22 novembre 2009

Mercenaires en Afghanistan et en Irak

Le soleil frappe encore fort dans le ciel d'hiver de Kandahar, deuxième ville d'Afghanistan et fief historique des talibans au sud du pays. Pour la remise des diplômes des conducteurs de blindés, le général Pathiani, chef d'état-major du 205e corps de l'armée afghane, réunit ses troupes dans la salle de cérémonie du quartier général, le camp Hero. Ce n'est pas l'OTAN qui a financé la formation mais les Américains, via l'opération Enduring Freedom ("Liberté immuable"), lancée en 2001 pour traquer Al-Qaida.
En ce mois de novembre, le général Pathiani décore cinquante diplômés avant qu'ils ne retournent dans leur unité avec leur blindé. Les Américains ont raccourci la formation de huit à trois semaines, car ils veulent accélérer la montée en puissance de l'armée afghane, seule solution, selon eux, pour faire face à l'insurrection des talibans.
Sur l'estrade, aux côtés du général Pathiani, ne figure pourtant qu'un seul militaire d'Enduring Freedom. La vingtaine d'hommes portant des uniformes de l'armée américaine présents dans la salle ne sont pas des soldats mais des salariés de la société Military Professionnal Ressources Incorporated (MPRI), premier prestataire privé de Washington en matière de formation et de sécurité. Les instructeurs de MPRI, qui ont pour certains travaillé en ex-Yougoslavie et en Irak, sont chez eux en Afghanistan.
Le poids des sociétés militaires privées est l'une des facettes cachées de cette guerre. La Commission parlementaire américaine sur la passation des marchés en temps de guerre a révélé, début novembre, qu'avec 74 000 salariés en Afghanistan, leur nombre dépasse celui des troupes régulières américaines. Un chiffre deux fois plus important que celui admis officiellement par le Pentagone.
L'OTAN et les Etats-Unis n'aiment guère parler de cette privatisation du conflit. Car les méthodes et les dérapages des compagnies privées, déjà dénoncées en Irak, se poursuivent en Afghanistan.
Dans la province de Kandahar, où les Canadiens supervisent les opérations de l'OTAN, plus de 80 % des sociétés privées sont américaines. "Notre objectif est d'apporter un soutien aux soldats, expliquait, le 13 novembre, Peter MacKay, ministre de la défense canadien, de passage à Kandahar. Nous n'avons pas de problème de conscience avec les compagnies (privées). Nos troupes peuvent ainsi se concentrer sur ce qu'elles savent faire : se battre."
Pourtant les incidents se multiplient.
Début octobre, après un conflit avec les Britanniques et les soldats afghans dans la province du Helmand, la société Paravant s'est vu refuser le renouvellement de son contrat. Les soldats afghans s'étaient rebellés, fin août, contre leurs formateurs qui buvaient de l'alcool devant eux, en plein Ramadan.
Craignant que, lors des séances de tirs à balles réelles, les soldats afghans ne retournent leurs armes contre eux, les salariés de Paravant ont exigé - en vain - la présence de militaires britanniques sur le pas de tir. L'état-major allié à Kandahar a préféré mettre fin au contrat de Paravant.
Cette société n'est autre qu'une filiale de Xe, ex-Blackwater, dont le nom est associé à de multiples violences en Irak, parmi lesquelles une tuerie en pleine rue à Bagdad (17 civils tués) en 2007. En mai, trois employés de Paravant ont par ailleurs été impliqués dans la mort d'un automobiliste à Kaboul.
"La fin du contrat pour l'instruction du tir à Kandahar n'a pas été une perte, commente un membre de Paravant, sous couvert d'anonymat. En ce moment, avec le départ des troupes américaines, beaucoup de nos gars repartent en Irak."
MPRI et Paravant dominent leur secteur avec DynCorp, qui pilote l'instruction des policiers afghans avec un budget annuel de près de 1,5 milliard de dollars (1 milliard d'euros). MPRI et Ronco ont également raflé des contrats de formation des militaires à la lutte contre les explosifs artisanaux posés par les talibans. De son côté, ArmorGroup protège l'ambassade des Etats-Unis à Kaboul.
Le gouvernement afghan et certains responsables américains, soucieux d'atténuer cette image de monopole américain, ont attribué des contrats à d'autres sociétés, mais l'expérience semble peu concluante.
Début 2009, une société indienne basée à Dubaï (Emirats arabes unis), HEB, chargée de la formation d'armuriers au sein du 205e corps de l'armée afghane à Kandahar, a dû déménager ses quartiers après avoir été chassée du camp Hero par le général Zazaï. "Il a menacé de nous tirer dessus si nous ne partions pas", raconte Nadim, un ancien soldat de l'armée indienne recruté par HEB.
"Les griefs du général sont fondés, relève-t-on à l'état-major d'Enduring Freedom à Kandahar. Nous sommes confrontés à un grave problème de compétences. Les gens de HEB se contentent de nettoyer les armes des soldats sans jamais leur apprendre à utiliser leur matériel, et les balles perdues sont courantes." HEB, qui recevrait près de 9 millions de dollars par mois pour cette prestation, devait former 300 personnes entre 2008 et 2010. Seules 26 personnes ont été brevetées à ce jour.
La société RM Asia, composée d'instructeurs d'ex-Yougoslavie, est supposée former des mécaniciens pour le 205e corps d'armée.
"Nous avons reçu un certain nombre de plaintes sur de nombreux retards", admet le major Leprêtre, chargé de superviser l'ensemble des programmes de formation dans le Sud afghan.
Le général Zazaï ne cache pas, pour sa part, qu'il rêve de se débarrasser de HEB et de RM Asia pour faire appel aux seules sociétés américaines.
Article paru dans l'édition du MONDE - 21.11.09