21 mars 2008

10 mars 2008, square Jean Calas, sous une pluie battante...

Allocution
prononcée
le 10 Mars 2008
place saint Georges à TOULOUSE
à la mémoire de JEAN CALAS
victime de l’intolérance religieuse



Comme chaque année au même jour, le 10 Mars, la Libre Pensée commémore pour le stigmatiser un abominable acte de barbarie commis en 1762, il y a exactement 146 ans sur la personne de Jean CALAS, Toulousain, honorable commerçant, marié, père de cinq enfants, protestant, accusé sans preuve d’avoir assassiné son fils Marc Antoine âgé de 28 ans parce qu’il aurait voulu se convertir au Catholicisme.

Il faut dire qu’à cette époque Toulouse était une ville qui se caractérisait non seulement par l’opulence de ses classes dirigeantes (pensez aux beaux hôtels particulier à son commerce du pastel), mais aussi, malheureusement, par son intolérance vis-à-vis de la minorité protestante.

En 1562, soit dix avant la Saint Barthélemy, les Toulousains avaient arrêté, poursuivi et tué tous les protestants de la ville.
Depuis lors, ils célébraient en grandes pompes, avec force procession et Te Deum, ce massacre engendré par le fanatisme religieux.
Car c’est bien le fanatisme religieux qui est à l’origine de ce que les historiens ont retenu sous le nom de « l’affaire CALAS »...
Affaire CALAS qui doit sa notoriété à VOLTAIRE.

En effet, sans VOLTAIRE, parlerait-on encore de « l’affaire CALAS » ?
Après tout, extorquer des aveux sous la torture était chose courante et tout à fait légale sous l’ancien régime (nous sommes sous Louis XV )…….
Cette pratique abominable – on disait alors la QUESTION - ne sera abolie qu’en 1790 sous Louis XVI.

C’est VOLTAIRE, qui par la rapidité et l’efficacité de ses interventions, obtient un an jour pour jour après l’exécution de l’infortuné CALAS, sa réhabilitation et la restitution à la famille des biens qui lui avaient été confisqués...



L’ AFFAIRE :
Revenons-en très rapidement aux faits.
Le 3 mars 1761, Jean CALAS reçoit chez lui, au 50 rue des FILATIERS, en compagnie de sa femme et de deux de ses enfants, Marc Antoine 28 ans et Pierre, le cadet, un ami de passage, Gaubert LAVAYSSE, venant de BORDEAUX.
La servante est là, catholique.
A 19h - ils mangent… on connaît le menu !
A 20h30 - Marc Antoine se retire.
A 22h- l’invité prend congé.
On descend : découverte du corps sans vie « étranglé ou pendu » selon les termes des enquêteurs.

A partir de là, un invraisemblable enchaînement de faits va entraîner cette honorable famille vers le désastre le plus absolu !
Elle est accusée en bloc, sans preuve aucune, sur la foi de témoignages douteux, d’avoir assassiné l’aîné de ses enfants sous le prétexte que celui-ci aurait eu l’intention de se convertir au catholicisme !
Or rien n’a jamais été prouvé :
ni que Marc Antoine voulait se convertir,
ni surtout que le père avait tué son fils !
Il a toujours nié même sous les pires tourments.

Voilà un assassinat :

- sans motifs. En effet pourquoi Jean Calas aurait-il tué son fils Marc Antoine sous le prétexte d’une éventuelle conversion alors même que son troisième fils était déjà converti chez les Pénitents Blancs et qu’il lui versait une pension.

- sans preuve….. et de surcroît

- avec un alibi : puisque l’accusé, sa femme, le fils Pierre, la servante et l’invité étaient à l’étage au moment des faits.

Malgré tout, la machine infernale se met en branle… et à coups de témoignages imprécis, non vérifiés, recueillis sous menace d’excommunication… le procès aboutit :

- à la condamnation du père,


- au bannissement du fils Pierre,


- à l’enfermement dans un couvent des deux filles qui n’étaient même pas là au moment des faits !
- à la confiscation des biens de la famille,


- à la relaxe de l’ami Gaubert et de la servante.

Peut on imaginer sentence plus inique, sentence plus cruelle ? Pourquoi ? Pourquoi ? à cause du contexte politico-religieux qui été évoqué.

Calas fut exécuté le 10 Mars 1762, il y a exactement 246 ans !…

Sans Voltaire, sa notoriété, son talent et sa pugnacité, Calas aurait été oublié parmi les multiples victimes de l’intolérance qui sévissait alors… intolérance nourrie par le fanatisme religieux.

