26 avril 2009

Retour sur Latran

Un article (paru dans Le Monde à l'époque du discours de Latran) de Jean-Claude MONOD, philosophe et enseignant à l'Ecole normale supérieure

Dans son article "Laïcité" du Dictionnaire de pédagogie et d'instruction primaire (1880-1887), Ferdinand Buisson écrivait que l'essence de l'Etat laïque consistait en ce qu'il était "neutre entre tous les cultes, indépendant de tous les clergés, dégagé de toute conception théologique".
De là procédait l'exigence de neutralité de l'enseignant laïque, lequel, dans l'exercice de ses fonctions, ne devait prendre parti, ajoutait Buisson, "ni pour ni contre aucun culte, aucune Eglise, aucune doctrine religieuse".
Cette exigence ne s'imposait pas seulement à l'enseignant, mais à tous les représentants de l'Etat (et a fortiori au premier d'entre eux) dans la sphère publique. Le discours de Latran et le concept de "laïcité positive" avancé par Nicolas Sarkozy ne s'opposent-ils pas directement à cette exigence fondamentale de neutralité ?
"Dégagé de toute conception théologique" ?
Nicolas Sarkozy y célèbre la vertu théologale d'espérance en son acception religieuse, à laquelle il confère une plus grande valeur qu'aux espérances séculières, de même que la comparaison entre l'instituteur et le prêtre tourne à la faveur du second.
"Neutre entre tous les cultes" ? En manifestant ostensiblement sa foi catholique dans un discours public, tout en saluant la récente loi (dite "loi sur le voile") interdisant les signes ostensibles à l'école publique, dont l'approbation aurait montré "l'attachement des Français à la laïcité", soit le président souffre d'un sérieux problème de logique, soit il suggère qu'une manifestation ostensible d'appartenance religieuse dans le cadre de fonctions publiques n'est pas incompatible avec la laïcité lorsqu'il s'agit du catholicisme (du président, du moins), tandis qu'elle est inacceptable pour l'islam (des lycéennes). On sait que Nicolas Sarkozy n'était guère favorable à cette loi.
C'est la notion de "laïcité positive" qui ouvre la brèche, sur le plan théorique, dans le principe de neutralité : le discours suggère ainsi que la laïcité aurait été, jusqu'ici, "négative" ou hostile à l'égard des religions, ce qui conduit à une étonnante dépréciation de la loi de 1905.
Or la loi de 1905 n'était ni "positive" ni "négative" à l'égard des religions, elle était "neutre", précisément : fondée sur le principe de l'égale liberté de conscience, elle garantit à toutes les religions le libre exercice du culte, tout en excluant la possibilité d'un financement des religions par l'Etat ou d'une participation des clergés à l'enseignement public, garantissant ainsi le droit pour des consciences athées ou agnostiques de ne pas subir de prosélytisme religieux de la part de l'Etat, comme pour les croyants de ne pas subir de propagande d'Etat en faveur de l'athéisme.
Croire pouvoir substituer à la neutralité laïque une laïcité "positive" conforme à la vision positive qu'a Nicolas Sarkozy des religions en général et du catholicisme en particulier, c'est transgresser ce principe fondamental. Imaginons qu'un prochain président soit un athée convaincu : s'il imitait la pratique inaugurée par Nicolas Sarkozy et faisait passer à son tour ses convictions privées dans la sphère publique, il aurait tout loisir de clamer partout (pour "traduire" par des formules analogues, dans cette perspective, à quelques morceaux choisis des discours de Latran et de Riyad) que "Dieu n'est rien d'autre qu'une illusion sous laquelle l'homme s'humilie", que "la République a besoin d'athées militants qui ne se laissent pas duper par des espérances illusoires et travaillent à l'amélioration réelle, ici-bas, des conditions d'existence", que la République a besoin d'une "morale débarrassée des fausses transcendances et résolument humaine", que la vocation de prêtre, qui consacre sa vie à un être fantomatique, est de moindre valeur que la vocation d'instituteur...
Comment les croyants réagiraient-ils à de telles déclarations ? Favoriseraient-elles la paix civile ? Sans doute rappelleraient-ils à ce président oublieux du principe de neutralité le beau mot d'un artisan chrétien de la laïcité, l'abbé Grégoire : "Qu'importe ma religion pour l'Etat ! Qu'un individu soit baptisé ou circoncis, qu'il prie Jésus, Allah, ou Jéhovah, tout cela est hors du domaine du politique." Avec sa "laïcité positive", Nicolas Sarkozy en a décidé autrement : sa religion doit importer pour l'Etat, ou plutôt, peut-être, toutes les religions (monothéistes du moins, si l'on suit la théologie politique du discours de Riyad) doivent-elles désormais pouvoir compter sur le soutien de la République dans leur oeuvre civilisatrice.Mais alors, plutôt que de prétendre réaliser une légère inflexion par rapport à la laïcité républicaine de 1905, à laquelle, entre deux piques, on rend un hommage bien formel tout en l'amputant d'un principe fondamental, le président et ses conseillers en la matière devraient dire franchement qu'ils abandonnent le principe républicain de la neutralité de l'Etat et de ses représentants, dans la sphère publique, en matière confessionnelle.

