19 janvier 2007

Etienne Dolet, précurseur des Lumières

photo Coll. Georges Sirot publiée dans "Nadja"
VENDREDI 9 FEVRIER
HOMMAGE A GIULIO CESARE VANINI
Programme du vendredi 9 février :
18h30 : rassemblement place du Salin
20h30 : conférence de Didier FOUCAULT
salle Duranti-Osète,
6, rue du Lieutenant-Colonel Pélissier (clic ici pour accès au plan)
Professeur agrégé, docteur en histoire et maître de conférences à l'Université de Toulouse-Le Mirail, Didier Foucault est l'auteur de "Un philosophe libertin dans l'Europe baroque - GIULIO CESARE VANINI (1585-1619)" (éd. Honoré Champion - 2003).
Pour l'érection d'un monument place du Salin à Toulouse, en hommage à Vanini et à tous les pionniers de la Raison et des Lumières, persécutés pour leurs idées philosophiques et scientifiques, victimes de l'obscurantisme religieux.


Une statue d'Etienne Dolet a été érigée en 1889 sur le lieu de son supplice, place Maubert à Paris. Dans "Nadja", André Breton écrit à son sujet : "Si je dis qu'à Paris la statue d'Etienne Dolet, place Maubert, m'a toujours tout ensemble attiré et causé un insupportable malaise...".
Cette statue a été détruite sous l'Occupation avec la bénédiction du régime de Vichy et de l'Eglise.
Aujourd'hui, d'un maire de Paris paraît-il socialiste, on aurait pu espérer qu'il fasse réériger un monument à la mémoire d'Etienne Dolet et de toutes les victimes de l'obscurantisme. Las ! Monseigneur Delanoë a préféré bafoué la loi de 1905 et baptiser la place Jean-Paul II en grandes pompes oecuméniques (voir ci-contre le reportage vidéo de Télé KTO qui ne manque pas de sel...).

Que me veut-on ? Suis-je un diable cornu ?
Suis-je pour traître et boutefeu tenu ?
Suis-je un larron ? un guetteur de chemin ?
Suis-je un voleur ? un meurtrier inhumain ?
Suis-je un loup gris ? Suis-je un monstre sur terre,
Pour me livrer une si rude guerre ?

