11 mars 2009

10 mars : l'hommage à Calas et Voltaire

Allocution de Pierre GUEGUEN, président de la Fédération de la Libre Pensée de Haute-Garonne
Le 10 mars 1762, à Toulouse, Jean Calas, commerçant de religion protestante, est exécuté sur la roue ici-même après avoir été torturé : membres étirés par des palans («question ordinaire»), puis absorption for­cée de dix cruches d'eau («ques­tion extraordinaire»). Jusqu’à la fin et sous les coups qui broient ses jambes et ses bras, il clamera son innocence.
Il est ac­cusé d'avoir assassiné son fils, Marc Antoine Calas, dans leur maison de la rue des Filatiers, pour l'em­pêcher de se convertir au catholi­cisme.
Aucune preuve tangible n'existe, mais la calomnie a enflé, nourrie de l'intolé­rance religieuse particulièrement forte à Toulouse où l’Eglise catholique s’est implantée solidement, militairement pourrait-on dire, depuis sa victoire sur le catharisme. Toulouse où les enseignants sont frits comme des harengs écrivait Rabelais dans son Pantagruel, où la saint Barthélemy fut particulièrement sanglante et où en 1619 on brûla place du Salin le jeune philosophe italien Vanini pour athéisme.
Nul besoin des services de l’Inquisition catholique, d’un nouveau Bernard Gui : les capitouls ont parfaitement assimilé les fonctions de l’Inquisiteur général.
On a dit et écrit que la persécu­tion religieuse avait pris ici la forme d'une monstrueuse er­reur judiciaire. Disons plutôt que la persécution religieuse a pris dans cette affaire Calas comme pour tant d’autres la forme d’un crime légal, le pouvoir judiciaire n’étant que le bras armé de la religion d’Etat. L’erreur, même monstrueuse, reste somme toute humaine et donc, si elle n’est pas réparable, elle est du moins excusable.
Or, qu’y a-t-il d’humain dans la torture et l’assassinat de Jean Calas ? Qu’y a-t-il d’humain dans l’opération politico-religieuse qui fut menée contre la famille et leurs proches par l’instrumentalisation d’un drame familial ?
Rien. C’est un acte barbare, produit de l’obscurantisme et du fanatisme religieux. C’est un acte barbare survenu - encore une fois, comme tant d’autres ! - dans un Etat bicéphale, un Etat cléricalo-monarchique qui met ses corps constitués au service de l’Eglise, catholique en l’occurrence.
Voltaire est interpellé. Il inter­roge longuement un des jeunes fils de Calas, Donat, et s'informe de l'affaire dans ses moindres détails. Il acquiert alors l'« intime conviction» de l'in­nocence de Jean Calas, et décide de combattre publiquement pour sa réha­bilitation, tout en donnant à cet engagement une dimension plus générale : justement contre le fanatisme et contre l’obscurantisme religieux.
C’est le « J’accuse » du XVIII° siècle, c’est le Traité sur la Tolérance, ce sont les Lumières et la Raison dans leur pleine expression et c’est tout Voltaire.
Dans une lettre au marchand marseillais Dominique Audibert, en juillet 1762, il écrit : « La fureur de la faction et la singularité de la des­tinée ont concouru à faire assas­siner juridiquement sur la roue le plus innocent et le plus mal­heureux des hommes, à disperser sa famille, à la réduire à la mendicité».
Voltaire en­treprend de nombreuses dé­marches jusqu’à solliciter Louis XV.
Il obtiendra gain de cause trois ans après l’exécution, presque jour pour jour :
le 9 mars 1765, Jean Calas est réhabilité.
Sans être trop long, je voudrais vous citer maintenant deux courts passages extraits du Traité sur la Tolérance.
Pour une raison simple : à eux seuls, ils disent le combat de Voltaire et son actualité.