FANATISME :

Reportons-nous à l’article publié dans l’encyclopédie en 1764 sous la plume de Voltaire justement.
"Le fanatisme est à la superstition ce que la rage est à la colère. Celui qui a des extases, des visions qui prend des songes pour des réalités et ses imaginations pour des prophéties est un enthousiaste ; celui qui soutient sa folie par le meurtre est un fanatique ; (….)
Lorsqu’une fois le fanatisme a gangrené un cerveau, la maladie est presque incurable. J’ai vu des convulsionnaires qui, en parlant des miracles de saint Pâris, s’échauffaient par degrés malgré eux : leurs yeux s’enflammaient, leurs membres tremblaient, la fureur défigurait leur visage et ils auraient tué quiconque les eût contredits. Il n’y a d’autre remède à cette maladie épidémique que l’esprit philosophique qui, répandu de proche en proche, adoucit enfin les mœurs des hommes et qui prévient les accès du mal ; car dès que ce mal fait des progrès, il faut fuir et attendre que l’air soit purifié. Les lois et la religion ne suffisent pas contre la peste des âmes. La religion loin d’être pour elles un aliment salutaire, se tourne en poison dans les cerveaux infectés.(…)
Les lois sont encore très impuissantes contre ces accès de rage ; c’est comme si vous lisiez un arrêt du conseil à un frénétique. Ces gens–là sont persuadés que l’esprit saint qui les pénètre est au-dessus des lois, que leur enthousiasme est la seule loi qu’ils doivent entendre.
Que répondre à un homme qui vous dit qu’il aime mieux obéir à Dieu qu’aux hommes et qui, en conséquence est sûr de mériter le ciel en vous égorgeant ?
"

Tout Voltaire est dans cet article.

On reste stupéfait devant la rapidité et l’efficacité de son action. Efficacité due à sa notoriété et à l’habileté de sa démarche.
En effet, il n’attaque pas la Justice du Roi qui est, affirme-t-il, une bonne justice… Mais il s’insurge contre les mauvais procédés utilisés par ceux qui sont chargés de l’appliquer : le parlement de Toulouse, les Capitouls, ces Languedociens qu’il appelle les « LanguedoCHIENS ». Suprême finesse !

Au finish, le 7 Mars 1763 le Conseil du Roi casse le procès. Et le 9 (soit un an exactement après l’exécution), Jean Calas est réhabilité :
- il est reconnu innocent.
- une pension est versée à la famille sur la cassette personnelle du Roi.

Justice est faite... mais Calas n’en est pas ressuscité pour autant, ni ses os raccommodés.

Pour nous Libres Penseurs, cette affaire prouve jusqu’où pouvait aller dans le passé, l’intolérance religieuse avec tout le cortège d’abominations et de souffrances qu’elle a engendrées.
Mais elle vient à point aujourd’hui pour attirer notre attention sur les dangers que fait toujours peser sur la paix sociale et les libertés individuelles la volonté des religions - quelles qu’elles soient- de se voir reconnues par les Etats en attendant d’en prendre le contrôle !

Soyons vigilants et restons persuadés que le meilleur garant de la PAIX est de maintenir étanche la frontière qui sépare :

Ce qui appartient à la sphère publique
et
Ce qui appartient à la sphère privée

La sphère privée, celle du domaine de l’intime, où se placent (au même titre que la sexualité) les religions et les convictions philosophiques.

C’est justement ce que la loi de 1905 instaure sans ambiguïté, puisqu’elle prévoit LA SEPARATION DES EGLISES ET DE L’ ETAT et qu’elle précise que celui-ci ne reconnaît ni ne subventionne aucun culte, mais qu’il garantit à chacun son libre exercice en observant une stricte neutralité.

Hélas cette loi limpide a connu bien des entorses... à commencer par les subventions à diverses confessions :
- catholique hier avec la loi Barangé qui apporta d’importants subsides à l’enseignement privé,
- musulmane à présent avec la participation financière de certaines municipalités à la construction de mosquées.

Y a-t-il un seul pays musulman qui subventionne sur son territoire la construction ou l’entretien d’une Eglise ?

La loi de 1905 est fondamentale pour l’unité de notre République et de notre Démocratie – c’est elle qui est le garant de la Laïcité institutionnelle sur laquelle repose notre beau triptyque :

LIBERTE - EGALITE - FRATERNITE -

Sachons défendre cette vieille dame de 103 ans.

Nous avons vu comment en ex Yougoslavie, les religions ont servi de manteau à une entreprise de démantèlement des nations, comment les différentes religions ont été utilisées pour diviser les populations à l’intérieur d’un même peuple !

Vive la Raison et l’esprit critique pour combattre tous les dogmes et les superstitions qui génèrent et entretiennent l’obscurantisme facteur d’intolérance.

VIVE la REPUBLIQUE
VIVE la LAÏCITE institutionnelle génératrice de PAIX.

LE 10 Mars 2008

Eliane ORVILLE
Vice Présidente de la Fédération de la Libre Pensée de la Haute Garonne.