En 1515, c'est l'avènement de François Ier qui règnera jusqu'en 1547. Étienne Dolet était né à Orléans quelques années auparavant, en 1509.
Il fait ses Humanités classiques à Paris où il sera notamment l'élève de Nicolas Bérauld. Puis il entreprend le tour des universités européennes (en particulier celle de Padoue, ville où il se trouve vers 1530 avec l'humaniste Pierre Bunel et où il reste trois ans se consacrant à la découverte de l'humanisme italien, de l'averroïsme et de l'épicurisme. Il devient le secrétaire du cardinal Jean du Bellay-Langey, cousin de Joachim du Bellay. A leur retour en France, et sur les conseils du cardinal, il se rend en 1530 à Toulouse dont l'université de droit est particulièrement réputée.
Les temps sont durs pour les "hérétiques" et Toulouse n'est pas en reste...
En 1531, le savant latiniste et humaniste Pierre Bunel est proscrit ; en juin 1532, le professeur de droit Jean Caturce, dit aussi Jean de Cahors, est livré aux flammes pour avoir tenu des propos suspects lors d’un souper.
Dans Pantagruel, François Rabelais, proche d’Etienne Dolet, fait faire à son jeune héros un tour de France des universités, très autobiographique. Toulouse et son université, créée au lendemain de la croisade contre les Albigeois, n'enthousiasme pas Rabelais-Pantagruel, c'est le moins qu'on puisse dire... Rabelais nous livre donc ce témoignage d'un contemporain : « De là [Pantagruel] vint à Thoulouse, où aprint fort bien à dancer et à jouer de l'espée à deux mains, comme est l'usance des escholiers de ladicte université ; mais il n'y demoura guères, quand il vit qu'ilz faisoyent brusler leurs régens tous vifz comme harans soretz, disant : jà Dieu ne plaise que ainsi je meure, car je suis de ma nature assez altéré sans me chauffer davantaige ! » (Pantagruel roy des dipsodes, ch. V).
(De là [Pantagruel] vint à Toulouse, où il apprit fort bien à danser et à jouer de l'épée à deux mains [espadon], comme c'est l'usage des écoliers de la dite université ; mais il n'y demeura guère, quand il vit qu'ils faisaient brûler leurs enseignants tout vifs comme harengs saurs, disant : jamais à Dieu ne plaise qu'ainsi je meure, car je suis de ma nature assez passionné sans me chauffer davantage !).
Etienne Dolet écrit quant à lui dans son second discours sur Toulouse : « Vous avez tous vu brûler vif ici même, dans cette ville, un malheureux dont je passe le nom sous silence. La flamme du bûcher a dévoré sa dépouille mortelle, mais celle de l'envie s'acharne encore après sa mémoire. Admettons qu'il ait poussé trop loin l'audace de ses discours, qu'il ait presque toujours manqué de modération dans son langage, qu'il ait été scélérat des pieds à la tête et qu'il ait mérité mille fois le supplice des hérétiques, devait-on néanmoins, à l'heure où il faisait acte de repentir lui fermer brusquement la route vers les idées plus saines... ? ».
Il s'en prend également à l'obscurantisme sévissant dans la ville : « Toulouse en est encore aux plus informes rudiments du culte chrétien... Comment qualifier, en effet, cette cérémonie qui a lieu tous les ans, le jour de la fête de Saint-Georges, et qui consiste à faire neuf fois le tour de l'église sur des chevaux lancés au galop ? ... Que pensez-vous de cette croix qu'à de certains jours on plonge dans la Garonne, comme pour amadouer un Eridan, un Danube, un Nil quelconque ou le vieux père Océan ? Que signifient ces vœux adressés au fleuve, soit pour en obtenir un cours paisible, soit pour se préserver d'une inondation ? Que veulent dire, en été, quand la sécheresse fait désirer la pluie, ces statues de saints, ces magots de bois pourri, que des enfants promènent par la ville ? Et cette ville, si honteusement ignare en fait de religion véritable, cette ville ose imposer à tous un christianisme de sa façon, et traiter d'hérétiques les libres esprits qui n'en veulent pas ? ».
Il se révolte enfin contre les persécutions dont sont victimes ses pairs : « Le parlement a persécuté Jean Boissonné le plus intègre des hommes, Mathieu Pacus, Pierre Bunel, Jean de Pins, si respectable pour sa vertu. Je n'en finirais pas, si je voulais rapporter tous les exemples de cruauté donnés publiquement à Toulouse... ».
La riposte du Parlement de Toulouse ne tarde guère. Dolet est emprisonné le 25 mars 1533. L'intervention de Jean de Pins, évêque de Rieux et de son ami Boyssonné permet sa libération, mais il est chassé de Toulouse. Il rejoint alors Lyon et le célèbre imprimeur allemand Gryphius. Il y édite ses « Discours contre Toulouse » et des sonnets accablant ses persécuteurs.

Il revient à Paris le 15 octobre 1534.
Durant la nuit du 17 octobre 1534, un "placard" - critique virulente de la messe selon le rite catholique rédigée par le pasteur Antoine Marcourt - est affiché dans Paris, dans des villes et châteaux de la vallée de la Loire et dit-on, sur la porte de la chambre de François Ier !

Une partie de la communauté protestante parisienne affirme des positions radicales au moment où le roi, désireux de l’appui des princes luthériens allemands, semble accepter une réforme religieuse modérée. Les manoeuvres des ultras catholiques ne sont certainement pas non plus étrangères à ce qui apparaît aujourd'hui comme une véritable provocation. François Ier engage alors une politique de répression terrible. Des sympathisants de la Réforme rejoignent l’église catholique, d’autres suivent Jean Calvin qui, réfugié à Bâle, va publier l’Institution de la religion chrétienne.

Les bûchers embrasent Paris. Le 18 novembre, Etienne Dolet écrit à un de ses amis de Lyon, Guillaume de Scève : « Il n'est bruit dans le public que des offenses faites au Christ par les luthériens... C'est pourquoi beaucoup de personnes, non seulement du bas peuple, mais du corps respectable des marchands, soupçonnés de partager l'erreur luthérienne ont été jetés en prison. J'assiste à ces drames en simple spectateur, ayant pitié du malheur des uns et riant de la folie des autres, quand je les vois braver la mort par une sotte persévérance et une intolérable obstination. »

