19 juin 2010

Le vrai visage de Riposte Laïque (3)


Une enquête de Rue89
Par Zineb Dryef
Riposte laïque : qui sont les organisateurs de l'apéro-pinard ?
L'apéro saucisson-pinard a bien eu lieu. Après l'annulation de sa tenue dans le quartier de la Goutte-d'Or par la préfecture de Paris, ses organisateurs se sont repliés sur la place de l'Etoile, aux Champs-Elysées.
Les mots d'ordre « entrer en résistance contre l'islamisation de la France » et « défier l'occupant » ont réuni près de 800 personnes, issues majoritairement de l'extrême droite (des membres du Bloc identitaire, des habitués du blog François de souche ou du site Projet apache) et de mouvements féministes ou laïques, dont la publication électronique Riposte laïque.
Qui sont les animateurs de Riposte laïque ?
« De Paris, de Lille, de Lyon, de Marseille ou de Bordeaux, nous sommes des militants à la laïcité chevillée au corps, qui avons des professions, des expériences militantes, des parcours différents et des tendances politiques parfois divergentes. »
C'est ainsi que se présentent les animateurs de Riposte laïque, revue électronique très active. Ses nouveaux numéros sont ainsi envoyés chaque semaine à 30 000 personnes [pas forcément abonnés, les journalistes de Rue89 en reçoivent plusieurs par semaine sous forme de communiqués, ndlr]. En totalité, c'est une petite dizaine de rédacteurs qui apparaissent sur le site.
Pierre Cassen, d'abord. Ancien ouvrier du Livre, à la retraite depuis 2004, il affirme avoir été trotskiste et se dit toujours de gauche. Fondateur de Riposte laïque, il est issu de Respublica, journal en ligne situé à gauche, qu'il quitte en 2007 parce que pas assez « anti-islam ».
Dans la revue Prochoix, une analyse de Caroline Brancher, rédactrice à Respublica, revient sur l'origine de la scission. En 2006, Fanny Truchelut, propriétaire d'un gîte rural, refuse d'accueillir deux femmes voilées. Pierre Cassen et d'autres membres de Respublica défendent Fanny Truchelut, condamnée pour discrimination. Ce sera le premier combat de Riposte laïque.

« Ce bon petit Pierrot fera bientôt le défilé devant Jeanne d'Arc »
Trois ans après, Mohamed Sifaoui, membre de Respublica, ne s'étonne guère de la présence de Pierre Cassen au « Local », bar fréquenté par l'extrême droite et par Serge Elie Ayoub, grande figure du mouvement skin en France.
Il s'interroge sur ce que sera le prochain combat de son ancien collègue :
« Je suis curieux de voir quelle sera la prochaine étape de ce bon petit Pierrot. Si, à 57 ans, il se rend chez les skins, c'est qu'il ne tardera pas à suivre les spectacles de Dieudonné ; ensuite, il fera le défilé devant Jeanne d'Arc et je présume qu'à 60 ans, il ira chez le coiffeur se raser le crâne. »
En dépit de son rapprochement manifeste avec l'extrême droite, jusque dans l'organisation de l'apéro-saucisson, Pierre Cassen continue à se réclamer de la gauche. Interrogé par Marianne 2, il accuse son camp de ne rien faire face à l'islamisation de la France :
« Nous sommes consternés par la passivité des acteurs politiques, par la façon dont ils minimisent le phénomène. Dans la gauche, qui est notre camp, les laïcs et les féministes sont aux abonnés absents. Sur la burqa, ils n'ont pas bougé !
Si les socialistes étaient encore au pouvoir, il n'y aurait pas de loi sur le voile à l'école, et toujours pas de débat sur la burqa. C'est un constat désespérant : sur le sujet de la montée de l'islam et ses enjeux, la gauche est en faillite idéologique. »

Marine Le Pen séduit chez les ultralaïcs
Les autres animateurs de Riposte laïque, souvent issus de la gauche, flirtent aussi avec les extrêmes. Dans une réponse au site Arrêt sur images, qui l'a présentée comme étant « proche du FN », Catherine Ségurane, rédactrice occasionnelle sur Riposte laïque, précise qu'elle est « membre du FN ».
Mais comme Cassen, elle se dit toujours « de gauche » :
« Ma famille est traditionnellement de gauche depuis de nombreuses générations. Feu mon père n'a quitté le Parti communiste qu'en quittant la vie. […]
Je suis donc toujours à gauche, même si le Parti socialiste ne l'est plus et même si je ne m'interdis pas de le voir. »
« Prête à sortir du FN si Marine Le Pen n'en prend pas la tête »
Exactement comme Pierre Cassen applaudit le discours sur la laïcité de Marine Le Pen, Catherine Ségurane voit en Marine Le Pen une alternative possible à l'immobilisme supposé du PS en matière d'islamisation de la société. Elle écrit :
« Je suis membre à part entière du FN, quoique depuis peu, et quoique prête à en sortir si Marine Le Pen ne réussit pas à en prendre la tête. […]
J'ajoute que je ne suis le petit soldat de personne, et que je n'ai pas voté Le Pen en 2007. Je n'ai pas aimé la façon de mettre en avant Marine et ses idées progressistes sur plus d'un point, pour mieux nous faire voter Jean-Marie, c'est-à-dire extrême droite classique. »

