14 décembre 2008

L'agent Drozdov est mort

Alexeï von RIDIGER, alias Alexis II, le "Grand Schtroumpf" orthodoxe de Moscou, est mort le vendredi 5 décembre dans sa résidence de Peredelkino. Né en 1929 en Estonie, alors indépendante, le 15e patriarche de Moscou était issu d'une famille aristocratique d'origine allemande. Ce fils de prêtre est ordonné à son tour en 1950. Il entre en 1961 au monastère de la Trinité-Saint-Serge, cœur de l'orthodoxie russe et franchit les étapes de la hiérarchie orthodoxe à une rapidité foudroyante : évêque, archevêque puis métropolite dès les années 1960, et parallèlement "vice-président du département des relations extérieures du patriarcat", un poste qui l'amène à entretenir des relations avec l'Etat russe et avec les autres Eglises chrétiennes. Il prend dès cette période une part active au dialogue oecuménique.
Ce qui fait dire aux mauvaises langues - et Dieu sait qu'il y en a en ce bas monde ! - que cette ascension hallucinante (qui fait de celle du Christ un ridicule saut de puce) est due à sa collaboration avec le KGB ! Plusieurs historiens ont osé affirmer qu’Alexis II était en réalité l’agent «Drozdov» chargé d'espionner l’Eglise de l’intérieur pour le compte des services secrets et par la même occasion de servir à la fois Dieu et l'Etat.
De là sans doute la bousculade de dignitaires du régime qui ont rendu hommage au "leader spirituel" et "grand citoyen", son peut-être ex-collègue Vladimir Poutine en tête, déplorant un "événement tragique" pour le pays. "C'était une belle âme, c'est une grande perte", a-t-il déclaré, suffoqué de douleur. Il n'en avait pas tant fait après l'assassinat de la journaliste Anna Politkovskaïa.
Le président russe Dmitri Medvedev a rendu hommage depuis New Delhi à un "grand citoyen de Russie" dont le "destin reflète les plus grandes épreuves du XXe siècle".
Ratzinger, alias Benoît XVI, s'est dit "profondément attristé" par la mort de Ridiger, alias Alexis II, et a salué son engagement "sur la voie de la compréhension mutuelle et de la collaboration entre orthodoxes et catholiques".
Le patriarche russe a connu sa propre guerre froide avec les catholiques, qu'il accusait de "prosélytisme" en Russie, et avait refusé de recevoir ce polack de Jean Paul II. Avec Ratzinger, les relations sont devenues plus détendues.
Pour le secrétaire général du Conseil de l'Europe, Terry Davis, Alexis II restera "dans les mémoires pour le rôle majeur qu'il a joué dans son pays pendant la délicate période de transition qui a suivi l'effondrement de l'Union soviétique".
Le président ukrainien Viktor Iouchtchenko dont les efforts pour créer en Ukraine une Eglise orthodoxe unie, indépendante du patriarcat de Moscou, étaient très mal vus en Russie a exprimé sa "profonde tristesse".
Les activités d'Alexis II ont "considérablement contribué à la renaissance de la religion dans les pays d'ex-URSS", a-t-il fait valoir.
Le patriarche orthodoxe géorgien Ilia II a qualifié Alexis II d'"ami de l'église et du peuple géorgiens". Le dignitaire, dont le pays avait été en guerre avec la Russie en août, a exprimé à cette occasion sa "sympathie envers le peuple russe".
Toomas Hendrik Ilves, président de l'Estonie où Alexis II était né et qui est en froid avec la Russie, a souligné dans une lettre à Dmitri Medvedev que le patriarche avait "un intérêt sincère pour tout ce qui se passait en Estonie, et cela avec une rare compréhension".
Le président bulgare Guéorgui Parvanov a lui aussi rendu hommage au patriarche.
Les églises orthodoxes serbe, grecque et roumaine ont présenté leurs condoléances, Athènes soulignant qu'Alexis II avait conduit l'église russe "vers une période du renouveau spirituel".
Le président américain George W. Bush, qui a offert sa sympathie à tous les croyants de Russie, a lui aussi estimé que les années d'Alexis II à la tête de l'Eglise orthodoxe russe ont coïncidé avec un "incroyable renouveau" spirituel.
Pour le métropolite bulgare Dometian, Alexis II a ouvert "une nouvelle époque dans la vie de l'Eglise orthodoxe russe, après le totalitarisme, en la rapprochant du peuple".
A Moscou, les communautés juive et musulmane ont salué l'engagement d'Alexis II envers un dialogue interconfessionnel : "Le patriarche a apporté une contribution inestimable au renouveau de la spiritualité en Russie et à l'harmonisation des relations entre les confessions traditionnelles", a réagi le grand rabbin Berl Lazar.
"Alexis II était l'un de ceux qui ont organisé un dialogue interconfessionnel dans notre pays et à l'étranger", a commenté le vice-président du conseil des muftis, Damir Guizatoulline.
La veuve du très réactionnaire Alexandre Soljenitsyne, Natalia, a estimé que la mort du patriarche était une "épreuve" pour le pays et a appelé les Russes à "cesser tous leurs différends et à s'unir en ces temps difficiles".
Le peintre Ilia Glazounov a jugé que toute "une époque de l'histoire russe" serait liée au nom d'Alexis II. "Il a tant fait après les pogroms de l'athéisme militant, il a fait restaurer tant d'églises !", s'est-il exclamé.
"De l'époque soviétique à nos jours en passant par la perestroïka, il a tenu bon et oeuvré pour la renaissance de l'Eglise orthodoxe russe, c'était un don de Dieu", a déclaré le cinéaste Nikita Mikhalkov.
"Je suis bouleversé, j'ai du mal à trouver des mots. J'éprouvais un immense respect à son égard", a déclaré Mikhaïl Gorbatchev, qui suivait de près Poutine devant tous ceux qui se bousculaient au portillon de la salle mortuaire.
L'agent Drozdov a eu une belle carrière, sous tous les régimes.
D’après AFP le 05/12/2008