Il quitte la capitale pour Lyon et y publie son «Dialogue sur l'imitation cicéronienne» dirigé contre Érasme. Il publie aussi son oeuvre principale, les «Commentaires sur la langue latine» dans lesquels il écrit : «Je ne saurais déguiser sous un lâche silence l'infamie de certains monstres à face humaine, qui, voulant frapper au cœur notre avenir littéraire, ont pensé qu'il fallait, de nos jours, anéantir l'art typographique. Que dis-je ? pensé ! N'ont-ils pas conseillé cet horrible meurtre à François de Valois, roi de France, c'est-à-dire à l'unique appui des lettres et des littérateurs, à leur partisan le plus chaud, à leur père le plus aimant ? Et quel motif ont-ils fait valoir ? Un seul : c'est qu'à les entendre, l'erreur luthérienne trouvait, dans la littérature et l'art typographique, un trop docile instrument de vulgarisation. Ridicule nation de crétins ! Comme si, par elles-mêmes, les armes étaient chose pernicieuse et fatale, et comme s'il fallait les supprimer à cause des blessures qu'elles font et de la mort qu'elles donnent !....Heureusement que l'abominable, le monstrueux complot de la Sorbonaille, de ce ramas d'ivrognes et de sophistes, s'est vu briser par la sagesse et la prudence de Guillaume Budé, ce soleil scientifique de notre âge, et de Jean du Bellay, évêque de Paris, prélat hors ligne, autant par sa vertu que par sa haute dignité.»

Dans l’œuvre de Dolet coexistent tout à la fois :
- l’épicurisme : doute de l’existence de sensations après la mort,
- le stoïcisme : l’univers et les hommes sont régis par le seul Destin ; seuls le travail et la vertu permettent d’accéder à la liberté, de s’émanciper du Destin,
- le rationalisme : doute affirmé de l’immortalité de l’âme.

Dolet suit le chemin du philosophe aristotélicien et libre penseur Pietro Pomponazzi (1462-1525) qui enseignait à la faculté de médecine de Padoue et fut très certainement son maître. Dans ses écrits - De Immortalitate Animae (1516), De Fato et De Incantationibus (publiés après sa mort pour éviter les persécutions de l’Eglise) – Pietro Pomponazzi développe des positions matérialistes, expliquant que ce qui peut paraître miraculeux n’est en fait que la traduction de notre ignorance. Il s’affronte à l’Eglise sur la question de l’immortalité de l’âme, expliquant que la pensée d’Aristote démontre le contraire. Le Traité de l'immortalité de l'âme fut brûlé en place publique à Venise par l’Inquisition. Pomponazzi pratiquait sans doute une rhétorique de la dissimulation, le commentaire d’Aristote servant de prétexte à la remise en cause des fondements de la foi. Pietro Pomponazzi était un pionnier, précurseur des philosophes des Lumières.
En 1538, Dolet mène de front une double activité d'éditeur et de philologue. Il édite un volume de vers, Carmina, dans lequel il étrille les moines : « La race des encapuchonnés, ce bétail à tête basse, a toujours à la bouche le refrain suivant : Nous sommes morts au monde. Et pourtant, il mange à ravir ce digne bétail ; il ne boit pas trop mal ; il ronfle à merveille, enseveli dans sa crapule ; il sait faire place à l'amour et à toutes les voluptés. Est-ce là ce qu'ils appellent, ces révérends, être morts au monde ? Il s'agit de s'entendre : morts au monde, ils le sont assurément ; mais parce qu'on les voit, ici-bas, fatiguer la terre de leur masse inerte, et qu'ils ne sont bons à rien... qu'à la scélératesse et au vice. »
Il édite Galien, Rabelais, Marot. Ayant édité l'Enchiridion Milites Christianus d'Érasme, la machine répressive se déclenche. Poursuivi à la requête du promoteur des causes de l'Inquisition, Dolet est arrêté à Lyon et jeté dans les prisons de l'archevêché. L'inquisiteur général, Mathieu Orry, assisté de l'official de l'archevêque Étienne Faye, lui fait son procès et par sentence rendue le 20 octobre 1542, Etienne Dolet est déclaré « mauvais, scandaleux, schismatique, hérétique, fauteur et défenseur des hérétiques et erreurs, et pernicieux à la religion chrétienne ».

Le 3 août 1546, il est conduit à son supplice, place Maubert.

Etienne Dolet, grand intellectuel humaniste, précurseur des Lumières, avait tout juste 37 ans.