi que nous verrons en la suitte de ceste Histoire. Ce que voyant ce Seigneur, et ialoux du nom de celuy, qui pour nous sauver prit nostre chair humaine, et nasquit d’une Vierge, il tesmoigna bien tost à Luciolo le desplaisir qu’il sentoit de sa perte, et le regret qu’il avoit de luy avoir baillé la charge d’instruire son nepveu. Et comme il estoit prest de le luy oster, de peur que ceste ieune plante abbreuvee d’une si dangereuse doctrine, n’en retint quelques mauvaise odeur, la Court de Parlement de Tholose deputa deux de ses Conseillers vers le mesme Comte. Ce iuste et Religieux Senat <10> ayant esté informé, que Luciolo non content de mesdire publiquement de l’Eternel fils de Dieu, avoit des sectateurs en ses execrables opinions, luy eust desia fait mettre la main sur le collet ; mais auparavant elle vouloit sçavoir du Sieur Comte <203> s’il avoüoit un si meschant homme. Les deux Conseillers ayants exposé leur commission au Seigneur de Cremail, Ils eurent telle satisfaction de luy, que le lendemain Luciolo fut saisi, et mené en la Conciergerie.
Le sieur de [Bertrand](23) Conseiller en ladite Court de Parlement de Tholose, fut Commissaire pour interroger cét Athee, sur certains points dont il estoit accusé. La premiere chose qu’il luy demanda, apres s’estre informé de son nom, et de ses qualitez, et autres formes ordinaires, S’il ne croyoit point en Dieu : Luciolo avec une effronterie la plus grande que l’on ne sçauroit imaginer, luy respondit, Qu’il ne l’avoit jamais veu, et par consequent qu’il ne le cognoissoit nullement. Ledit sieur Conseiller, repart et dit, que quoy que nous ne le voyons point nous ne laissons pas de le cognoistre, tant par ses ouvrages, que par les escrits des Prophetes, et des Apostres. A quoi Luciolo repliqua, que tout ce qu’on nous publioit de la creation du monde, n’estoit que mensonge, et invention, et que tous ces Prophetes avoient esté atteints de quelque maladie d’esprit, qui leur avoit faict escrire des extravagances : et <204> qu’en fin le monde estoit de toute eternité, et dureroit eternellement. Ledit sieur Commissaire estonné des raisons <11> damnables de cét Athee, poursuivit, et luy demanda ce qu’il croyoit de Iesus Christ : Ie crois (repart cét execrable) qu’il estoit un imposteur, et que pour aquerir du renom il se disoit Fils de Dieu. Mais (dit le sieur Conseiller) nous avons tant de miracles qu’il a faits, et qu’il fait encores tous les iours, tant de predictions, et tant d’autres tesmoignages, que quiconque les nie, nie sans doute la clarté du Soleil. Enfin Luciolo se mocquoit de toutes ces paroles, et en riant les tenoit pour fables. Et mesmes estans tombez sur le discours des tourmens que nostre Seigneur souffrit, quand il se livra à la mort pour nous, ce mal-heureux, cét exeecrable, et plus impie que l’impieté, se mit à proferer une parole que l’enfer mesme n’oseroit proferer. Ie ne la veux point icy inserer, parce qu’en y pensant seulement la plume me tombe de la main, et les cheveux m’en dressent d’horreur. Que ceux qui liront ceste Histoire se contentent de sçavoir, que ceste peste vouloit dire, que lors que nostre Seigneur estoit prest d’aller souffrir la <205> mort ignominieuse de la Croix, il suoit comme un [homme sans courage](24), et luy ne suoit nullement, quoy qu’il vist bien qu’on le feroit bien tost mourir.[ Et sur cela il usoit de termes les plus impies et les plus detestables que l’on puisse imaginer.] O iustice de Dieu, pouvez-vous bien souffrir ces blasphemes, et ces outrages ? Le sieur Conseiller fut tellement scandalisé des paroles abominables de cét Athee, que sans le vouloir plus entendre, il commanda qu’on l’enfermast dans un profond cachot, tandis qu’il alla faire son rapport à la Court de ce qui s’estoit passé entre luy et Luciolo. <12>
[Cependant on ne manqua pas de tesmoins pour la preuve de son impieté, qu’il vouloit de premier abord aucunement nier. Les deux Gentils-hommes, a qui il avoit appris la Philosophie, le neveu du Comte, et plusieurs autres personnes honorables, deposerent contre luy, et lors qu’il luy furent presenté en iugement, il ne voulut plus dissimuler sa detestable impieté, ains la soustint ouvertement. Ce venerable Senat curieux de sauver ceste ame damnee, n’avoit point envie de proceder à son <206> iuste iugement, sans avoir premierement tasché de le reduire à salut : de grands Predicateurs pour ce sujet le virent souvent dans sa prison, et y apporterent le soin que l’on peut apporter en des actions si necessaires. Mais quoy ? leur travail estoit inutile, puis qu’outre la possession que le diable avoit prise de cét esprit infernal, il estoit de ceux, qui abandonnants les vertus, veulent que l’on croye qu’ils ignorent Dieu, et sa Maiesté souveraine.Ils pensent acquerir de la gloire, et faire une grande oeuvre, lors qu’ils soustiennent que ceste machine du monde, qui demeure tousiours en mesme estat, est eternelle. Et par mesme moyen ils ressemblent proprement à ceux qui destournent leur veuë de quelque belle et agreable peinture, et iettent leurs regards sur des images prodigieuses.
