30 mai 2009

A propos du monopole de la collation des grades à l’Université

La Fédération nationale de la Libre Pensée s'honore d'avoir été parmi les premiers à alerter l'opinion publique sur cette question et avoir mobilisé contre cette destruction de l'Ecole républicaine.

- Le 25 janvier 2008, la Libre Pensée était reçue à Matignon par le Directeur de Cabinet du Premier Ministre. Notre délégation soulevait ce problème. Matignon nous répondait que la loi de 1880 ne serait pas modifié (voir les textes joints Matignon et MATIGNON5).

- Le 29 avril 2008, la Libre Pensée était reçue au Ministère de l'Education nationale pour soulever à nouveau ce point. Les mêmes assurances qu'à Matignon nous étaient données et on nous demandait de voir avec Valérie Pécresse. Celle-ci n'a jamais donné suite.

- Le 22 décembre 2008, en réaction à l'annonce de l'accord diplomatique, la Libre Pensée publiait un communiqué dénonçant la volonté présidentielle de remettre en cause le monopole de la collation des Grades (voir texte joint Diplômes catholiques).

- le 28 avril 2009, la Libre Pensée publiait un communiqué exigeant l'annulation du décret transposant l'accord diplomatique et annonçant qu'elle déposait un recours au Conseil d'Etat (voir texte joint KOUCHNER)

- Le 4 mai 2009, la Libre Pensée déposait officiellement son recours au Conseil d'Etat pour l'annulation du décret. Le recours était officiellement enregistré sous le numéro 327663 en date du 12 mai 2009.

La Fédération nationale de la Libre Pensée tient à rappeler quelques évidences juridiques :

1- On ne peut faire un recours juridique contre un accord diplomatique, qui est un accord politique entre Etats.

2- On ne peut faire un recours juridique que contre une loi, un décret, un arrêté qui transpose en droit français le dit accord diplomatique.

3- Un recours juridique au Conseil d'Etat n'a pas pour objet de ressembler à une pétition dont l'objet serait le plus grand nombre de signatures possibles. Ce recours juridique a pour fondement les arguments juridiques déposés pour contester un texte.

4- Une pétition a pour fondement une action politique et non juridique. Mélanger les deux notions juridiques et politiques relève, soit de la maladresse, soit de la volonté de chercher autre chose que l'annulation du décret.

En conséquence, la Fédération nationale de la Libre Pensée a déposé son propre recours au Conseil d'Etat avec ses propres arguments juridiques. Un recours juridique développant des arguments juridiques n'est pas une pétition, une déclaration commune d'associations ou une motion de congrès dont le contenu et les propos sont discutables, négociables, modulables et peuvent déboucher sur un compromis par la voie d'un consensus.

La Fédération nationale de la Libre Pensée de "discutera", ne "négociera", ne "modulera" ses arguments juridiques, justifiant son recours au Conseil d'Etat, avec personne d'autres que ses responsables élus et ses juristes de la Commission" Droit et Laïcité".

Elle appelle toutes ses Fédérations départementales à rendre publiques largement ses déclarations et ses actions.
ENTREVUE A MATIGNON :
Dans son discours au palais du Latran, Le Président de la République Nicolas Sarkozy a évoqué deux fois le rôle de l’Église catholique dans l’enseignement supérieur : « Aujourd’hui encore, la République maintient les congrégations sous une forme de tutelle, refuse de reconnaître un caractère cultuel à l’action caritative ou aux moyens de communication des Églises, répugne à reconnaître la valeur des diplômes délivrés dans les établissements d’enseignement supérieur catholique alors que la Convention de Bologne le prévoit, n’accorde aucune valeur aux diplômes de théologie. »

« … Partout où vous agirez, dans les banlieues, dans les institutions, auprès des jeunes, dans le dialogue interreligieux, dans les universités, je vous soutiendrai. La France a besoin de votre générosité, de votre courage, de votre espérance. »

Nicolas Sarkozy fait explicitement référence au processus de Bologne, instauré par l’Union européenne et inspirateur des deux réformes les plus récentes de l’Université française : le LMD (Licence-Master-Doctorat) et la LRU (Loi de Rénovation des Universités impliquant leur autonomie renforcée). Le processus de Bologne est effectivement contraire à l’esprit laïque et républicain de l’institution universitaire française, ignorant purement et simplement toute distinction entre les formes d’enseignement supérieur, publiques ou privées, confessionnelles ou non.