19 avril 2009

L'Eglise, le sida et l'Afrique

Benoît XVI : Satan l'habite !

Le billet d'humeur de Stéphane Guillon à propos des déclarations de Benoît XVI !

Ministre de la République ou ministre du Vatican ?

Dans une lettre envoyée le 10 avril au cardinal André Vingt-Trois, archevêque de Paris et président de la Conférence des évêques de France, et publiée jeudi 16 avril, Michèle Alliot-Marie présente ses vœux aux catholiques français à l’occasion des fêtes de Pâques (cf. l'échange de courriers ci-après).
À cette occasion, la ministre de l’intérieur – également en charge des cultes – revient sur la polémique causée par les propos de Benoît XVI sur le préservatif, dans l’avion qui l’emmenait au Cameroun le 17 mars.
La ministre de l’intérieur prend sa défense : « La parole de Sa Sainteté le Pape Benoît XVI mérite d’être restituée dans sa complexité, face aux présentations parfois hâtives et abusivement simplificatrices qui l’entourent », souligne Michèle Alliot-Marie.
Elle « ne doute pas que les débats et controverses récents traduisent moins une crise que le témoignage contemporain du caractère universel de la place de l’Église dans un monde traversé par le doute, et plus que jamais à la recherche de repères ».
Soulignant "combien l’Église contribue à la paix", la ministre estime que le message catholique, qui « est celui de la fraternité, de la tolérance et de l’attention à la souffrance morale, sociale et économique », « compte plus que jamais dans cette période de crise économique et d’inquiétude chez beaucoup ».
Michèle Alliot-Marie se réjouit par ailleurs du travail des évêques de France dans le cadre des États généraux de la bioéthique. « J’ai pris connaissance avec un grand intérêt des réflexions de l’Église en France que vous avez bien voulu me remettre lors de notre dernier entretien, écrit-elle au cardinal Vingt-Trois. J’y ai reconnu les valeurs de primauté et de dignité de la personne humaine qui sont au cœur de notre patrimoine et que nous devons préserver. »
Dans sa réponse à Michèle Alliot-Marie, le cardinal Vingt-Trois la remercie pour son « souci de voir respectée la personne du Pape Benoît XVI et sa parole mieux située dans son contexte et les nuances de son propos ».
« L’Église catholique n’entend pas régenter les consciences, mais elle appelle inlassablement l’homme à mettre en œuvre un chemin de vérité et de liberté, tant dans sa responsabilité personnelle que collective, chemin qui peut être autre que bien des conformismes ambiants », insiste-t-il. Avant de revenir lui aussi sur le débat bioéthique en rappelant que « l’Église catholique sait que l’intelligence humaine est capable de reconnaître les droits inaliénables et égaux de tout membre de la famille humaine ». L’Église, conclut l’archevêque de Paris, « s’engage dans ce dialogue avec confiance, avec le seul souci de promouvoir la dignité humaine chez tous et d’encourager, dans le respect de celle-ci, tout ce qui peut contribuer à apaiser la souffrance ».


LES COURRIERS


Vœux de Michèle Alliot-Marie au président de la conférence des évêques de France à l’occasion de la fête de Pâques. Et réponse du cardinal Vingt-Trois

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Courrier de Michèle Alliot-Marie

MINISTERE DE L'INTERIEUR, DE L'OUTRE-MER ET DES COLLECTIVITES TERRITORIALES

Le Ministre

Paris, le 10 avril 2009

Eminence,

Les catholiques français et présents dans notre pays se préparent à la célébration de la fête de Pâques marquant la résurrection du Christ.
Je souhaite en cette occasion m'associer de tout cœur à la joie et à l'Espérance de l'Eglise et de ses membres en vous remerciant d'être mon fidèle interprète auprès de tous.
Le temps de Pâques est aussi celui de la Paix. L'Eglise y contribue activement par son message universel, en France et partout dans le monde. Ce message est celui de la fraternité, de la tolérance et de l'attention à la souffrance morale, sociale et économique. Il compte plus que jamais dans cette période de crise économique et d'inquiétude chez beaucoup. Les drames qui frappent cruellement les populations civiles en Europe comme au Moyen-Orient nous rappellent aussi la fragilité extrême de notre société internationale.
Le message de l'Eglise est aussi éthique et moral à l'heure où un débat s'instaure en France, et où de nombreux pays s'interrogent. J'ai pris connaissance avec un grand intérêt des réflexions de l'Eglise en France que vous avez bien voulu me remettre lors de notre dernier entretien. J'y ai reconnu les valeurs de primauté et de dignité de la personne humaine qui sont au cœur de notre patrimoine et que nous devons préserver.
La parole de Sa Sainteté le Pape Benoît XVI mérite d'être restituée dans sa complexité, face aux présentations parfois hâtives et abusivement simplificatrices qui l'entourent, comme vous l'avez fait dans votre récent discours d'ouverture de l'assemblée plénière de la Conférence des Evêques. Je ne doute pas que les débats et controverses récents traduisent moins une crise que le témoignage contemporain du caractère universel de la place de l'Eglise dans un monde traversé par le doute, et plus que jamais à la recherche de repères.