Quand l’equitable Parlement de Tholose vit que le salut de ce pernicieux homme estoit desesperé, il ne voulut plus differer sa condemnation. Il se resouvint que Dieu et le Roy luy ayant mis la balance à la main, il estoit obligé de la tenir sans pancher ny d’un costé, ny d’autre. C’est pourquoy apres avoir](25) meurement digeré une action autant execrable pour <207> son impieté, que digne de punition pour la consequence, il donna bien tost un Arrest memorable. [Car apres les auditions, depositions et confessions, retractations, et secondes confessions volontaires de cét abominable esprit infernal, et autres choses contenuës au procés, qui le rendoient coupable des crimes qu’on luy imposoit, il le declara](26) atteint et convaincu de crime de leze Majesté divine [et humaine] au premier chef : et pour reparation [d’iceux] le condemna d’estre [livré entre les mains de l’executeur, pour estre conduit et mené par tous les carrefours accoutumez, et au devant de la porte de l’Eglise Metropolitaine, pour y faire amende honorable, teste nuë, et pieds nuds, la hart au col, et tenant un flambeau ardent en ses mains, et là demander pardon à Dieu, au Roy, et à la Iustice, et puis estre mené à la place de S.Estienne, où l’on punit les malfaicteurs, pour](27) là avoir la langue coupee, et [y] estre [ars, et] bruslé tout vif, [iusques à la consommation de ses ossements, dont les cendres seroient iettees au vent].(28)
Quand on commença d’executer ce iuste Arrest, et qu’on luy voulust faire demander pardon à Dieu, il dit tout haut qu’il ne <208> sçavoit que c’estoit que Dieu, et par consequent qu’il ne demanderoit jamais pardon à une chose imaginaire. [Les Ministres de la iustice le presserent neantmoins de le faire, de sorte qu’en fin il tint ce discours, Et bien, ie demande pardon à Dieu, s’il y en a. Et lors qu’il fallust aussi qu’il demandast pardon au Roy, il dit qu’il luy demandoit puis qu’on le vouloit, et qu’il ne croyoit pas estre coupable envers sa Maiesté, laquelle il avoit tousiours honoree le mieux qu’il avoit peu : mais pour Messieurs de la iustice, qu’il les donnoit à trente mille chartees de diables. Et nous voyons par ce dernier discours comme ce miserable se prenoit luy-mesme par ses propres paroles. Il nie tantost qu’il n’y a point de Dieu, et maintenant il avoüe qu’il y a des diables. Choses qui sont du tout contraires, puis que l’un presuppose l’autre. Or il falloit bien que cét homme fut extremement possedé de Sathan, puis que ces horribles blasphemes sortoient de sa bouche, et qu’il resistoit si ouvertement au sainct Esprit. Il falloit bien encores (ainsi que nous avons desja dit) que les amorces de cét adversaire, ou le desir de vaine gloire, et d’estre renommé <209> aprés sa mort, comme celuy qui brusla le temple de Diane, et le portast à des vanitez rares et inouyes.
Cependant apres qu’on eust fait toutes ces ceremonies, et actes de iustice, il fut mené à la place, où on luy avoit destiné son supplice. Estant monté sur l’eschaffaut](29) il ietta les yeux d’un costé et d’autre, et ayant veu certains hommes de sa cognoissance [parmy la grande foule du peuple, qui attendoit la fin de cét execrable, il leur tint ce langage] : Vous voyez (dit il tout haut) quelle pitié, un [miserable](30) Iuif est cause de que ie suis icy. Or il parloit de nostre Seigneur IESUS-CHRIST le Roy des Roys, et Seigneur des Seigneurs, dont ce chien enragé taschoit de deschirer la divine Maiesté, au grand scandale d’une infinité de peuple, qui crioit qu’on exterminast cét execrable blasphemateur [ : car il usoit encores d’autres termes que ie ne sçaurois escrire sans horreur, et sans offencer les oreilles de ceux qui prendront la peine de lire ceste Histoire.