La haine de l'islam
Parmi les rédacteurs, certains se disent de droite. C'est le cas de Maxime Lépante, spécialiste planétaire de la prétendue islamisation de la Goutte d'or. Il a rédigé plus de 70 articles et tourné une dizaine de vidéos sur le sujet.
Son pseudo est une référence à la bataille de Lépante en 1571, une défaite ottomane contre les chrétiens. Vanter la chrétienneté quand on est laïc ? « Oh, c'est une provocation, un clin d'œil humoristique », répond-il.
Face au « spectacle » des prières du vendredi rue Myrha, il contacte Riposte laïque et propose ses services. Après plus d'un an d'enquête à charge sur le quartier, Riposte laïque décide de surfer sur la médiatisation des apéro géants :
« On s'est dit “comment faire pour attirer l'attention sur ce problème ? ” Personne ne voulait bouger ou prendre en main ce problème. L'idée de l'apéro nous est venue naturellement. »
Soucieux de préserver son identité secrète, Maxime Lépante révèle uniquement qu'il n'est pas journaliste mais qu'il « travaille chez lui » en libéral. Pas FN, et se défendant bien sûr d'être raciste. Pour lui, le Bloc identitaire n'est pas un mouvement extrême, pas plus qu'il n'est raciste :
« C'est plutôt la gauche du Front national. Ce sont les seuls qui nous entendent lorsqu'on alarme sur ce qui se passe à la Goutte-d'Or. »

« Le saucisson, les musulmans intégristes veulent l'interdire »
Alors même qu'il a adopté pleinement la phraséologie propre aux extrêmes (« Français de souche », « invasion islamiste », « occupants », « guerre civile ») Maxime Lépant refuse de s'y voir assimilé :
« Je dis “français de souche” parce qu'on comprend mieux ce que je veux dire. Je ne suis pas contre les musulmans. A Riposte laïque, il y a un musulman pratiquant qui boit du vin et mange du saucisson.
- C'est une obsession, le saucisson !
- C'est un produit de nos terroirs que les musulmans intégristes veulent interdire.
- Pour vous, un musulman qui ne boit pas de vin et ne mange pas de saucisson, c'est un musulman intégriste ?
- Oui. Ou ultratraditionnaliste si vous préférez. C'est un musulman intégriste qui ne commet pas d'attentat. »
Les gens de Riposte laïque, en assimilant l'islam au nazisme ou au fascisme, se drapent dans une posture de résistants face à un « danger » que personne ne veut regarder en face. Ils se rallient donc à l'extrême droite parce qu'elle est la seule qui a « compris » les enjeux de leur lutte.

Des figures du féminisme se sont associées à Riposte laïque
La haine ou la peur de l'islam est la grande cause commune de ces mouvements. On retrouve ainsi les militantes du Cercle d'étude de réformes féministes (Cerf) aux côtés de Riposte laïque, du Bloc identitaire, etc.
Anne Sugier et Anne Zelensky, figures du féminisme dans les années 70, se sont expliquées dans une tribune publiée en octobre 2009 :
« Croyez-vous vraiment que des féministes reconnues, compagnes de route de Simone de Beauvoir, et solidaires des combats de la gauche depuis des décennies, auraient accepté de collaborer à une revue correspondant à ces accusations [de racisme, ndlr] ?
Se poser des questions pertinentes sur l'immigration ne signifie pas qu'on la rejette en bloc et qu'on demeure insensible à la souffrance des exilés.
Rejoindre Geert Wilders, le député néerlandais, classé à l'extrême droite par la presse bien-pensante, (bien qu'il défende homosexuels et juifs), sur sa critique du Coran, ne veut pas dire qu'on partage ses positions politiques. »

Le modèle Geert Wilders
La référence à Geert Wilders n'est pas anodine. S'il est une organisation politique à laquelle ressemble de plus en plus cette curieuse alliance de mouvements de gauche ultra laïcs et d'extrême droite, c'est au Parti pour la liberté du député néerlandais.
Le leader de l'extrême droite au Pays-Bas est considéré comme un modèle par Riposte laïque :
"Et si Geert Wilders était à l'Europe ce que Churchill fut aux Anglais ? Et si la dignité de cet homme -qui transparaît dans la sobriété de son court métrage [“Fitna, pamphlet contre l'islam, ndlr"] auquel s'opposent cependant la furie des uns et la veulerie des autres- était en train de nous montrer que les Européens ne sont plus maîtres chez eux, autrement dit qu'ils ne sont plus chez eux ? "
Comme Riposte laïque et ses nouveaux alliés d'extrême droite, Geert Wilders s'attaque à l'islam au nom de la liberté, de l'égalité et de la tolérance.

"Emprunter au discours progressiste pour attaquer les musulmans"
Dans un débat intéressant sur ces nouvelles droites, Jean-Yves Camus (blogueur sur Rue89) et Jérôme Janin, politologues spécialistes de l'extrême droite, soulignent ces emprunts au discours progressiste :
"Le populisme de droite abandonne le racisme hiérarchisant pour privilégier un différentialisme culturel absolu qui suppose la non-comparabilité des cultures et la dénonciation de la mixité culturelle.
On ne dit plus qu'il existe des peuples ou des races supérieures, mais on affirme que les cultures ne sont pas comparables.
Il s'attaque aux musulmans en se présentant en grand défenseur des homosexuels et de l'égalité entre l'homme et la femme. Il emprunte donc au discours progressiste et laïque des éléments pour attaquer l'islam et les musulmans."
Toutefois, Jean-Yves Camus rappelle :
"Cette illusion du nombre ne doit pas masquer qu'ils restent minoritaires en France."