Cet appel à la reconnaissance des diplômes supérieurs privés catholiques (ou d’autres religions) est contraire à la loi de séparation des Églises et de l’État (1905), mais également des plus anciens fondements de l’Université Française : son institution (1808) posant en principe le monopole de la collation des grades universitaires par l’État, restauré et réaffirmé par la loi de 1880 corrigeant la loi de 1875.

Loi du 18 mars 1880 relative à la liberté de l'enseignement supérieur :
Article premier
« Les examens et épreuves pratiques qui déterminent la collation des grades ne peuvent être subis que devant les facultés de l'État. »
Article 4
« Les établissements libres d'enseignement supérieur ne pourront, en aucun cas, prendre le titre d'universités. Les certificats d'études qu'on y jugera à propos de décerner aux élèves ne pourront porter les titres de baccalauréat, de licence ou de doctorat. »

Ce principe du monopole de la collation des grades est inscrit également dans le code de l’Éducation (Article L.613-1, loi de 1984) : « L'État a le monopole de la collation des grades et des titres universitaires. »

Une interprétation libre et malheureusement possible des deux lois citées plus haut (LMD, LRU) pourrait remettre en cause ce monopole historique. Pour autant, ce principe est toujours inscrit et dans la loi, et surtout dans l’esprit même de l’institution universitaire, issue d’une volonté de soustraire l’enseignement supérieur à l’empreinte cléricale lors de la Révolution française.

Pour la Libre Pensée, il est donc impensable que les établissements d’enseignement supérieur religieux privés puissent avoir le droit de délivrer les grades universitaires. La loi précise par ailleurs que nul établissement privé ne peut se donner le titre d’Université.

La séparation des Églises et de l’État rend également impossible la reconnaissance de grades ou diplômes d’état décernés par telle ou telle Églises ou confession.

Tout particulièrement, la théologie, en ce qu’elle est par définition matière religieuse, ne peut être enseignée à l’Université publique. Elle n’est pas – au contraire de l’histoire et de la sociologie des religions – matière universitaire. Les chaires de théologie catholiques furent abolies en 1886, celles de théologie protestante en 1905. Les facultés de théologie sont extérieures à l’Université en raison de leur nature uniquement confessionnelle. L’exception représentée par les UFR de théologie et sciences religieuses de Strasbourg n’est possible que grâce à la persistance du statut concordataire des départements d’Alsace-Moselle dont la Libre Pensée demande l’abrogation. De même, nous avons réaffirmé lors de nos congrès, la demande de suppression des CAPES de religion, institués dans ces mêmes départements. En tout état de cause, ces exceptions ne sauraient être étendues à la nation entière.

Par ailleurs, le monopole de la collation des grades met la France relativement à l’abri des errements que l’on connaît aux États-Unis à propos du créationnisme. Dans ce pays, les facultés religieuses délivrent des diplômes sanctifiant « la création du monde en six jours ». Ces diplômes sont reconnus comme ceux délivrés par les Universités publiques. En France, cela est encore impossible. Est-ce avec cela que le Président de la République veut en finir ?
- COMMUNIQUÉ -
Paris, le 28 avril 2009

La loi Falloux est rétablie par décret :
Le fait du Prince contre la République laïque !