Enfin on voulut arracher la langue à ce martyr du diable : mais quelques constance qu’il tesmoignast en ses paroles, comme celuy qui se disoit plus constant <210> et plus resolu que le Fils de Dieu, il descouvrit bien tost qu’il luy faschoit de mourir. On ne peut du premier coup que luy emporter le bout de la langue parce qu’il la retiroit. Mais au second coup on y mit bon remede, qu’avec les tenailles on luy arracha toute entierement avec la racine. Ce fait,](31) son corps fut jetté <13> dans le feu, et ses cendres au vent, tandis que son ame alla recevoir aux enfers le iuste chastiment de ses horribles(32) blasphemes, et impietez.
C’est l’histoire de l’execrable Docteur Vanini, que i’aye [descrite sommairement afin de n’exceder point les bornes que i’aye accoustumé de garder en mes histoires Tragiques](33). Il reste [maintenant] de considerer combien la patience de Dieu est grande, de souffrir ces [abominables](34) blasphemes, et ces [execrables] impietez. Ie m’estonne comme son iugement redoutable n’a desia fait sentir aux mortels les effets de son iuste courroux. [Ie m’en estonne, dis-je, puis que Vanini ne manque point de compagnons en ses blasphemes.
Un de mes amis qui assista à l’execution de l’Arrest de cét execrable, me racontoit dernierement une chose estrange. <211> Estant à Castres ville du Languedoc, et renommee pour la Chambre de l’Edit que le Roy y a restablie, y vit un certain Prestre Grec, que i’aye moy-mesme veu à Paris chez le Prieur du Convent des Iacobins, il y a environ quatre ou cinq années. Le Prestre disoit la Messe en Grec et les Conseillers Catholiques de la Chambre de l’Edit entendirent sa Messe, et apres luy donnerent chacun de l’argent pour l’assister en ses voyages.Ce mal-heureux allant de Castres à Tholose, se mit en la compagnie de deux honnestes hommes. Or en devisant du Docteur Vanini, qui tout fraischement avoit esté executé pour ses impietez, ce detestable Prestre se mit à proferer ces paroles : C’est à tort qu’on a fait mourir un si sçavant homme : il n’a iamais rien creu, que ie ne croye autant, et il n’y a homme de sain iugement qui ne soit tousiours de mon opinion. Toutes les loix que l’on nous figure de Dieu ne sont qu’inventions humaines, pour retenir les hommes en crainte, et que les plus puissants ont imposez aux plus foibles, afin de se conserver. Car à la verité il n’y a point de doubte que toutes choses n’aillent à l’avanture, que le monde <212> ne soit eternel, et que les ames ne meurent avec les corps.
Le discours de cét hypocrite rendit fort esbahis ces honnestes hommes, qui rapporterent puis apres dans Tholose sa damnable opinion. La iustice le fit chercher pour luy mettre la main dessus, mais on ne le peut iamais apprehender. Et puis faictes des aumosnes à telles gens, qui sous pretexte de requerir l’assistance des gens de bien pour la redemption des captifs, vont de Province en Province abbreuver de leur poison ceux que la credulité laisse emporter à ces maudites impietez.] Voyant des exemples si execrables, il ne faut point douter que la fin du monde ne soit prochaine [, et que Dieu n’extermine bien tost ceste grande Machine, pour en former une autre d’une matiere plus noble et plus pure].
Heureux [cependant], qui faisant proffit de telles choses rares et inouyes, ne se separe iamais de la priere, le premier fondement du salut [. Bien heureux, dis-je, celuy] qui n’ayant autre desir d’acquerir la gloire(35) qui procede de la douce servitude de IESUS-CHRIST, tasche d’honorer ce nom, soubs qui tout genoüil <213> flechit, et à qui toutes les choses qui sont au Ciel, en terre, et sous la terre rendent hommage. Cependant [il faut que nous implorions sa misericorde, et la requerions de](36) reduire à sa vraye cognoissance ces ames desesperees [. Que ce debonnaire Sauveur daigne oster d’entre nous ces scandales, et changer la langue de ces blasphemateurs.] Ou bien [si les impies perseverent en leur abominables meschancetez, et infections de leurs bouches puantes,] qu’il permette que la justice qu’il a establie en terre y tienne si bien la main, que ces martyrs du diable soient exterminez à la confusion de Sathan, à la ioye des iustes [, et à l’honneur de celuy de qui procede toute loüange, et toute gloire].