03 septembre 2008

Europe vaticane, Europe cléricale


Reportage
L'influence discrète de l'Eglise italienne
LE MONDE 01.09.08 RIMINI (ITALIE)
ENVOYÉ SPÉCIAL Philippe Ridet

Ces deux-là en ont les yeux qui brillent. Présents quatre jours, Gianpietro et Caterina, un couple de Trévise, arpentent les allées de la 29° édition du "Meeting pour l'amitié entre les peuples" et croient assister à un miracle. "Et vous avez vu cette foule ?, demandent-ils, anxieux. Et cette jeunesse ! Et les regards !"

Un miracle à Rimini, station balnéaire bétonnée de l'Adriatique dont le nom évoque davantage le farniente et l'Ambre solaire qu'un mystère de la foi ? Clos samedi 30 août par une intervention de José Manuel Barroso, le président de la Commission européenne, le meeting de Rimini, un des plus grands rassemblements de catholiques qui se puissent voir, a battu encore une fois tous les records.

Pendant une semaine, près d'un million de visiteurs ont participé à des débats, des colloques, des expositions, des concerts... Quelque 3 000 bénévoles ont payé gîte et couvert pour guider les fidèles dans ce labyrinthe de halls d'exposition où, par le passé, ont été vus Jean Paul II, Mère Teresa, le dalaï-lama, le cardinal Ratzinger avant qu'il ne soit pape, Lech Walesa, Eugène Ionesco, Andreï Tarkovski et bien d'autres.

Cette année encore, les politiques italiens de toutes tendances ont défilé par dizaines. Rimini, il faut en être. Chaque jour, une revue de presse est éditée pour la centaine de journalistes présents : 100 pages, rien que pour les articles de presse écrite. Du coup, les grandes entreprises ne se font pas prier pour régler la facture de 10 millions d'euros nécessaire à l'organisation de cet événement.

Mais le meeting de Rimini est aussi la partie la plus visible d'un iceberg nommé "Communion et Libération" (Comunione e Liberazione), un mouvement ecclésial fondé par Don Luigi Giussani (1922-2005). Proche de la hiérarchie et des valeurs de l'Eglise italienne, Communion et Libération a un objectif : éduquer à l'apprentissage de la foi chrétienne. Et une stratégie : infiltrer les lieux de pouvoir, à savoir l'entreprise, par le biais de la Compagnie des Œuvres, ainsi que la sphère politique, notamment en direction du centre et du Parti des libertés (PdL) de Silvio Berlusconi.

"Nous avons des membres qui font de la politique, mais nous n'avons pas vocation à en faire, explique Don Stefano Alberto, un compagnon des premières années de Communion et Libération. Et encore, il n'y a que quatre ou cinq députés dont je suis sûr qu'ils soient des nôtres." "Une dizaine, pas plus", explique à son tour Mario Mauro, vice-président du Parlement européen.

Des ministres ? "Oui, sûrement", ajoute un député, qui cite Angelino Alfano, le garde des sceaux, auteur de la loi d'immunité pour M. Berlusconi, et Mariastella Gelmini, la ministre de l'instruction. Sans parler de Roberto Formigoni, le puissant président de la région Lombardie.

Peu nombreuses, mais visibles et influentes, ces personnalités politiques relaient le message officiel de l'Eglise. Chaque semaine, le député Maurizio Lupi (PdL) organise une rencontre, au sein même de Montecitorio, l'Assemblée nationale italienne, des collègues membres de Communion et Libération et des sympathisants. Une réunion transpartisane où s'élaborent les synthèses, les stratégies pour les combats, notamment celui concernant l'école libre, que l'Eglise voudrait imposer au plus vite dans le calendrier du gouvernement.


"VALEURS NON NÉGOCIABLES"
Communion et Libération, branche politique de l'Eglise ? L'hypothèse fait franchement rigoler Mario Mauro : "Elle n'a pas besoin de nous. Depuis la disparition de la Démocratie chrétienne à la suite de l'opération "Mani pulite" (Mains propres), l'électorat catholique s'est replacé sur tout l'éventail. L'Eglise a des relais dans tous les partis." Communion et Libération, une "franc-maçonnerie catholique" ? Un député du Parti démocratique (centre gauche) : "Oui, ce serait plutôt quelque chose comme ça."

"Pourquoi tout le monde devrait faire de la politique, et pas nous ?", demandent les membres de Communion et Libération. Une revendication appuyée par le cardinal Bagnasco, président de la conférence épiscopale italienne lors de son intervention à l'ouverture du meeting de Rimini, le 24 août. "Ils veulent une Eglise qui reste enfermée dans l'Eglise. C'est notre droit de participer à la vie politique." Ils ? Tous ceux qui en Italie, essentiellement dans la gauche radicale, voudraient que l'Eglise n'excède pas le périmètre de ses paroisses.

Le thème choisi pour cette 29° édition du meeting de Rimini : "Ou protagoniste ou personne", pouvait aussi se lire comme la revendication de l'Eglise italienne à participer au débat politique. Mais en s'arc-boutant sur ses "valeurs non négociables" (IVG, fécondation artificielle, cellules souches, euthanasie), la recherche de consensus est difficile. "C'est un peu délicat de discuter avec eux", euphémise Sandro Gozi, député du Parti démocratique, présent lui aussi à Rimini.

Mais, de tout cela, Gianpietro et Caterina n'ont rien vu. "Dites surtout que c'est extraordinaire", supplient-ils en disparaissant.