Immédiatement, après avoir épuré de sa composante cléricale, le conseil supérieur de l’Instruction publique en votant la loi du 27 février 1880, la majorité républicaine issue des élections des 14 et 28 octobre 1877 et le ministre Jules Ferry portaient un nouveau coup à la loi Falloux du 15 mars 1850 modifiée par celle du 12 juillet 1875, adoptées l’une et l’autre par des assemblées monarchistes. Confiée depuis cinq ans à des jurys mixtes comprenant des membres du clergé, la collation des grades universitaires revenait désormais à l’Etat et à lui seul, conformément à la loi du 18 mars 1880. Jules Ferry avait raison de dire, lors la première séance du conseil supérieur laïcisé, que l’Université devenait « un corps vivant, organisé et libre. » Ce principe éminemment républicain a été sans cesse réaffirmé depuis. L’alinéa premier de l’article L. 613-1 du code de l’éducation, dans sa version issue de la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 actuellement en vigueur, dispose que « L’Etat a le monopole de la collation des grades et titres universitaires. »

Après d’autres, ce pilier de la République vient d’être abattu, au moment même où une série de « contre-réformes », également adoptées par décret, contre l’avis de l’ensemble de la communauté universitaire, menacent de destruction l’université française publique et laïque et tout son système de formation non marchand. Par l’effet d’un décret simple, la loi Falloux est partiellement rétablie. Après en avoir été privée pendant cent vingt-neuf ans, la secte romaine retrouve le pouvoir d’intervenir dans la collation des grades universitaires. C’est intolérable.

Par un décret du 16 avril 2009, le président de la République vient, en effet, de publier l’accord de Paris du 18 décembre 2008 par lequel la France et le Saint-Siège ont entendu décliner au plan bilatéral le processus de Bologne initié par la convention du 11 avril 1997 sur la reconnaissance des qualifications relatives à l’enseignement supérieur dans la région « Europe », ratifiée le 18 septembre 2000. L’une et l’autre acceptent de reconnaître mutuellement « des périodes d’études, des grades et des diplômes de l’enseignement supérieur délivrés sous l’autorité compétente de l’une des Parties ».
Pour la République française, il s’agit bien sûr des « grades et diplômes délivrés sous l’autorité de l’Etat par les établissements d’enseignement supérieur ». Pour le Saint-Siège sont concernés ceux attribués par « les Universités catholiques, les Facultés ecclésiastiques et les établissements d’enseignement supérieur dûment habilités par le Saint Siège » Le protocole additionnel à l’accord de Paris précise qu’entrent en particulier dans le champ d’application de ce dernier les diplômes ecclésiastiques de doctorat (niveau doctorat), de licence (niveau « master ») et de baccalauréat (niveau licence) obtenus dans les facultés ecclésiastiques qui, selon la constitution apostolique Sapiensa christiana de 1979, ont notamment pour objet de former des chercheurs, des professeurs d'universités et de séminaires, des chanceliers, des membres de tribunaux ecclésiastiques et d'autres titulaires d'offices, des conseillers d'évêques et de supérieurs religieux.

La ratification, par décret de l’accord du 18 décembre 2008, constitue au surplus un coup de force juridique inacceptable. Il ne s’agit pas de la simple reconnaissance mutuelle des diplômes délivrés par les systèmes légaux d’enseignement supérieur de deux États liés par une convention internationale. Au mépris de la laïcité, l’accord de Paris conduit, en effet, la République française à légitimer des titres universitaires attribués par des établissements d’enseignement supérieur catholiques sur son territoire, ou sur le territoire d’autres États ne les reconnaissant pas nécessairement. Il ouvre ainsi une brèche dans le monopole de la collation par l’Etat, des grades universitaires, instituée par la loi du 18 mars 1880.

Dans ces conditions, il appartenait au gouvernement de saisir le Parlement d’un projet de loi de ratification de l’accord de Paris en application de l’article 53 de la Constitution du 4 octobre 1958 et non au président de la République de prendre un décret pour le faire entrer en vigueur. En l’espèce, l’accord de Paris modifie bien implicitement mais nécessairement « des dispositions de nature législative ». La voie suivie évitait la discussion du rétablissement partiel de la loi Falloux devant la représentation nationale.

Face à cette atteinte à la République et à la laïcité, la Libre Pensée exige l’abrogation du décret du 16 avril 2009 et la rupture des relations diplomatiques avec le Vatican. En conséquence, la Libre Pensée informe qu’elle dépose immédiatement un recours pour excès de pouvoir auprès du Conseil d'État pour demander l’annulation de ce coup de force contre la laïcité républicaine.