1 - « Vous avez droit aux productions de la terre que vous avez cultivée par vos mains. Vous avez donné et reçu une promesse, elle doit être tenue.
Le droit humain ne peut être fondé en aucun cas que sur ce droit de nature; et le grand principe, le principe universel de l'un et de l'autre, est, dans toute la terre: "Ne fais pas ce que tu ne voudrais pas qu'on te fît." Or on ne voit pas comment, suivant ce principe, un homme pourrait dire à un autre: "Crois ce que je crois, et ce que tu ne peux croire, ou tu périras." C'est ce qu'on dit en Portugal, en Espagne, à Goa. On se contente à prés
ent, dans quelques autres pays, de dire: "Crois, ou je t'abhorre; crois, ou je te ferai tout le mal que je pourrai; monstre, tu n'as pas ma religion, tu n'as donc point de religion : il faut que tu sois en horreur à tes voisins, à ta ville, à ta province."
S'il était de droit humain de se conduire ainsi, il faudrait donc que le Japonais détestât le Chinois, qui aurait en exécration le Siamois ; celui-ci poursuivrait les Gangarides, qui tomberaient sur les habitants de l'Indus ; un Mogol arracherait le cœur au premier Malabare qu'il trouverait ; le Malabare pourrait égorger le Persan, qui pourrait massacrer le Turc: et tous ensemble se jetteraient sur les chrétiens, qui se sont si longtemps dévorés les uns les autres.
Le droit de l'intolérance est donc absurde et barbare : c'est le droit des tigres, et il est bien horrible, car les tigres ne déchirent que pour manger, et nous nous sommes exterminés pour des paragraphes. »

2 -
« Chez les anciens Romains, depuis Romulus jusqu'aux temps où les chrétiens disputèrent avec les prêtres de l'empire, vous ne voyez pas un seul homme persécuté pour ses sentiments. Cicéron douta de tout, Lucrèce nia tout; et on ne leur en fit pas le plus léger reproche. La licence même alla si loin que Pline le Naturaliste commence son livre par nier un Dieu, et par dire qu'il en est un, c'est le soleil. Cicéron dit, en parlant des enfers: "Non est anus tam excors quae credat, il n'y a pas même de vieille imbécile pour les croire." Juvénal dit: "Nec pueri credunt (satire II, vers 152); les enfants n'en croient rien." On chantait sur le théâtre de Rome :
Post mortem nihil est, ipsaque mors nihil. (SENEQUE, Troade; chœur à la fin du second acte.)
Rien n'est après la mort, la mort même n'est rien.
Abhorrons ces maximes, et, tout au plus, pardonnons-les à un peuple que les évangiles n'éclairaient pas : elles sont fausses, elles sont impies ; mais concluons que les Romains étaient très tolérants, puisqu'elles n'excitèrent jamais le moindre murmure.
Le grand principe du sénat et du peuple romain était: "Deorum offensae diis curae ; c'est aux dieux seuls à se soucier des offenses faites aux dieux." »
C’est en quelque sorte une version antique du fameux « Je veux l’Etat chez lui et l’Eglise chez elle ! » de Victor Hugo.
Pour terminer cet hommage, nous pouvons en ce début du XXI° siècle, 247 ans après l’Affaire Calas et la parution du Traité sur la Tolérance, poursuivre ainsi le propos de Voltaire : aujourd’hui comme hier, certains croient en un seul dieu qui n’est pas le même ; certains croient qu’il en existe plusieurs ; certains, de plus en plus nombreux, sont athées, d’autres agnos­tiques.
Au-delà de leurs convictions philosophiques d’ordre privé, tous doivent vivre ensemble.
Pour les rédacteurs de la première Déclaration des Droits de l'Homme de 1789, cette harmonie nécessite l’assurance donnée à chacun et de la liberté de conscience, qui exclut toute contrainte religieuse ou idéologique, et de l'égalité des droits, incompatible avec la valorisation privilégiée d'une croyance.
C’est donc à la puissance publique de promouvoir le bien commun. La République doit donc être neutre sur le plan confessionnel et favoriser le développement chez tout citoyen, par l'instruction publique obligatoire et gratuite, de l’autonomie de jugement. Pour que tous apprennent à mesurer leurs convictions et à vivre sans fanatisme ni intolérance.
C’est cela la laïcité.
La laïcité n'est donc pas une option spirituelle particulière : elle constitue une condition fondamentale de la vie publique et de la démocratie. C’est ce qui lui donne une valeur universelle.
Vive la laïcité !
Ni dieu, ni maître ! Ecrasons l’Infâme (comme disait Voltaire)
et vive la sociale !