12 décembre 2009

Le Vatican face aux abus sexuels dans l'Eglise d'Irlande

L'onde de choc qui, depuis une quinzaine de jours, secoue l'Eglise catholique d'Irlande se propage au Vatican. Après la publication, le 26 novembre, d'un rapport dénonçant des abus sexuels perpétrés durant trente ans par des dizaines de prêtres du diocèse de Dublin, deux hauts représentants de l'Eglise d'Irlande, le cardinal Sean Brady, et l'archevêque de Dublin, Mgr Diarmuid Martin, devaient être reçus, vendredi 11 décembre, par le pape Benoît XVI.
Ils vont discuter de "la situation douloureuse" de l'Eglise d'Irlande, mise en lumière par l'enquête du ministère de la justice irlandais sur 320 plaintes concernant des violences sexuelles commises sur des mineurs. Cette rencontre, à l'issue de laquelle pourrait être annoncée la démission de plusieurs prélats irlandais impliqués dans le scandale, devrait aborder plusieurs des points soulevés par le rapport.
Les responsables catholiques devraient notamment évoquer le silence complice de la hiérarchie ecclésiastique. Une réponse du pape est aussi attendue face aux critiques émises par les ministères de la justice et des affaires étrangères irlandais quant à l'absence de réactions du Vatican, sollicité plusieurs fois au cours de l'enquête.
Le rapport Murphy, du nom de la juge qui a mené l'enquête, dresse un réquisitoire accablant contre l'attitude de l'Eglise face aux multiples cas avérés d'abus sexuels commis par des prêtres entre 1970 et le début des années 2000. Qualifiées de "tsunami" par certains responsables religieux, ces révélations ont aussi choqué le pays, encore marqué par le poids moral et social de l'Eglise catholique. La pratique religieuse, quoique en baisse constante depuis les années 1970, y reste particulièrement élevée : 46 % des Irlandais vont à la messe une fois par semaine et 65 % une fois par mois ; l'immense majorité des écoles sont toujours tenues par l'Eglise.
Le rapport fait état d'un souci "obsessionnel" du secret de la part de l'Eglise, soucieuse "d'éviter le scandale" et "de protéger sa réputation et ses biens". Il met nommément en cause une dizaine d'évêques ayant couvert les agissements des prêtres.
Mgr Martin, qui incarne la volonté de changer ses pratiques, a, dès la publication du rapport, fait part de sa "honte", de ses "excuses" et son "chagrin". Réunis mercredi 9 à Dublin, les évêques irlandais ont "demandé pardon" et se sont dit "profondément choqués par l'ampleur et la perversion des abus, et couverts de honte face à l'ampleur des dissimulations". "Nous reconnaissons que cela est le signe d'une culture qui était répandue au sein de l'Eglise." Pour les victimes, les "excuses" ne suffisent pas ; leurs associations demandent des sanctions et la démission des évêques incriminés, ainsi que des investigations au niveau national. Une enquête est en cours dans le diocèse de Cloyne.
Détaillant 46 cas de prêtres coupables d'abus sexuels (certains sont en cours de jugement, mais quatre religieux sont toujours en poste, selon les enquêteurs), le rapport Murphy met en lumière un "système" dans lequel les plaintes des familles n'ont pas été prises au sérieux par l'institution. Les rapporteurs évoquent le cas d'un prêtre qui a reconnu avoir abusé de 100 enfants, d'un autre s'étant livré à des violences sexuelles "tous les quinze jours pendant 25 ans" dans sa paroisse ou d'un autre ayant abusé d'un servant d'autel de 9 ans après la messe, avant de lui offrir un "T-shirt et un livre de prières".
Sévère sur le comportement de la hiérarchie, le rapport raconte aussi le cas d'un prêtre pour lequel, après une première plainte, un psychiatre avait recommandé qu'il ne soit pas réinstallé en paroisse. L'évêque n'en a pas tenu compte et le prêtre a violé un jeune garçon de sa nouvelle paroisse. Un autre évêque a réintégré un prêtre condamné l'année précédente pour abus sexuels. Souvent, les prêtres accusés ont été déplacés dans d'autres paroisses sans qu'il soit fait mention de leur situation. Le rapport estime aussi qu'il a existé dans le diocèse de Dublin un "cercle de pédophiles", évoquant le cas de deux prêtres ayant abusé les mêmes enfants.
Les rapporteurs sont absolument convaincus que nombre de responsables religieux avaient connaissance de l'ampleur des faits depuis une vingtaine d'années. En 1987, note-t-il, le diocèse a souscrit une assurance, attestant le fait qu'il mesurait le coût financier des plaintes et procès potentiels. Confrontés à la même situation, plusieurs diocèses américains sont aujourd'hui en faillite du fait des réparations payées aux victimes d'abus sexuels. L'Eglise n'est pas seule en cause, la police et la justice irlandaises n'ont pas non plus agi de manière optimale. Une certaine déférence vis-à-vis de l'Eglise catholique a empêché les services de l'Etat de "prendre leurs responsabilités", déplore le rapport. Le gouvernement s'en est excusé.

Des ordres religieux indemnisent les victimes
La congrégation des Soeurs de la Miséricorde a annoncé, début décembre, qu'elle allait verser 128 millions d'euros au titre de "réparations pour la souffrance des enfants". Cette congrégation avait été mise en cause dans le rapport du juge Ryan, qui, en mai 2009, a révélé des abus sexuels ainsi que des violences physiques et psychologiques sur des milliers d'enfants confiés aux institutions catholiques du pays à partir des années 1930. Le rapport avait mis en lumière "un climat de peur, des coups et des humiliations" dans l'une des écoles tenues par les soeurs. Il s'agit du deuxième paiement d'importance effectué par une organisation religieuse mise en cause en mai. Les Frères chrétiens, accusés d'avoir fermé les yeux sur des abus sexuels commis dans leurs institutions, ont versé 161 millions d'euros.
En 2001 déjà, plusieurs ordres religieux avaient cédé à l'Etat des propriétés foncières, en compensation d'abus commis dans leurs institutions.
(article du MONDE - 12.12.09 ;
cartoons collectés par LP31)