Je vous renouvelle mes vœux les plus chaleureux, à partager avec tous, et vous prie de croire, Eminence, à l'assurance de ma considération distinguée et de mon souvenir très fidèle et cordial.

Michèle ALLIOT-MARIE


Réponse du cardinal André Vingt-Trois

CONFERENCE DES EVEQUES DE FRANCE

Paris, le 11 avril 2009

Le Président

Madame le Ministre,

C'est avec grand plaisir que j'ai reçu votre courrier du 10 avril, dans lequel vous vous associez à la joie des catholiques de France, à l'occasion de la fête de Pâques. Je vous en remercie très sincèrement.

Après les semaines tourmentées vécues par l'Eglise catholique et le tourbillon médiatique qui s'en est suivi (auquel se sont joints, malheureusement, trop de responsables politiques, sans toujours effectuer le discernement nécessaire), j'apprécie particulièrement votre souci de voir respectée la personne du Pape Benoît XVI et sa parole mieux située dans son contexte et les nuances de son propos.

L'Eglise catholique n'entend pas régenter les consciences mais elle appelle inlassablement l'homme à mettre en œuvre un chemin de vérité et de liberté, tant dans sa responsabilité personnelle que collective, chemin qui peut être autre que bien des conformismes ambiants.

Vous soulignez également l'importance du message de l'Eglise au moment où se met en place dans notre pays le débat autour de la révision des lois de bioéthique. Le groupe de travail de la Conférence des évêques de France, avec le concours de nombreux experts scientifiques, médicaux, juridiques ou éthiques a présenté en janvier dernier des « Propos pour un dialogue ». L'Eglise catholique sait que l'intelligence humaine est capable de reconnaître les droits inaliénables et égaux de tout membre de la famille humaine. Elle s'engage dans ce dialogue avec confiance, avec le seul souci de promouvoir la dignité humaine chez tous et d'encourager, dans le respect de celle-ci, tout ce qui peut contribuer à apaiser la souffrance.

En vous remerciant encore de vos souhaits chaleureux, je formule tous les miens, Madame le Ministre, pour votre haute mission et vous assure de mes sentiments respectueux et dévoués dans le Christ.

André cardinal Vingt-Trois
Archevêque de Paris
Président de la Conférence des évêques de France

04 avril 2009

Chéri, mets ton palliatif !

Les propos du pape, ceux de l'évêque Williamson, l'excommunication de la petite Brésilienne violée, de sa mère et de l'équipe médicale ayant pratiqué l'IVG ont contraint l'Eglise catholique française à multiplier communiqués, interventions et prises de position pour calmer les esprits d'une partie de leurs ouailles.

Le communiqué de l'archevêque de Toulouse, Robert Le Gall, concernant la déclaration du pape sur l'utilisation du préservatif face au sida, vaut son pesant d'hosties. Publié sur le site de l'Archevêché sous le titre "Le préservatif : un palliatif", on peut y lire notamment ce qui suit :

"l’Église catholique est la première dans la lutte contre ce fléau : plus de 25 % des institutions qui portent leurs soins et leurs attentions aux victimes, étudient les moyens d’apporter soulagement et guérison aux malades, ou tentent d’analyser ses causes pour y porter remède, sont issues d’elle, qui ne demande qu’à s’associer à d’autres organismes humanitaires". La messe est donc dite d'entrée : l'Eglise n'a de leçons à recevoir de personne. Les ouailles devront ensuite avaler sans barguigner les couleuvres qui suivent :

"Des pays africains comme l’Ouganda sont parvenus à une diminution sensible du fléau, faisant passer les personnes affectées de plus de 25% à 6%, par exemple, en 2002, en prônant l’abstinence avant le mariage et la fidélité dans le mariage comme des valeurs culturelles à encourager".


"À banaliser ou à faciliter l’exercice de la sexualité sous toutes les formes possibles, on en vient forcément au mépris des personnes et de leurs corps, surtout des femmes, de plus en plus jeunes, qui deviennent enceintes, même en Europe occidentale, et se voient contraintes à l’avortement, suite à des viols irresponsables et criminels, qui démolissent des vies humaines".

En plus jésuite, c'est exactement ce qu'a dit Benoît XVI. La position du pape n'est donc pas isolée au sein de l'Eglise : C'EST la position de l'Eglise !

Aujourd'hui, on sait que si deux individus sont contaminés par le même virus, ils porteront au bout de quelques mois des formes différentes à la fois entre elles et de la forme d'origine. Chaque individu atteint fabrique une forme nouvelle du virus.
Voilà pourquoi les trithérapies sont devenues des multithérapies. Et voilà pourquoi, malgré les progrès fantastiques réalisés, la lutte contre le sida reste une lutte d'une très grande complexité et donc a fortiori très longue.
Ce que l'on peut affirmer dans l'état actuel des connaissances, c'est qu'on ne peut pas être "guéri" du sida et que la seule arme pour freiner son extension, c'est le préservatif.

A moins qu'on ne cherche à profiter du fléau pour favoriser un retour à l'ordre moral cher à Robert Le Gall...