14 mars 2009

Turquie : Darwin censuré

Comme il se doit pour le 200° anniversaire de la naissance de Darwin et à l’instar de nombreuses publications scientifiques, la revue mensuelle du Conseil de recherche scientifique et technique de Turquie (Tübitak) devait consacrer la couverture de son numéro de mars à Charles Darwin, accompagné d'un dossier de quinze pages sur sa théorie de l'évolution des espèces.
A la place, c'est un sujet sur le dérèglement climatique qui est paru. L'article a été censuré et la rédactrice en chef de la revue licenciée illico presto.
Les condamnations de la communauté scientifique se multiplient en Turquie, où des groupes de pressions islamistes mènent depuis quelques années une offensive anti-Darwin.
Pour Izge Günel, le président de l'association des conseils d'université, "Un tel acte de censure, l'année où l'on célèbre le 200e anniversaire de la naissance de Darwin, est une attaque contre la science".
"C'est un scandale, ajoute Ender Helvacioglu, du magazine Sciences et Futur. Tant qu'on y est, Adnan Oktar pourrait aussi être nommé rédacteur en chef du magazine"...
Adnan Oktar, leader d'un mouvement créationniste turc obscurantiste, a le bras long et le portefeuille inépuisable. Il est l’auteur d'un luxueux Atlas de la création, envoyé en 2007 à des milliers d'exemplaires en Europe. Il paie des pages de publicité dans les journaux et mène régulièrement des procès pour faire interdire des publications. De nombreux sites Internet critiquant ses positions créationnistes ont été censurés par les tribunaux turcs.
C'est la première fois que la censure vise une institution publique comme le Tübitak et sa revue Sciences et Techniques (Bilim ve Teknik), créée en 1967. Selon le journal Milliyet, c'est le vice-président du Tübitak, Ömer Cebeci, qui aurait ordonné le retrait du dossier consacré à Darwin.
Le signe, pour l'opposition et les milieux laïques, d'une reprise en main par le gouvernement islamo-conservateur, accusé de complaisance envers les idées créationnistes.
Mercredi 11 mars, étudiants et professeurs ont manifesté devant l'université d'Istanbul pour dénoncer cette censure.
Le Tübitak, le plus prestigieux conseil scientifique turc, fonctionnait de manière indépendante jusqu'en août 2008. Depuis, une loi a été votée par le parti au pouvoir pour rattacher cet organisme au gouvernement. C'est le ministre d'Etat Mehmet Aydin, un ancien professeur de théologie également chargé des affaires religieuses, qui supervise le conseil scientifique.
"Le conseil est maintenant placé sous contrôle politique. Quand on politise la science, on a ce résultat", déplore son ancien président, Namik Kemal Pak, renvoyé en 2003.
Le ministre Mehmet Aydin a qualifié d'"erreur" le retrait de l'article. Avant d'ajouter que "le conseil devait refléter les idées de ceux qui servent la science, peu importe si celles-ci sont fausses" (sic !).